Par Philippe de Saint-Germain,
Liberté politique n° 52, printemps 2011.
Vous avez été appelés à la liberté. C'est sous le signe de l'appel de saint Paul que le congrès 2010 de l'association pour la Fondation de Service politique s'est tenu à Lyon, les 30-31 octobre, avec pour thème de réflexion et d'engagement la responsabilité politique des chrétiens. Sous l'apparence d'une certaine banalité, c'est un défi nouveau qui se dresse aujourd'hui devant les fidèles du Christ. Comment participer à la vie publique quand l'univers mental de la société disqualifie la notion de bien objectif et de vérité commune (cf. notre numéro de l'automne 2010 Appelés à la vérité - n° 50) ?
En deux mille ans d'histoire, l'environnement du chrétien n'a cessé de changer. L'édition 2011 de l'Annuaire pontifical nous apprend que le nombre des catholiques et des prêtres n'a jamais été aussi élevé depuis la naissance de Jésus : ils sont 1,181 milliard de baptisés en 2009 (contre 1,166 milliard en 2008). Et les prêtres sont passés de 405.000 en 2000 à 410.600 en 2009. Pour autant, la progression du christianisme dans le monde ne s'est jamais faite sur un lit de roses.
Sans revenir sur les persécutions de masse qui ont meurtri son histoire, la vie chrétienne a toujours été un combat, y compris dans les sociétés pacifiques. Maritain disait que depuis l'origine de l'humanité, le bien et le mal progressaient parallèlement.
Nouvelle époque
Attentive aux signes des temps, l'Église ne pouvait pas ne pas prendre la mesure de l'évolution radicale de l'avènement démocratique postmoderne. Dans la Note doctrinale signée en 2002 par le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi À propos de questions sur l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, le cardinal Joseph Ratzinger prenait acte de la fin d'une époque , pour appeler à des formes de participation nouvelle à la vie publique .
La nouvelle époque n'est plus à la reconnaissance commune de valeurs objectives ordonnant les lois et les mœurs. La culture dominante oriente les comportements par le biais des législations selon une conception de l'homme et du bien commun qui remet en cause le socle fondateur de la civilisation qui a émergé du christianisme. On constate aujourd'hui, écrivait le futur Benoît XVI, un certain relativisme culturel qui se révèle dans sa nature comme un système et une défense d'un pluralisme éthique favorable à la décadence et à la dissolution de la raison et des principes de la loi morale naturelle.
Sans conteste, cette Note doctrinale, brève et dense, voulue et approuvée par le pape Jean Paul II, constitue le document de référence de toute œuvre politique chrétienne, et de tout l'engagement public du laïc chrétien dans la société d'aujourd'hui.
L'Association pour la Fondation de Service politique a d'emblée adopté ce texte, en a assuré la promotion à la mesure de ses moyens (un colloque au Sénat, un numéro spécial de la revue Liberté politique et de nombreux articles). Elle a réuni théologiens, philosophes, élus pour approfondir son enseignement, analyser son diagnostic, explorer ses orientations. Il serait présomptueux de prétendre en avoir maîtrisé toutes les nuances. Par bien des aspects, son appel à la cohérence, son refus de tout compromis préjudiciable au respect de la loi morale naturelle, a davantage balisé le débat que clos la question du choix politique des chrétiens et des hommes de bonne volonté. Pour deux raisons : 1/ quelles que soient les circonstances, la condition temporelle de l'homme demeure, tout comme la dimension pratique de la science politique ; 2/ le rôle de l'Église n'est pas d'éliminer la liberté d'opinion des catholiques sur les questions contingentes .
Pour illustrer la difficulté de l'exercice, il faut se souvenir que les évêques des États-Unis eux-mêmes demandèrent au cardinal une explication de texte pour éclairer le jugement de l'électeur américain. Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi confirma que la cohérence du chrétien ne le condamnait ni à l'utopisme, ni à la marginalisation politique. C'est en cela que la responsabilité politique du chrétien reste un défi permanent. Ce fut l'ambition du congrès de Lyon d'explorer dans cet esprit les voies nouvelles d'un engagement personnel et collectif des chrétiens de France, soucieux de cohérence et de réalisme.
Le texte des communications qui ont encadré la réflexion des congressistes lyonnais est publié dans ce numéro de Liberté politique. Le frère Emmanuel Perrier s'interroge sur l'enfermement politique qui menace le chrétien. La niche politique de l'idéaliste minoritaire , désormais assignée à toute pensée politique reposant sur des principes substantiels, n'est pas le lieu politique naturel pour des chrétiens, dit-il, y compris pour ceux qui ne veulent pas renoncer à leurs conviction au nom de leur responsabilité. Mais pour échapper à l'alternative entre marginalisation et sécularisation, frustration et compromission, sans pour autant devenir schizophrène, il est nécessaire de concevoir la politique en dehors des canons de la Modernité. Dans un système qui se fonde sur la privatisation des principes communs, on ne peut plus se contenter de vouloir remonter la pente. La seule réponse consiste à se soustraire à l'horizon politicien en s'attaquant aux racines du mal : la vraie victoire des chrétiens, c'est l'enrichissement du débat public par un peu plus de vérité et l'orientation de la politique vers plus de bien et moins de mal.
Pratiquement, le réaliste moral poursuit le bien commun sans renoncer à sa partition. Son rôle se conçoit à travers des choix et dans la prudence de l'action, explique François de Lacoste Lareymondie en présentant la synthèse des travaux du congrès de Lyon sous la forme d'une charte pour le renouvellement de la pratique politique. Le danger serait d'enfermer cette prise de conscience dans une posture idéologique : Vous avez été appelés à la liberté. Mais que cette liberté ne soit pas un prétexte pour satisfaire votre égoïsme ; au contraire, mettez-vous, par amour, au service les uns des autres (Gal., 5, 1.13).
P.S.-G.
© Liberté politique n° 52, printemps 2011. Pour lire la version intégrale, avec l'appareil de notes, se reporter à la version papier.