LIBERTE POLITIQUE n° 42, automne 2008.

Par Patrice de Plunkett. L'écologie véritable n'est ni secte, ni songe. Son domaine est le réalisme et le bien commun, sous une forme nouvelle. Elle offre un terrain de dialogue et d'action entre croyants et incroyants, proposant un art de vivre dont le  code génétique  est proche des Évangiles.

 

DANS CERTAINS MILIEUX, l'écologie est anathème. Ce rejet vise d'abord les personnes (les écologistes) : on les confond avec le parti des Verts, déclaré imbuvable puisque c'est celui de Noël Mamère. Si l'on en vient à évoquer aussi les idées écologiques, on les réduit à une certaine  hypothèse Gaïa , dont on ne sait rien mais qu'on suppose païenne : ce qui permet d'enterrer le dossier.
Mais ces caricatures ne décrivent pas l'écologie véritable. Elle n'est ni secte, ni songe. Son domaine est le réalisme et le bien commun, sous une forme nouvelle. L'écologie offre un terrain de dialogue et d'action entre croyants et incroyants, tout en ayant de profondes racines bibliques. Elle propose un art de vivre dont le  code génétique  est proche des Évangiles. Jean-Paul II et Benoît XVI ont donné leur caution à l'écologie, et sa dimension plénière se trouve dans saint Paul...
Ce que disait déjà Claudel, et ce que disent les papes
Paul Claudel, génie catholique du XXe siècle, fut un prophète de l'écologie. Ses textes ne devraient pas être ignorés : Jean Bastaire les a évoqués au cours de grandes conférences de Carême à Fourvière en 2005.
Le productivisme industriel, écrivait Claudel dès les années 1930...

... est en train de dévorer toute la création avec ses dents de fer. Partout autour de nous, que de détritus, de décombres, d'ossements de matériaux usés que nous foulons sous nos pieds ! toute la nature souillée et abîmée avec nos affiches, nos usines et nos pompes à essence[1] ! Envers les États-Unis, où il fut ambassadeur, il se montre d'une sévérité redoutable : La même gabegie criminelle a présidé à l'exploitation des ressources naturelles et animales, des castors, des troupeaux de bisons, des vols de canards et de pigeons sauvages radicalement exterminés, des pêcheries empoisonnées par les égouts, par les usines et par le mazout, des réservoirs de gaz naturel et de pétrole livrés sans aucun contrôle aux pirateries du premier occupant[2]...Sur le capitalisme en lui-même : Le principe de notre civilisation, c'est le numéraire, l'alchimie maudite qui volatilise toute chose et transforme en une inscription servile, sur le front de l'homme, le nom de Dieu. Autrefois, l'argent n'était qu'un appoint. Aujourd'hui, c'est l'élément universel en qui tout existe et vaut[3]...Sur le rôle de l'homme envers la nature : Tout ce que Dieu nous donne, il y a un devoir, un ordre, un art de le ménager, pour que nous gardions cela qui n'est à nous que pour que nous ayons un moyen de payer à Dieu redevance. Il ne s'agit pas de violenter la terre [...] mais de l'interroger avec douceur, et de lui suggérer le vin et l'huile[4]...
Et sur nos fins dernières : Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel. La création tout entière ayant l'homme pour porte-parole demande à être libérée des causes secondes et à recevoir enfin directement sur sa surface purifiée l'image de cet Inventeur qui l'a faite pour y multiplier sa ressemblance[5]...Hier, Claudel. Aujourd'hui : les  papes verts ...
D'abord Jean-Paul II et ses manifestes écologiques flamboyants, comme le message pour la Journée de la paix du 1er janvier 1990 : Face à la dégradation générale de l'environnement, l'humanité se rend compte désormais que l'on ne peut continuer à utiliser les biens de la Terre comme par le passé [...] On assiste ainsi à la formation d'une conscience écologique qu'il ne faut pas freiner, mais favoriser, en sorte qu'elle se développe et mûrisse en trouvant dans des programmes et des initiatives concrets l'expression qui convient ! [...] La destruction progressive de la couche d'ozone, et l'effet de serre qu'elle provoque, ont atteint désormais des dimensions critiques par suite du développement constant des industries, des grandes concentrations urbaines et de la consommation d'énergie. Les déchets industriels, les gaz produits par la combustion des carburants fossiles, la déforestation incontrôlée, l'usage de certains types de désherbants, de produits réfrigérants et de combustibles de propulsion, tout cela, on le sait, nuit à l'atmosphère et à l'environnement. Il en résulte de multiples altérations météorologiques et atmosphériques dont les effets vont des atteintes à la santé jusqu'à l'immersion possible, dans l'avenir, des terres basses ! Après Jean-Paul II, Benoît XVI. Les catholiques devraient connaître la lettre chaleureuse écrite à L'Ecologiste par le cardinal Ratzinger... Le futur pape remercie la revue d'avoir rendu compte avec sympathie de son étude sur la dimension cosmique de la liturgie[6]. Il ajoute : J'espère que cette publication servira à un approfondissement du dialogue entre la théologie catholique et les diverses pensées écologiques, et éveillera au sein de l'Église une décisive prise de conscience de la responsabilité envers la Terre, devant le Créateur. Sous la plume de Josef Ratzinger, chaque mot compte. Il appelle à un dialogue entre la théologie et  les diverses pensées écologiques  : donc avec tous les courants écologiques ! (La doctrine sociale de l'Église n'est pas la charte d'un club. Si l'on devait ne dialoguer qu'entre gens d'accord, où serait l'intérêt ?) On reconnaît l'audace intellectuelle, spirituelle et politique qui caractérise la démarche ratzingerienne.
Benoît XVI a parlé d'une  révolution de Dieu  dès les JMJ de Cologne, en 2005.
En économie, il a appelé à  changer le modèle de développement global , lors de son Angelus du 12 novembre 2006. Il a attaqué  une conception inhumaine du développement  lors de son message pour la Journée de la Paix du 1er janvier 2007.
En écologie, il a exhorté les cinq cent mille jeunes du rassemblement de Lorette, le 2 septembre 2007, à  des choix courageux pour recréer une solide alliance entre l'homme et la Terre avant qu'il ne soit trop tard . Il les a poussés à  un engagement puissant pour inverser les tendances qui risquent de conduire à des situations de dégradations irréversibles . Là aussi chaque mot compte ! Le pape a dit, en toutes lettres :  avant qu'il ne soit trop tard . Il a dit :  dégradations irréversibles . C'est la perspective que les conservateurs taxent de  catastrophisme  lorsqu'ils l'entendent exprimer par les écologistes... L'entendant dans la bouche du pape, ils n'osent prononcer leur condamnation habituelle – mais font comme s'ils n'avaient rien entendu.
Pourtant on a profit à entendre. Dans le domaine spirituel d'abord : laissons l'Église mettre en question nos réflexes de milieu. Nous crions au  catastrophisme  dès qu'on nous parle des risques infligés au monde par le système économique, et nous déclarons impossible (a priori) l'existence de responsabilités humaines ? Alors nous contredisons la Genèse, le Deutéronome et toute la vision biblique : car il peut exister une économie de Caïn... De même, nous oublions la finitude humaine et terrestre, nous idolâtrons le mythe d'une croissance indéfinie ? Alors nous confondons espérance et présomption, et nous ne sommes pas chrétiens.  Cet optimisme est une insulte aux pauvres , dit Bernanos. Biaiser la doctrine sociale de l'Église serait une esquive ; si nos opinions contredisent cette doctrine, mieux vaut changer nos opinions.
Dans le domaine séculier ensuite. Prenons au sérieux ce que l'Église dit de l'économie, de l'écologie, du politique : tout cela fait partie de la doctrine sociale que chaque catholique – surtout s'il se dit  fidèle au Magistère  – est censé connaître et appliquer. On est surpris de voir certains ergoter sur l'économique et l'écologique ; ils disent qu'écouter Rome en la matière serait  du fidéisme . Ils ne veulent appliquer la doctrine sociale qu'en matière de biologie humaine... Mais l'économique et le social occupent deux chapitres entiers du Compendium. L'écologique, un chapitre entier. La biologie humaine, cinq paragraphes du chapitre sur la famille ! Ne faisons pas de tri entre ces thèmes : ils sont inséparables. Tous sont nécessaires. Tous s'éclairent les uns par les autres, dans la cohérence d'une vision catholique qui est la seule véritablement  holistique  : kat'holon,  selon la totalité .

Réinventer le politique : c'est l'heure de l'écologie
En 2008, à l'heure du désarroi des experts financiers devant le chaos économique global, on serait ridicule de dire que Benoît XVI est  incompétent dans ce domaine . Le pape est l'un des hommes les mieux informés du monde. Le Vatican et ses ambassadeurs savent exactement de quoi ils parlent. Leurs remontrances aux organismes internationaux sont terriblement bien documentées. L'économie-monde saccage la nature, meurtrit les populations ; les émeutes de la faim disent que la planète est une chose trop importante pour être laissée à un capitalisme qui  perd la raison , selon le mot de Joseph Stiglitz[7]. Sauf un dernier carré de somnambules, chacun voit maintenant l'urgence d'un contrepoids.
De quel contrepoids peut-il s'agir ? Du politique. Pour l'instant il est dans le coma de la postdémocratie, phase terminale de la consomption où il s'était engagé dans les années 1990 en abdiquant au profit de l'économique. Pour ressusciter le politique, il va falloir le réinventer. C'est-à-dire lui assigner de nouveaux objectifs, à la hauteur des nouveaux enjeux – qui sont sans précédent. Seul le politique peut agir pour rééquilibrer le monde : il lui faut non seulement reprendre le contrôle de l'économique, mais en modifier le paradigme.  Changer le modèle global , dit Benoît XVI !
C'est ici que l'écologie fournit au politique son nouvel horizon.
L'écologie n'est pas une secte, quoi qu'en disent de vieux sites de propagande neocon (qui sortent de son contexte un exposé du P. Verlinde sur le défunt New Age[8]). L'écologie n'est pas non plus une utopie... Il y a des écologistes utopiques ou sectaires, comme il y a des PDG voleurs et des catholiques fous : mais prendre les déviances pour la norme serait inadéquat.
L'écologie mérite d'être considérée pour ce qu'elle est réellement. C'est une science pluridisciplinaire qui étudie tous les aspects de la vie sur Terre : l'ensemble des interactions des espèces et de leur environnement. Ces interactions ne sont pas seulement physiques. Elles incluent les cultures, les spiritualités, les conceptions du rôle de l'homme dans la nature ; une écologie véritable ne combat pas les religions, elle les prend en compte. Son objet est de dégager les conditions de l'harmonie du monde. L'écologie n'est donc pas seulement naturelle ou physique : elle est aussi humaine. Elle concerne notre art de vivre, nos diverses  façons d'être au monde , avec leurs impacts sur l'homme et l'environnement – qui dépendent largement de la forme des sociétés, de leur culture et de leur économie.
Une économie est équilibrée si elle compose avec les forces non-économiques. Une économie sans contrepoids devient une machine aveugle lâchée sur le monde.
Or c'est le stade où nous en sommes aujourd'hui – et c'est précisément la situation qui doit être modifiée sous peine de  dégradations irréversibles , dit Benoît XVI. Le politique du XXIe siècle aura parmi ses missions principales l'écologie : l'ajustement des sociétés (et de l'économie) aux conditions d'un nouvel équilibre dynamique entre l'homme et la biosphère. Le sort des Terriens en dépendra. Il n'y a donc pas de tâche plus haute, pour des responsables politiques – ni plus conforme à l'esprit de la Genèse.
Fructifier, multiplier, être les jardiniers et les bergers du monde : cette idée relativise les agitations pseudo-politiques de la fin du XXe siècle, dont on voit les derniers soubresauts.
L'écologie pertinente est l'écologie  radicale . Ce mot ne veut pas dire :  extrême , mais :  à la racine . L'écologie veut éradiquer ce qui nuit au monde où vit l'homme : le productivisme illimité, l'économie échappant à l'homme, s'emparant du monde, ne rendant plus de comptes qu'à elle-même ; l'homme devenant un matériau, jetable (sous sa forme de salarié) et formatable (sous sa forme de consommateur) ; au stade final, l'économie réelle asservie à la finance virtuelle, la production concrète n'étant plus – dans chaque grande société transnationale – qu'un moyen  d'optimiser la rentabilité financière et donc le cours de l'action en Bourse [...], pour pouvoir attirer de nouveaux capitaux qui lui permettront de poursuivre son développement, et ainsi de suite[9] . Aux yeux de ces firmes, le métier – la production – n'est plus qu'une activité transitoire et délocalisée, destinée à être vite lâchée pour d'autres métiers transitoires encore plus rentables. Une telle fuite en avant s'accompagne d'irresponsabilité envers les impacts concrets (écologiques et sociaux) de ces activités successives. L'économie casino est une malédiction pour l'homme et pour la nature ; l'écologie milite donc pour un autre modèle : une économie à dimension humaine, re-localisée, libérée du productivisme aveugle et de la financiarisation nomade.
Seul le politique ressuscité pourrait opérer cette révolution.
L'écologie radicale est donc une écologie politique : ça ne veut pas dire une écologie au service de la politique, comme chez Mme Voynet, mais une politique au service de l'écologie, qui est une forme du bien commun.
Ce service converge avec la pensée catholique. Il en est même issu sans le savoir. Re-localiser et ré-humaniser l'économie, c'est ce que veut l'écologie radicale – mais c'était le message de Small is beautiful (1973)[10] ! Ce livre de Fritz Schumacher fut la bible de deux générations d'écologistes, qui le lisaient sans se rendre compte que c'était un traité d'économie chrétienne, œuvre d'un économiste international converti au catholicisme par la pensée sociale des papes. Une synergie inconsciente entre chrétiens et écologistes s'était ainsi amorcée. Il n'y a qu'à la développer aujourd'hui :  solidarité et partage , a dit Benoît XVI dans son homélie du 15 juin 2008 à Brindisi... On va voir éclore une nouvelle – et cette fois authentique – théologie de la libération : celle dont le cardinal Ratzinger a indiqué les bases[11], non plus empruntée, comme le christo-marxisme des années 1980, mais enracinée dans le Credo et l'Évangile, pour aider l'homme à se libérer des structures de péché. Un combat social et écologique par définition.

L'écologie radicale, c'est le bien commun au XXIe siècle
Le bien commun est la clé de l'écologie radicale – et de l'écologie chrétienne.
Il ne s'agit pas de soumettre l'homme à la nature. Il s'agit de le re-situer dans la Création, dont il fait partie, et d'évaluer la responsabilité humaine à cet égard. Elle est cruciale : sinon à qui s'adresserait le discours écologique ?  Cette responsabilité est d'origine , ajoutent les lecteurs de la Bible. L'homme créé a en charge la Création : Dieu ne la lui a pas confiée pour qu'il la saccage. Dans le récit de la Genèse, le Créateur amène les animaux à l'homme pour  pour voir quels noms il leur donnerait  (Gn 2, 19-20) ; on sait la portée que la tradition juive donne au nom, exprimant l'essence de chaque être, et ces deux versets montrent le Créateur confiant chacune des espèces de la Création à l'homme. En les  nommant  toutes, l'homme les prend donc toutes en charge. C'est le fondement transcendant de ce que les écologistes appellent la protection de la biodiversité.
En revanche, la destruction de la biodiversité par la machinerie productiviste est, en quelque sorte, une dé-création : c'est contre cela (notamment) qu'on doit protéger la Création, dont fait partie l'homme.
Car il existe un bien commun propre à l'ensemble de la planète, selon plusieurs niveaux :
sur le plan physique, c'est l'équilibre global de la biosphère et de ses interactions : le  cycle vital  de la Terre, selon l'expression du cardinal Martino (voir annexe) ; un  tout  [12] qui est autre chose que la somme de ses parties. Qualifier cette idée de néo-païenne serait une injure à l'aristotélisme de saint Thomas, et un cadeau absurde aux... néo-païens ;
sur le plan humain aussi, il existe un bien commun global. Il réside dans la justice, la paix, et la  destination universelle des ressources  : autre concept thomiste, qui fonde la doctrine sociale de l'Église... et que l'on retrouve dans l'écologie politique ! Pas d'accord possible entre ce concept et la théorie des libéraux du XIXe (ou de leurs neveux marxiens). Pour eux, la nature n'a de valeur que par la  transformation  que lui apporte l'activité humaine : ils en déduisent le droit de s'approprier de manière absolue les biens naturels, abus privé que condamne la pensée catholique. Selon elle, l'homme n'a ni le droit de spolier, ni celui de gaspiller, et il doit respecter le bien de l'humanité qui est aussi le bien de la planète – deux biens qui vont ensemble : les opposer serait non-biblique, donc non-chrétien...
La démarche catholique et la démarche écologique partagent ainsi quelque chose d'essentiel, qui peut fonder une éthique commune. C'est une évidence à ne pas esquiver, surtout par des arguties pseudo-techniques issues d'une désinformation[13].

L'écologie : incompatible avec Malthus et Darwin
Certains milieux catholiques accusent l'écologie de dissimuler un complot antinataliste à l'échelon mondial.  L'écologie est malthusienne , disent-ils. Est-ce pensable ? On se le demande.
En effet, une double incompatibilité existe : entre l'écologie et l'économicisme ; entre l'écologie et le dogme darwinien de  sélection naturelle .

Pas d'entente possible entre l'écologie et l'économicisme, dont un archétype est précisément Thomas Malthus. D'abord disciple d'Adam Smith, puis professeur d'économie au collège de la Compagnie des Indes orientales et ami de Ricardo, Malthus croit que l'économie est la loi dominante –  naturelle  – de la vie en société. Dans la version définitive (1803) de son Essay on the principle of population, il applique l'économicisme à la démographie, en réduisant la vie sociale à un problème de rapport population-production. Comme Smith, Malthus croit que la démographie (comme presque tout le reste) est déterminée par l'économie. Mais là où Smith croyait que la  main invisible  du marché créerait l'opulence, donc une natalité heureuse, Malthus voit la natalité comme un malheur pour l'économie : il prône donc la réduction de la population pauvre. Cette version de l'économicisme libéral met l'humanité sur un lit de Procuste...
Pour des raisons économiques comparables, le malthusianisme resurgira au XXe siècle dans les programmes d'avortement de masse visant les pays pauvres – comme si le meilleur moyen de stabiliser les populations du Sud n'était pas d'améliorer leur niveau de vie, et comme si cette amélioration ne passait pas par un modèle économique autre que l'ultralibéral : Chaque mode de production, chaque système social possède ses propres lois de population , disait déjà Proudhon. (Il concluait :  Il n'y a qu'un seul homme en trop et c'est M. Malthus. ) La sociologue Ester Boserup a démontré que l'homme s'adapte et progresse, technologiquement et écologiquement, en fonction du risque attaché à sa survie :  La raréfaction de la Terre appelle la recherche de systèmes de production plus efficaces, un usage moins dégradant des ressources naturelles, une gestion plus rationnelle de l'eau[14]...  La sociologue danoise réfutait l'idée de Malthus selon laquelle l'économie conditionne le volume de la population : au contraire, expliquait-elle, c'est la  pression créatrice  de la démographie qui impose l'évolution des structures économiques locales ; notamment celle des techniques agraires[15]. La nécessité est la mère de l'invention.
[ ]
Pas d'entente non plus entre l'écologie et le darwinisme... Charles Darwin écrit dans son autobiographie (1876) : En octobre 1838, quinze mois après que j'aie commencé mon enquête systématique, j'ai lu la Population de Malthus. Bien préparé à évaluer la lutte universelle pour l'existence par mes longues observations sur les animaux et les plantes, je fus instantanément frappé, à cette lecture, par l'idée que sous certaines circonstances les variations favorables tendaient à être préservées, et les défavorables à être détruites, le résultat étant la formation de nouvelles espèces.... Maintenant j'avais enfin une théorie selon laquelle travailler. Ainsi le XIXe siècle, ouvert en 1803 par le malthusianisme, allait s'achever avec le darwinisme, ses avatars  sociaux  et ses futures (et fâcheuses) répercussions dans l'histoire. Cette idéologie reprend force de loi aujourd'hui dans nos sociétés libérales : du darwinisme social  d'Etat , version XXe siècle, nous passons à un darwinisme social  privatisé  dont les effets sont tout autant à craindre, et qui progresse avec l'appui massif des médias[16].
Ce que l'on ne voit pas, c'est que l'écologie radicale a déclaré la guerre au darwinisme. L'Écologiste le dit nettement : Il est difficile d'expliquer une société animale par la pure convergence d'intérêts égoïstes ! Charles Darwin s'y est pourtant essayé : si une espèce est préservée, c'est que le plus fort est sauvegardé par la sélection naturelle ! [Il existe une autre lecture plus convaincante de la nature] : l'animal comme l'homme sont naturellement sociables. C'est pourtant contre cette évidence que s'est échafaudé le darwinisme, promoteur de la loi du plus fort et fidèle reflet de la société libérale[17]...Dans la même revue[18], son fondateur Teddy Goldsmith écrit :  Le darwinisme donne une apparence rationnelle aux normes socio-économiques de la révolution industrielle, comme le changement perpétuel, dit "progrès", qui exalte les valeurs d'égoïsme et de compétition tant admirées par la nouvelle classe moyenne oublieuse des traditions de coopération et de sociabilité  – alors que  les êtres vivants ne se regroupent pas au hasard, mais tissent, au contraire, les relations qui constituent les écosystèmes .
La logique de l'écologie est d'étudier les conditions de l'équilibre et de l'harmonie au sein de la Création ; la logique du darwinisme est de survaloriser le struggle for life, qui disloque la Création. Ces deux logiques sont opposées. Si des  écologistes  aujourd'hui se disent darwiniens, ou anti-judéo-chrétiens, c'est qu'ils respirent l'air du temps plus que celui de l'écologie.
Comment les aider à devenir cohérents ? En ne leur reprochant pas, pour commencer, d'être des écologistes.

P. P.*
* Journaliste, essayiste, auteur de L'Écologie de la Bible à nos jours (L'Œuvre, mai 2008).

 

[1.] Au milieu des vitraux de l'Apocalypse, 1932.
[2.] Contacts et circonstances, 1940.
[3.] Au milieu, op. cit.
[4.] Présence et prophétie, 1942.
[5.] Au milieu, op. cit.
[6.] Dans le livre L'Esprit de la liturgie, Ad Solem, 2001. L'Écologiste a publié la lettre du cardinal dans son numéro 15 (juin 2005) sous ce titre : Habemus papam... ecologistum ?
[7.] Prix Nobel d'économie 2001. Ex-économiste en chef de la Banque mondiale, néo-keynésien, pourfendeur de l'ultralibéralisme. Lui aussi sait de quoi il parle.
[8.] Le New Age (bazar spiritualiste  soft  des années 1980) avait en effet une branche Écologie. Mais il a fermé boutique. La société occidentale est aujourd'hui dans la dérive inverse : les sciences biotechnologiques  dures  et la mécanisation du vivant. D'autre part, l'écologie des années 1980 ne se confondait pas plus avec le New Age, que le catholicisme des années 1980 avec Mgr Gaillot.
[9.] Patrick de Varax, L'Église face aux grandes sociétés transnationales, thèse de licence canonique, Rome 2004.
[10.] Points Seuil 1979.
[11.] Instruction sur la liberté chrétienne et la Libération, 1986, chapitre 5, La doctrine sociale de l'Eglise : pour une praxis chrétienne de la libération.
[12.] Développée par le chimiste James Lovelock, l' hypothèse Gaïa  envisage les êtres vivant sur Terre comme un ensemble interactif doté d'une autorégulation (qui serait une propriété émergente de l'écosystème). Les scientifiques en discutent. Les écologistes s'y intéressent. Mais extrapoler de cette hypothèse l'idée que la Terre serait un unique organisme (voire une entité), n'est hasardé que par de rares idéologues, nullement représentatifs de l'écologie. [Noter aussi que Lovelock est le contraire d'un  Khmer vert  : il est favorable au nucléaire.]
[13.] Les actionnaires d'Exxon se sont révoltés en mai 2008 contre son PDG Rex W. Tillerson, accusé par eux de dépenser des millions de dollars dans  sa campagne mondiale pour discréditer l'écologie dans l'intérêt du tout-pétrole . À ce sujet, voir (août 2007) le rapport du Sénat américain et le dossier de Newsweek dévoilant la campagne de désinformation financée par Exxon : pseudo-enquêtes scientifiques, etc. Cette campagne n'a pas encore cessé en Europe.
[14.] E. Boserup, 1910-1999 : Évolution agraire et Pression créatrice, Flammarion, 1970.
[15.] Benoît XVI le confirme en juin 2008, dans son message à la FAO sur la crise alimentaire : message qui condamne le système ultralibéral, dans ses effets sur la disponibilité des aliments et ses phénomènes de spéculation prédatrice. Message, également, qui plaide pour la relocalisation de l'économie agricole,  l'ingéniosité des petits agriculteurs  et le rôle de la famille rurale :  Elle peut assumer un rôle direct dans la chaîne de distribution et de commercialisation des produits agricoles destinés à l'alimentation, en réduisant les coûts intermédiaires et en favorisant la production à petite échelle. 
[16.] C'est la clé de la campagne permanente du Monde contre la tarasque du  créationnisme  : débat brouillé par la confusion des mots, l'ignorance des fondamentalistes américains envers la Bible, et les arrière-pensées sociétales des scientistes occidentaux.
[17.] L'Écologiste n° 14, automne 2004.
[18.] Id. n°12, printemps 2004.