LA PREVENTION des pathologies graves, c'est-à-dire mortifères à plus ou moins long terme, ou très handicapantes, constitue un élément important du souci de soi et du souci des autres. Or trop souvent, on constate que le maintien de la santé et de la vie n'est pas le souci absolu ; dans des circonstances précises, celui-ci peut être au second plan, voire méprisé.

 

Beaucoup a été fait en France, depuis cinquante ans, pour donner des informations utiles à la prévention des pathologies graves ; celles-ci sont encore données de façon parcellaire et dispersée et elles sont trop incomplètes comparativement aux données épidémiologiques. Elles pourraient être données de manière plus systématique, plus complète dans les collèges auprès des jeunes entre 11 et 14 ans, parce que ces jeunes sont à l'aube de grandes orientations et décisions, entre lesquelles il serait plus facile de choisir, si l'avantage pour la santé et la vie de certains comportements leur était exposé.

Le premier but de cet article est donc de plaider pour une diffusion toujours plus complète et régulièrement actualisée des données épidémiologiques, si possible dès la première adolescence. Toute vérité, ici comme ailleurs, est bonne à dire. La dangerosité des conduites et des choses n'a pas à être cachée dès lors que sont connus par des corrélations sûres, les comportements statistiquement " à risque " et inversement les conduites bénéfiques.

Le second but est de montrer que les données épidémiologiques plaident pour les conduites morales, au sens de la morale naturelle.

 

Nécessaire information

 

Entre l'automne de 1944 et la fin de l'année 1955, le pape Pie XII consacra de nombreux textes, sous forme de discours, allocutions, lettres, aux problèmes de santé .

Le début de l'allocution de Pie XII à l'Assemblée de l'Organisation mondiale de la santé, à Rome, le 27 juin 1949, attire l'attention : " L'Église, loin de considérer la santé comme un objet exclusivement biologique, a toujours souligné pour la maintenir, l'importance des forces religieuses et morales, et elle l'a toujours comptée au nombre des conditions de la dignité et du bien total de l'humanité, de son bien corporel et spirituel, temporel et éternel . "

Si des forces morales contribuent d'une manière importante à maintenir la santé du corps et de l'esprit, cela doit se vérifier sur les données de l'épidémiologie . À l'époque de Pie XII, les grandes enquêtes sur les facteurs favorisant les pathologies graves étaient peu nombreuses. Aux États-Unis, la célèbre enquête de Framingham sur les conditions d'apparition des pathologies cardio-vasculaires acquises débuta en 1952 et présenta ses premiers résultats en 1956. En France, à la même époque, les enquêtes destinées à préciser l'importance des corrélations entre des maladies broncho-pulmonaires et des situations professionnelles soupçonnées " à risque ", par exemple dans les mines de fer, de charbon ou d'ardoise, commençaient tout juste à être précisées et chiffrées, en vue de la prévention des risques et de l'indemnisation des sujets atteints.

Depuis cinquante ans, grâce à des critères de diagnostic plus précis, à une meilleure connaissance des mathématiques statistiques, à des moyens financiers accrus et à une plus grande volonté de compréhension et de prévention des maladies graves acquises, l'épidémiologie analytique s'est considérablement développée, dévoilant, précisant, quantifiant des relations sûres entre la survenue de divers pathologies graves et la présences d'anomalies biologiques diverses. Fait capital, ces anomalies, qu'elles aient ou non un substrat congénital, sont toujours modulables avec des comportements, volontaires ou non, en complément des traitements médicaux ou chirurgicaux s'ils existent.

Les corrélations statistiques entre la rapidité de survenue ou la gravité des pathologies, d'une part, et les anomalies biologiques d'autre part, varient forcement un peu, d'une enquête à une autre ; mais pour une réflexion d'ensemble, il n'importe pas que les données diffèrent légèrement, qu'il s'agisse des marqueurs de risques ou de facteurs de risque. Si, par exemple, tabagisme, alcoolisme, toxicomanie sont corrélés avec une majorité de décès dans une cohorte d'hommes de moins de 65 ans, quelque soit par ailleurs la distribution des autres facteurs de risque, il importe peu que le risque soit de niveau 5, 7 ou 8, en risque relatif, s'il s'agit d'en faire part à la jeunesse pour sa réflexion.

 

Les comportements à risque identifiés par l'épidémiologie, qu'ils soient alimentaires, tabagiques, alcooliques, toxicologiques, sexuels, ou d'ordre hygiénique, voire d'ordre pharmacologique, médical, paramédical, sont interprétables, d'une manière ou d'une autre, comme un déficit de la morale naturelle, entendue ici comme la conséquence des inclinations naturelles primordiales et communes. Cela ne renvoie nullement à une culpabilité des victimes de " l'exposition au risque ", notion totalement étrangère aux mathématiques statistiques ! Mais qu'il s'agisse des victimes elles-mêmes ou de ceux ou celles qui ont eu part à la situation à risque ou encore, qui ont eu la possibilité de modifier des situations et des conduites et qui ne l'ont pas fait, pour un motif ou pour un autre (paresse, faible intérêt pour le sort des autres, légèreté, ignorance des problèmes, souvent plus ou moins entretenue, etc.), on est amené, du simple fait de la relation générale " pathologies - comportements ", à cette affirmation : le domaine pathologique n'est pas régi par la fatalité ou l'incohérence et, subséquemment, que toute rétention d'information concernant les conduites les plus aptes à maintenir statistiquement la santé et la vie constitue un manquement éthique grave de la part de ceux qui ont capacité à savoir et à informer. Celui qui, le connaissant, ne signale pas à autrui un péril grave est plus fautif que cet autrui.

 

La recherche déraisonnable de l'ivresse de la vitesse sur les voies publiques, hors circuits sportifs protégés, le mépris du code de la route, la conduite d'engins sous forte influence de modificateurs de réflexes, drogues, médicaments neuro-psychotropes, alcools, la conduite malgré des handicaps connus mais non compensés ou sous-estimés ; tous ces comportements à risque relèvent de l'éthique du souci de soi et du souci des autres. Ils génèrent des drames pathologiques qui atteignent, à travers l'interconnexion humaine omniprésente, à la fois des fautifs et des innocents, pris aléatoirement dans les conséquences des comportements irresponsables. Avec beaucoup d'autres ces derniers sont connus, qualitativement, depuis longtemps. Contre eux, Pie XII pouvait en appeler aux forces morales.

L'épidémiologie ne cesse pas de préciser les choses, chiffres à l'appui. Concernant les conduites alimentaires, par exemple, la sobriété calorique persévérante (faim satisfaite, gourmandise chronique refusée, globale ou spécifique) au moindre développement du diabète commun, de la athérosclérose artérielle et des cancers. Depuis l'enquête de Framingham, au moins, l'effet néfaste de la consommation importante et habituelle des calories " chères " que sont les viandes grasses, les lipides d'origine animale courante et les sucreries est tout à fait démontré, alors qu'une alimentation simple à base de céréales, fruits de saison, légumes variés est reconnue comme bénéfique, sans que les repas de fête occasionnels (Deo gratias) soient épinglés, bien au contraire puisqu'ils favorisent l'observance de la restriction calorique. Un récent document diététique de la Fédération Française de Cardiologie le confirme. Inversement, des populations misérablement laissées à une alimentation insuffisamment calorique, monotone, et carencée sont indûment empêchées de satisfaire une nutrition qui éloignerait d'elles pathologies graves et décès prématurés, les corrélations sont certaines. Les derniers congrès européen et américain de cardiologie ont rappelé que les produits hypocholestérolémiants ne dispensaient nullement de la sobriété calorique et de la simplicité d'accommodation des aliments. Quand aux méfaits de l'obésité ou même du surpoids et de l'inaction sur la condition cardiaque, pulmonaire, etc., ils sont de mieux en mieux précisés.

Concernant le fléau du tabagisme, l'épidémiologie, qui a révélé les conséquences du tabagisme passif, naguère inconnu, et l'étude des coûts, qui a précisé l'immensité de la dépense liée aux multiples pathologies où le tabagisme intervient, ont fait de ce problème un nouveau et important champ éthique. Il en va toujours ainsi lorsque se dévoile un " connaissable naturel ", du fait de l'identification de satisfactions et de dangers déjà présents dans les choses mais antérieurement méconnus et comme en attente. L'ère pastorienne conduisit, par exemple, à un développement éthique inséparable des nouvelles connaissances thérapeutiques et préventives. Il en fut de même avec l'électricité, etc. C'est un lieu commun de souligner qu'au fil des siècles, il y a partout et toujours pour la communauté humaine, un champ éthique que l'accumulation des connaissances fait évoluer sans jamais en réduire le volume d'ensemble, bien au contraire. Englobante éthique !

 

 

 

Concernant précisément les micro-organismes pathogènes (bactéries courantes, chlamydiae, virus, rétrovirus), les corrélations épidémiologiques enseignées aux jeunes des collèges sont notoirement insuffisantes, voire inexistantes, peut-être parce que la composante morale des comportements est ici particulièrement impliquée...

 

La biologie, l'examen des succès et des échecs thérapeutiques et l'épidémiologie ont appris que beaucoup de micro-organismes pathogènes ne seront jamais éliminés par les thérapeutiques (même revues et actualisées) du fait des capacités de mutation, de résistance et d'échanges qui leur sont propres. Certes, la recherche biomédicale se prévaut de succès anti-infectieux tout à fait remarquables. Jointe à l'amélioration de l'hygiène, qui est un élément de la dignité humaine, elle a fait régresser lèpre, syphilis, gonococcie, tuberculose, des gonocoques et des bacilles de Koch multi-résistants restant toutefois présents ou même se développant dans certaines régions de la planète. Des vaccins efficaces ont été mis au point contre le tétanos, la diphtérie, les virus de la poliomyélite, de la rougeole, de la rubéole, des hépatites A et B, etc. Mais on attend toujours, malgré vingt à trente ans d'efforts, des vaccins préventifs contre les chlamydiae, facteurs de stérilité en constant développement, le plus souvent sexuellement transmis, contre les papillomavirus, sexuellement transmissibles, responsables directs et indirects de divers cancers oraux et cutanés et surtout du cancer du col utérin à cellules squameuses, peu fréquent en France mais très important à l'échelle planétaire, contre les divers virus de l'herpès génital commun, sexuellement transmis, en constante progression dans le monde, diffusés à la fois par des sujets séropositifs asymptomatiques et par des sujets présentant de ulcérations muqueuses. Ces infections favorisent l'entrée d'autres virus et rétrovirus, par exemple les trop fameux HIV I et HIV II responsables du SIDA. Les échecs vaccinaux ne proviennent pas d'abord du nombre réduit des laboratoires de recherche mais, on le sait, de la capacité de beaucoup de virus et rétrovirus à évoluer ou muter par échanges de brins d'ADN, soit entre eux, soit avec nos propres séquences d'ADN proto-oncogènes et anti-oncogènes .

Les produits à visée thérapeutique obtiennent donc des succès que l'on peut espérer toujours plus importants avec des effets délétères moindres ; les efforts de la recherche fondamentale et appliquée sont à bénir et à soutenir de multiples manières mais les informations auprès de la jeunesse sur les conditions de transmission des rétrovirus, des virus herpétiques courants, du virus d'Epstein-Barr, des papillomavirus, des chlamydiae, etc. ne peuvent plus être différées sans négligence coupable, d'autant plus que l'infection chronique ou à répétition s'affirme de plus en plus nettement comme co-facteur favorisant dans le développement de diverses pathologies où l'on osait à peine la soupçonner il y a 10 ans. Concernant le cancer de la prostate, par exemple, alors que l'épidémiologie ne pointait en 1994 que des facteurs de risque d'ordres génétique et alimentaire, on identifie actuellement le rôle des prostatites, certaines sexuellement transmises .

La liste des cancers où les infections jouent un rôle favorisant ne cesse pas de s'allonger. Si on domine certains micro-organismes par l'antibiothérapie et par l'hygiène (en refuser la possibilité aux pauvres serait une injustice), par exemple hélicobacter pylori facteur de risque des cancers de l'estomac, concernant les micro-organismes sexuellement transmis on demeure très en deçà de ce qu'on voudrait obtenir. La promotion isolée des préservatifs ne suffit manifestement pas ; même avec leur utilisation correcte, la prévalence des séropositifs au virus du sida ne diminue pas, dans une population donnée, si l'on obtient trop peu de changements de comportements sexuels vers une moralité plus grande, quelque soit la situation culturelle de départ. Le fameux succès ougandais (l'Ouganda a longtemps été le seul pays africain à inverser la prévalence du sida dans une population adolescente) est dû à la triade " abstinence – fidélité – préservatif " initiée il y a plus de dix ans par un missionnaire catholique (le préservatif en troisième, " comme en désespoir de cause "). De nombreux pays africains ont suivi, non seulement en Afrique subsaharienne mais ailleurs, par exemple à Dakar où l'on obtient pour le moment une stabilisation du taux de séropositivité.

 

 

 

Les données épidémiologiques ne sont pas à mépriser au prétexte de la bonne " espérance de vie moyenne " dans les pays développés. Celle-ci témoigne certes d'une efficacité importante des efforts scientifiques, politiques, humanitaires, hygiéniques mais elle n'est pas acquise " une fois pour toutes " ; les micro-organismes pathogènes peuvent faire baisser fortement une espérance de vie, comme on le mesure aujourd'hui en Afrique australe et demain peut-être en Russie, où l'extension des pathologies liées aux Bacilles de Koch multi-résistants, à l'alcoolisme, au sida, invite la population à de rapides changements de comportements. Même enseignées, dans les collèges publics, comme des faits bruts, sans long commentaire, les corrélations scientifiques entre pathologies et comportements seraient vite comprises par les enfants, entre 11 et 14 ans, comme des indices en faveur de la morale naturelle, pour les autres comme pour soi. La sous-estimation (sincère ? rêvée ? déguisée ?) de la santé et de la vie est un discours d'adultes qui serait vil s'il visait à polluer l'esprit et la générosité des adolescents. Il y a une grande somme de " savoirs vrais " dans le domaine biomédical et singulièrement dans les enquêtes épidémiologiques contemporaines ; la prime adolescence a droit la transmission de ces savoirs. On ne voit pas quelle famille philosophique ou religieuse s'y opposerait (à moins de vouloir – pour quelle cause ? – bander les yeux de la jeunesse). Les jeunes peuvent faire leur miel tout seuls avec le pollen des faits bruts, encore faut-il le leur donner. Il ne s'agit pas de majorer les faits ; s'il y a une orientation dans la relation " pathologies / conduites de vie " aussi bien au niveau préventif qu'au niveau thérapeutique13, s'il s'agit de la présenter aux adolescents avec l'aide de l'épidémiologie contemporaine il n'est pas question de majorer indûment les bénéfices statistiques, de nier l'importance des traitements spécifiques, des produits antalgiques et anti-inflammatoires et de l'assistance fraternelle. Les informations à transmettre ont seulement pour but de donner des choix plus nombreux et plus rationnels à des jeunes capables de comprendre ce dont il s'agit avant que ne soit " structurée " leur personnalité qui se cherche. Il ne s'agit pas de contrainte puisque l'obéissance à la vérité des choses (si le terme convient) sera toujours celle de personnes douées d'une autonomie rationnelle et d'une volonté libre. Refuser l'assentiment à un réel qui, pour les chrétiens, fait parti du dessein bienveillant de Dieu, reviendrait, d'une certaine manière, à refuser d'être et de vivre. Ce choix nihiliste demeure libre et sans doute chacun le fait-il à un moment ou à un autre de sa vie...

Les données épidémiologiques ne sont pas plus contraignantes que bien d'autres. Les cimetières, les morgues, les prisons, les blessés, les handicapés, les larmes des mères, des veuves et des orphelins pourraient apparaître comme une contrainte absolue en faveur de la non-violence et de la fraternité universelle. L'histoire nous apprend hélas qu'il n'en est rien.

Il s'agit d'une orientation, d'une invitation à un supplément d'âme et de morale dans les comportements, le " reste " étant donné par surcroît à ceux et celles qui cherchent le Royaume de Dieu et sa Justice.

 

Insister sur la prévention n'est évidement pas nier tout rôle aux expériences pathologiques puisque l'épidémiologie se sert des pathologies d'autrui pour saisir situations, environnements et conduites à risque. Mais aucune expérience pathologique, personnelle ou d'autrui, n'est ici de nécessité première ; il s'agit d'utilité pédagogique et dérivée. Nous devons donc faire reculer sans cesse la masse et les conséquences des pathologies, non seulement en assurant au plus grand nombre les meilleurs soins du moment et en visitant les malades pour les soulager, mais aussi en développant la prévention reliée à la fois à des médications et à des comportements.

L'affirmation du rôle important des forces morales dans le maintien de la santé ne renvoie évidement pas à une assurance individuelle. Les comportements vertueux ne sont pas une assurance personnelle contre la survenue des pathologies. Ils diminuent statistiquement les risques. A l'inverse, un déficit plus ou moins prolongé de comportement vertueux n'annonce pas, pour une personne donnée, un malheur pathogène obligé. Conduisez-vous très vite votre voiture ? Vous vous placez dans un groupe à risque, où le surcroît de décès, blessures graves ou handicaps est démontré. Mais il ne s'agira peut-être pas de votre propre malheur, étant entendu que si vous restez dans le groupe à risque, vous serez toujours concerné, comme chaque individu du groupe. Une personne très âgée (ou un nourrisson) est située dans un groupe à risque du seul fait de sa dépendance vis-à-vis de son entourage, qui porte ici une responsabilité éthique. Est-elle laissée seule trop longtemps par un temps caniculaire ? Elle passe dans un groupe à risque plus élevé, où cependant tous les individus ne décéderont pas du " coup de chaleur ". Avez-vous reçu ou donné du papillomavirus ? Vous-même ou les personnes concernées n'aurez peut-être pas de cancer mais celui-ci est en fort surnombre dans le groupe infecté par rapport au groupe indemne.

Dans toutes ces situations, est-il nécessaire d'y insister, il ne s'agit nullement de punition des personnes, puisque tout reste aléatoire dans un groupe à risque et qu'il n'existe pas de distribution des événements que l'on puisse appeler juste ou injuste. Les faits sont statistiques : tout se passe comme s'il s'agissait d'une orientation de nos comportements éthiques, ou d'une sorte d'affirmation tranquille de l'unité naturelle entre ce qui est saint et sain. Il n'y a pas de chantage mais un ordre rationnel donné à des personnes rationnelles. Cette rationalité n'est pas incompatible avec les prières de demande que les croyants font les uns pour les autres ou pour eux-mêmes si l'efficacité d'une prière passe, d'une manière ou d'une autre, par des changements de comportement, selon une sorte de théologie de la participation.

Mais si les choses de la santé, par delà tous les malheurs advenus ou à venir, promettent, comme toute chose, satisfaction avec une morale persévérante, cette dernière peut-elle se soutenir seule, face à la force conjointe des pulsions et des servitudes culturelles, armée de la seule pensée des comparaisons ?

Dans un monde qui aime les corrélations quantifiées et scientifiquement établies, l'épidémiologie contemporaine constitue certes une aide précieuse arrivant à point nommé.

" Plus la science est rigoureuse, précise, démonstrative, strictement scientifique " écrivait la philosophe et mystique Simone Weil, " plus devient manifeste le caractère essentiellement providentiel de l'ordre du monde " . L'ordre du Christ, on le sait, coïncidait pour elle avec l'ordre du monde, révélé par grâce et par avance aux Hébreux et, d'une autre manière, aux Grecs. Elle voyait le Christ était originairement dans les lois du monde, comme l'avait enseigné Saint-Paul, dans l'épître aux Colossiens (1, 15) : " Tout a été créé par Lui et pour Lui ". Mais l'instable, le pulsionnel, parfois l'irrationnel en l'homme et le " culturel " font obstacle à la volonté d'infléchir ce qui est déséquilibré ou erroné dans les comportements. Dans Philosophie de la santé le philosophe H.G. Gadamer, récemment disparu, écrivait : " les hommes doivent réapprendre que tous les troubles de la santé, tous les bobos, et même toutes les infections sont en réalité des avertissements signalant que juste mesure et point d'équilibre doivent être retrouvés ". Avertissements, signalisations salutaires, c'est précisément ce qu'enseigne l'épidémiologie analytique. Retrouver " juste mesure et point d'équilibre " : mais avec quelles forces ? Tout changement de direction ou de vitesse demande des forces, dans la gouvernance de la vie comme dans celle des choses physiques. Où les trouver en soi ou chez les autres, sinon dans les motivations religieuses, puisque l'humanisme a-religieux a largement prouvé son insuffisance foncière dans le problème du maintien des forces morales ?

Si, nolens volens, l'épidémiologie continue de révéler des faits qui valident la morale naturelle, ce qui est probable, beaucoup auront l'intention de s'y conformer sur un point ou sur un autre et pour un temps donné. Mais en l'absence de forces religieuses, auront-ils la persévérance, à laquelle les fruits sont promis ? Nos faiblesses ne rendent certes pas facile le respect des principes éthiques même avec les forces religieuses évoquées par Pie XII, saint Paul s'en plaignait : " je fais le mal que je ne veux pas et je ne fais pas le bien que je veux ". Cependant, la " morale naturelle ", adossée à ses principes n'excède pas, avec le secours de la grâce, le " courage d'être " de la prime adolescence, age où vouloir-valoir, vouloir-être et vouloir-vivre vont ensemble.

Au total, le réel biomédical s'avère " réel utile ", les corrélations épidémiologiques entre comportement moral et pathologies méritent diffusion dans les collèges et lycées de manière synthétique et sans rétention au nom du " politiquement correct ". Les établissements catholiques pourraient, au besoin, montrer l'exemple, aidés par des épidémiologistes universitaires.

Les corrélations que nous avons esquissées peuvent aussi avoir part à l'argumentation apologétique de l'Église et contribuer à objectiver l'unité entre la causalité des faits approchées par les sciences positives et l'ordre divin des choses.

 

Il y a dans mon propos un appel à la liberté responsable. Certains la nient, mais la négation de la liberté n'est opposable à personne. Hannah Arendt a justement écrit dans La crise de la culture : " la liberté de conscience et le libre-arbitre s'expérimentent dans la demeure intérieure de chacun ". L'écart, de génération en génération, entre l'éducation reçue et l'éducation donnée souligne d'ailleurs la capacité de réflexion et la liberté humaines. Concluant, j'espère avoir atteint mon premier but, plaider efficacement pour la diffusion complète de données utiles aux bons comportements sanitaires. Pour le second, qui concerne la morale, ce sont les principes éthiques qui plaident pour eux-mêmes auprès de l'universelle raison et de l'unique logique, à travers le dévoilement des données biomédicales. Il reste à tester directement les forces religieuses utiles au maintien de la santé ; des données viendront.

 

R. L.