YVES-MARIE LAULAN TRANSFORME UN SLOGAN publicitaire en question vitale. Ce Demain, la femme n'usurpe pas sa place en première de couverture. Il surgit sous un surtitre solennel et angoissé : " Pour la survie du monde occidental ", dans un chatoiement de robes aux couleurs printanières.
Une volonté persistante de procréation de la part des femmes marquerait la permanence de l'instinct de survie de notre monde revenu de tout. Voilà un point d'appui solide pour rebondir et tempérer le noir pessimisme des Nations suicidaires (François-Xavier de Guibert, 1998). Or cette volonté féminine serait culturellement contrariée. Yves-Marie Laulan parle de " fécondité bloquée ", mesurée par la différence entre la fécondité souhaitée des femmes en âge de procréer et leur fécondité réelle. Cette fécondité ne demanderait qu'à être libérée.
Mais à la lecture des chiffres, le titre écrase le sous-titre, la trille s'étrangle, le chatoiement se ternit. Ce printemps n'est qu'une hirondelle, l'" hiver démographique " apparaît sans retour. L'auteur découragé force la note finale : " Nous avons perdu l'espoir, il nous reste l'espérance " posant un " acte de volontarisme que rien ne justifie vraiment " sinon " le besoin de croire ".
Désir d'enfant
Bonne humeur de façade et ironie sont-elles le masque trompeur d'une interrogation sans réponse ? L'auteur pose d'emblée l'enjeu à sa juste place. Si le fil ténu du désir d'enfant que porte encore en elle la femme occidentale, se rompait, l'Occident, sa civilisation, ses valeurs, irait à sa perte. La réponse est essentielle parce que " l'Occident est indispensable au monde [...]. Grâce à l'Occident judéo-chrétien [...] façonné dans la matrice de la pensée grecque [...] l'histoire des hommes a désormais un sens " (p. 13). Dans l'effondrement général des valeurs, c'est ce désir de fécondité qui semble, sous les éboulis, avoir le mieux résisté.
L'auteur devrait distinguer valeur et instinct et dire qu'à côté des valeurs effondrées dans le doute, le soupçon, la dérision, la liberté moderne effrénée a atteint ses limites ontologiques où l'être de culture et de valeurs se dissout, où seuls les instincts — les bons comme les mauvais — subsistent encore. Mais, bon ! l'élan vital mis à mal par le mal-être et la désacralisation de la vie même, résiste donc dans une petite niche, une anfractuosité de roche dure. C'est un miracle que ce différentiel : malgré le pilonnage féministe et malthusien, les femmes souhaitent en moyenne plus d'enfants (2,1) qu'elles n'en ont (1,42) (chiffres de l'Europe des Quinze).
L'analyse que donne Yves-Marie Laulan des causes et conséquences de l'effondrement de la natalité en France et en Europe, est une donnée immédiate que ne conteste plus aucun démographe sérieux. On ne peut plus faire mentir les chiffres. La pilule et la totale maîtrise de son corps par la femme en fait de reproduction ont causé de tels ravages démographiques dans notre civilisation que " depuis l'invention de la poudre à canon et des armes à feu qui ont donné à l'Occident la maîtrise du monde, il n'y a guère d'invention qui aura joué un rôle géopolitique aussi important dans l'histoire de la planète " (p. 34).
L'Europe des Quinze, c'était 13,7 % de la population mondiale en 1900. C'est 6,2 % en 2000, apports migratoires compris. La fécondité moyenne en Europe est de 1,42 % (entre 1,8 et 1,1). Si ces taux perduraient, des pays comme l'Espagne (1,1), l'Italie (1,2) seraient voués à la disparition. L'Allemagne (1,25) ne compterait plus que 22 millions d'habitants en 2100, soit moins que la Prusse en 1866. " L'Europe est le seul continent qui continue d'avoir un taux d'accroissement négatif, le seul qui n'assure pas le remplacement de sa population " (p. 113).
Mono-parentalité
Puis l'idéologie s'est emparée de la technique et a poussé ses pions malsains dans le domaine de la morale sociale. La contraception a été théorisée à la mode révolutionnaire, c'est-à-dire avec beaucoup d'excès. La femme triompherait enfin de " siècles d'esclavage " (voir Aragon chanté par Ferrat dans La femme est l'avenir de l'homme, quelle référence !). Le féminisme militant et la libération des mœurs ont ringardisé la mère au foyer mais rendu exténuant le quotidien d'une femme au travail qui veut aussi remplir son rôle de mère et doit accomplir deux journées en une.
L'image de la femme active et moderne ainsi sur-valorisée, les reports de maternité se multiplient. Pas de grossesse au moment d'un emploi, d'une mutation, d'une promotion. Le célibat gagne, la période de fécondité en couple stable se restreint, les compagnonnages éphémères se développent au détriment du nombre et de l'équilibre des enfants. Le marketing à son tour s'est saisi de l'idéologie. Sans vergogne. Là où il y a de la gêne, il n'y a pas de profit ! La femme libérée ne peut que montrer un corps parfait. Les médias complaisants renvoient ce mythe inaccessible aux femmes démunies socialement ou au physique ingrat, et suscitent fantasmes ou frustrations.
Face à " la femme moderne en majesté ", l'image du père se dévalorise au détriment de l'équilibre du couple et des enfants. On assiste à la " destruction contemporaine de l'homme " en tant que mari, père et chef de famille. Un telle déstructuration de la famille traditionnelle a entraîné une augmentation rapide de la mono-parentalité des femmes. L'absence du père est d'" une incidence dramatique sur les adolescents d'aujourd'hui " (p. 94). La violence à l'école n'est pas le moindre signe de ces décennies de dérèglements sociétaux.
Quand deux tiers des couples divorcent en région parisienne, la pression sociale n'est plus à la culpabilisation, horrible mot, mais à la justification. La famille traditionnelle, cellule sociale de base, est banalisée, mise en concurrence avec les nouvelles formes de " familles ", dites recomposées, on dira maintenant " tribales " parce que " tribu " sent gentiment son petit air festif et écolo, vient du fond des âges gaulois et rassure les psychismes fragiles et sevrés de repères de nos bobos urbains.
Immigration, remède mirage
Les conséquences économiques et culturelles de ces effondrements de fécondité sont inéluctables. Yves-Marie Laulan cite le cercle vertueux d'avant : croissance démographique, croissance économique, emploi, remplacé aujourd'hui par la boucle vicieuse : stagnation économique, découragement à fonder une famille, chute de la natalité, stagnation économique, que ne résout pas une immigration massive d'adultes. L'auteur critique le malthusianisme quasi-officiel de l'Europe de Bruxelles qui n'a jamais lancé, elle qui en général s'occupe de tout, une quelconque politique de la famille ou de la natalité. Il cite Emmanuel Todd (l'Illusion économique, Gallimard) : " Cette absence d'intérêt [...] est en soi un phénomène idéologique capital. "
Puisqu'on ne peut plus jouer avec les chiffres, c'est dans les solutions proposées que les avis divergent, que les positions idéologiques et politiques reprennent le dessus et que refleurissent langue de bois et politiquement correct. Laulan dénonce une fausse solution miracle : l'immigration d'adultes massive, et une autosatisfaction injustifiée des élites françaises : elles auraient réussi l'assimilation des immigrés de la deuxième génération. Il tente de donner des solutions pragmatiques. Toutefois certaines y épousent de si près la réalité ambiante qu'elles y restent scotchées et ferment des perspectives à peine ouvertes. Nous y reviendrons.
L'auteur cite le rapport de l'ONU de janvier 2000 — qui a fait grand bruit. Ce rapport évalue à 159 millions (dont 23 millions en France) le nombre d'immigrés auxquels l'Europe devrait faire appel au cours des 25 prochaines années pour conserver le strict rapport actuel entre actifs et retraités. Il faudrait être suprêmement angélique et adepte convaincu du " tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil " pour ne pas redouter les tensions raciales, disons communautaires ou " ethno-culturelles " pour satisfaire les hypocrites du choix des mots, qu'une telle arrivée massive engendrerait, en France, en Allemagne, en Grande Bretagne, au Danemark, etc. Et puis, les immigrés — qui sont des personnes, ne pas l'oublier ! — ne sont pas un bien fongible qui se répartirait, avec une fluidité parfaite, aux postes et emplois précis laissés vacants par nos compatriotes retraités sans enfants. Ils sont dans l'immense majorité sans qualification et alourdissent le chômage sans combler les besoins.
Surtout, ce remède miracle est un remède mirage : pour compenser les classes creuses, il faut faire des enfants, non faire venir des adultes. Au prix de quelques emplois momentanément confortés, ceux-ci ajoutent des classes entières à nos classes vieillissantes qu'ils étaient censés venir financer. La relance de la natalité sans " déchirure ethnique de grande ampleur " est ainsi prioritaire. Mais que faire quand on n'a plus foi en soi-même ?
Rétro-colonialisme
Un débat qui s'installe depuis peu en Allemagne illustre les contradictions du capitalisme de nos voisins, partagé entre la volonté de maintenir ses liens avec sa culture nationale et les exigences de la mondialisation, qui suscitent de plus en plus une culture d'entreprise " hors-sol ". L'Allemagne est opposée, à juste titre pensons-nous, à la candidature de la Turquie à l'Union européenne au motif que ses apports à la culture de l'Europe sont quasi-inexistants, mais se dit prête à " importer ", en raison de sa fécondité désastreuse, des dizaines de milliers d'informaticiens et cadres turcs.
Dans L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine soulignait grosso modo l'inéluctabilité du colonialisme comme seul exutoire possible, pour maintenir les profits, d'une production menacée d'asphyxie par l'accumulation indéfinie du capital. Il se trompait de sens. C'est la rétro-colonisation qui est le stade suprême du capitalisme européen de 2002 et des sociétés et des mentalités qu'il a contribué à forger, repues, assistées et stériles.
Pour nidifier, une espèce volatile a besoin de calme et d'absence de danger. L'espèce humaine — qui pense, comme chacun sait — doit en outre croire à sa propre survie. Une immigration massive, suivie d'une intégration ratée par une société d'accueil qui, ne croyant plus en elle-même, n'a plus de sens à offrir, est un facteur stressant et stérilisant. Voilà une autre boucle vicieuse que la stricte boucle économique citée plus haut.
C'est à bon droit qu'Yves-Marie Laulan préconise de n'utiliser, à titre transitoire, qu'une immigration voulue et non subie : " Une immigration ciblée, sélective et maîtrisée de main d'œuvre qualifiée [...] le temps nécessaire pour que la politique familiale porte ses fruits. " J'ajouterais " et pour que les Européens retrouvent le sens de leur propre existence ". On en est loin, tant est insupportable l'autosatisfaction des élites sur l'assimilation des immigrés. Ce confort intellectuel ne mène pas au ressaisissement. Quel aveuglement !
Yves-Marie Laulan insiste aussi sur le problème majeur que constitue pour la France aujourd'hui moins l'immigration adulte présente qui produira ses effets négatifs dans 10 ou 15 ans, que " les fruits tardifs et amers de l'immigration passée " de ces 25 dernières années. Cinq millions d'immigrés ou d'enfants d'immigrés de la première génération, venant d'Afrique du Nord ou d'Afrique Noire, se concentrent en certains points du territoire jusqu'à former plus de 50 % de la population de tel ou tel département d'Ile-de-France. Ce processus de ghettoïsation, les violences et déculturations qu'il a induites, signe l'échec des politiques d'accueil et d'insertion des immigrés dans la société française.
Autre signe de cet échec : ces politiques commencent à dériver en suivant la pente américaine, vers la discrimination positive (affirmative action), c'est-à-dire la substitution d'une pseudo-équité imposée à des opinions infantilisées, à l'égalité enseignée à des peuples adultes. Il y a un relent totalitaire, allez ! disons utopique pour ne pas fâcher, dans cet effort d'imposer la société idéale, par " la force injuste de la loi ", à une réalité sociale qui se dérobe. Des arguments usés sont ressassés, que personne n'entend : " Les immigrés occupent des emplois dont les français ne veulent plus ; les immigrés financent nos retraites et compensent notre déficit de natalité (voir plus haut) ", etc. On ment aussi, par omission : la distinction entre immigration d'origine européenne ou asiatique, qui s'assimile mieux, et immigration arabo-musulmane, n'est pas faite.
Les médias ajoutent au mensonge ambiant leur complaisance sémantique envers le mot racisme.
Libérer le désir
Dans cette peinture de l'assimilation ratée, ce ne sont pas les immigrés qui sont en cause, mais les Français. Assimiler c'est acculturer, mais acculturer à quoi ? Le libéralisme/libertarisme de nos sociétés occidentales n'offre à des populations récentes aux fortes racines culturelles, que " le miroir repoussant d'une société riche, dépravée, dégénérée et corrompue ". Une intégration réussie, c'est une immigration raisonnable dans un pays en croissance démographique, donc économique. Au sein d'une population en décroissance accélérée, l'immigration aggrave les déséquilibres sociaux, politiques et culturels.
Pour tenter de sauver ce qui peut l'être, l'auteur préconise de partir de l'existant. Le passé est le passé. Pour libérer ce désir d'enfant, ce " différentiel " qui subsiste chez le plupart des femmes mais qui paraît si fragile, il veut procéder avec doigté, éviter tout choc frontal avec la culture, l'idéologie, la morale dominantes, et aller à l'essentiel.
Son but premier, qui se veut modeste, est de réunir " les conditions propres à rétablir une fécondité minimale... susceptible d'assurer la survie de la collectivité ". " On ne reviendra pas sur l'évolution des mœurs... qui ont changé pour le meilleur et pour le pire " (p. 108). " On tiendra compte de la transformation profonde de la condition féminine ", notamment du travail des femmes (p. 69). On ne mènera pas de politique "exclusivement centrée sur la famille... ". On " respectera la liberté du choix des femmes devenues maîtresses de leur fécondité ", etc.
L'auteur a raison en principe. Pour faire passer inaperçue une réforme profonde, éviter ainsi la vue sinon les aboiements féroces des chiens de garde de la nomenklatura politico-intellectualo-médiatique, il faut l'habiller des couleurs du temps, technicité, réalisme, sens pratique, qui sont à une idée forte ce que la couleur muraille est à un évadé en cavale : sa seule chance de succès. Ainsi couverts des fards et des colifichets que requiert l'incognito moderne, pénètrerons-nous dans la place de l'anti-natalisme à la barbe de ses cerbères et tenterons-nous l'aventure ? Après tout, on ne remonte un escalier que par les dernières marches descendues.
Nous suivrons l'auteur sur la co-parentalité et la responsabilité des entreprises, comme sur beaucoup d'autres choses. Nous ne le suivrons pas sur l'opposition périlleuse qu'il dresse entre famille et mariage.
Co-parentalité
Jusqu'à ces dernières années, la représentation sociale du mariage, ou au moins de la vie ensemble, privilégiait l'épanouissement du couple. Les ravages que la montée vertigineuse des séparations et de la mono-parentalité maternelle causèrent au psychisme des enfants ont fait timidement réfléchir à une notion importée de Suède (p. 96) : la co-parentalité. L'auteur cite, pour en approuver les grandes lignes, un rapport au garde des Sceaux de septembre 1999 sur la rénovation du droit de la famille. Ce rapport est à l'origine du projet de loi sur l'autorité parentale (discuté au Parlement en janvier 2002). Il fallait à ce concept un passeport suédois pour entrer au grand jour dans le dispositif législatif français, tant la mono-parentalité maternelle est d'origine féministe. Mais ce qui vient de Suède et de son laboratoire sociétal, est intouchable pour la gauche branchée. Profitons-en !
Quelles que soient les vicissitudes du couple, la famille minimale, c'est-à-dire le lien père-mère-enfant(s) doit rester visible. " L'enfant doit conserver ses deux parents, qu'ils soient mariés, non mariés, séparés... il a droit à la permanence de son identité, quelles que soient les perturbations ou les ruptures qui peuvent affecter la vie du couple dont il est originaire. " (p. 107). La co-parentalité permet de restaurer le père comme acteur fondamental de la famille, au-delà d'un divorce. Le projet de loi en discussion est allé dans ce sens puisqu'il établira, hors défaillance caractérisée, l'exercice égal de l'autorité parentale par le père et la mère. " Quand les peuples n'ont plus de mœurs, ils font des lois ". C'est un pis-aller, constate Yves Marie Laulan. Mais il vaut mieux que rien en attendant mieux que lui.
Voilà pour la trousse juridique des premiers secours, dans laquelle l'auteur place aussi un véritable statut de la mère au foyer, qui a droit à la reconnaissance sociale au même titre que celle qui travaille.
La responsabilité des entreprises
En ce qui concerne le financement de cette nouvelle politique de l'enfant, l'auteur appelle de ses vœux la mise en place d'un véritable Plan Marshall tant l'enjeu est gros. Il en appelle aussi à la responsabilité des entreprises. Non sans courage tant nous sommes aujourd'hui baignés de CAC 40 et de profit warnings !
Le capitalisme ne peut être uniquement libéral. Il doit être aussi social, c'est-à-dire aider la société, non accompagner son dépeuplement, puis sa décomposition. Qu'on habille ce rôle social, pour respecter les canons libéraux, en intérêt stratégique à long terme ou qu'on appelle un chat un chat, il reste que l'entreprise, sensibilisée depuis longtemps aux questions environnementales, doit se tourner d'elle-même vers la question démographique. Mais il semblerait que la dépollution des rivières et la survie des petits poissons — ce qui est déjà bien — leur importe davantage que celle de leurs concitoyens. Les lobbies écolos seraient-ils plus puissants que les lobbies natalistes ? Ce n'est qu'une impression.
Pourtant, s'il y a chez les chefs d'entreprise occidentaux une conscience de leur propre culture, la volonté que leurs entreprises, qui se mondialisent, ne se transforment pas en nouveaux Léviathans incultes, en pompes d'aspiration/refoulement d'une pâte humaine mixable et malaxable à merci, multiculturalisée au dernier chic du management, ils se le doivent à eux-mêmes. Et ils se le doivent sans intervention lourde de l'État. Car ils ne peuvent non plus être engoncés dans un carcan réglementaire où cette grande cause de la natalité occidentale ne serait qu'un prétexte de plus aux sempiternelles déclamations socialistes sur le " faites payer les riches ". Voilà un enjeu de la refondation sociale que le Medef devrait méditer au lieu de considérer que les allocations familiales ne le concernent pas.
La gauche pourra lui dire " qu'en Suède, Monsieur " la politique familiale si efficace des années 1980 a été financée à 85 % par les entreprises, sans faillite retentissante.
Le mariage contre la famille ?
Last but not least, l'auteur nous permettra un profond désaccord sur sa distinction toute personnelle, et qu'il considère lui-même comme paradoxale (p. 99), entre mariage et famille.
Oui, la famille est un lien social immémorial que la sagesse des nations a institutionnalisé — et l'Église sacralisé — par le mariage comme le meilleur moyen de protection, donc de perpétuation de l'espèce, le meilleur repère qui inscrive l'homme dans la durée, donc dans la stabilité, donc dans la paix, donc dans la fécondité. Yves-Marie Laulan constate à bon droit " la ruine progressive " du mariage dans les sociétés occidentales. Mais il le constate pour s'en réjouir, le considérant comme la cause première de la dévaluation de la famille et de la dénatalité ! " Le mariage, tel qu'il est conçu aujourd'hui, est bien devenu une source de déstabilisation sociale et de stérilité " (p. 106).
Le mariage serait en faillite parce qu'il est difficile et pénible de divorcer, tant aux plans psychologique et moral que financier et juridique (en raison du divorce pour faute, quoique celui-ci soit en cours de suppression). Autant dire que la bonne santé nuit au corps humain parce qu'on se relève difficilement d'un cancer, ou que le travail est à proscrire parce que le chômage est invivable !
C'est la montée de l'individualisme, sur lequel il y aurait beaucoup à dire, non le mariage, qui a distendu les liens sociaux, amené la tyrannie de l'instant et de l'instinct, supprimé les perspectives, repoussé et désacralisé tout engagement durable, fait du divorce, exceptionnel jusqu'aux années 1950, un fait majeur de société. Sous ces coups de boutoir, l'institution du mariage s'est affaissée. Mais elle n'est pas morte. C'est un miracle même qu'elle résiste encore — tant est forte la volonté de survie — et qu'elle soit en bonne place dans les projets d'avenir des jeunes, trop peu répertoriés.
Il y aurait à rapprocher ce différentiel intentions/réalités du mariage des jeunes, de celui si juste sur la fécondité, qui porte tout l'ouvrage. Il y a une nuptialité bloquée comme il y a une fécondité bloquée. Mais la pression culturelle et médiatique en faveur du divorce au nom d'une prétendue liberté, étouffe sous la dérision et le conformisme, les aspirations des jeunes aussi bien que les voix autorisées qui tentent de les soutenir. L'auteur semble ployer sous le joug. Puisque la grande faute du mariage est la difficulté d'en sortir et que l'union libre, qui peut être aussi durable, supprime cette contrainte, il faut institutionnaliser l'union libre comme " le nouveau mariage " !
Il importe peu — l'auteur le constate lui-même pourtant — que " les couples de concubins soient notoirement moins féconds que les couples mariés " (p. 106). La nouvelle " institution " est parée de toutes les vertus : " On rentrera d'autant plus facilement dans le nouveau mariage que l'on saura par avance qu'il sera également aisé d'en sortir " (p. 109). À la bonne heure ! Avec toutes ces portes qui claquent, on mettra aussi son cache-nez, gare aux courants d'air...
Cette prestidigitation me donne le tournis. Ni mariage-mirage, ni mariage-Potemkine, ni mariage-placebo, ni mariage-si-ça-ne-fait-pas-de-bien-ça-ne-peut-pas-faire-de-mal, le mariage est engagement et don. S'il n'est pas nouveau, il sera toujours neuf parce qu'il allie humilité et charité, les deux antidotes les plus urgents aux fléaux actuels de l'orgueil et de l'individualisme. Par l'engagement qu'ils se donnent en public, les mariés disent à leur entourage, à leurs relations, à l'Église, à la société : " Tu m'es témoin ! " Ce témoignage les fortifie.
Hors cela, il n'y a que sable qui croule et qui assoiffe, et l'écume des jours rend amer le temps qui passe.
B. DE V.