Annoncée ou pressentie au milieu du XIXe siècle par les grands poètes-prophètes de la Pologne, Juliusz Slowacki et Cyprian Norwid, la personnalité incommensurable de Jean Paul II aura laissé dans ce monde le sentiment et le souvenir d'une Transcendance incarnée.
La résonnance qu'il a suscitée ne peut mentir. Vox populi, vox Dei.
Peu d'hommes dans l'histoire de l'humanité ont rassemblé de telles foules joyeuses et spontanées. L'Église n'avait pas depuis longtemps connu un tel rassembleur d'hommes. Personne n'a reçu à sa mort un hommage aussi grandiose et sincère de toute la Terre. Car le Successeur de Pierre a été un véritable Messager de Dieu et ses paroles furent à la fois Amour, Révélation et Avertissement.
Que cette poignée de poèmes écrits tout au long de son pontificat puisse rendre ne fût-ce qu'un modeste hommage à Celui qui nous " montra — comme l'avait dit Slowacki — Dieu dans l'œuvre de ce monde, clair comme le jour "...
JAN TWARDOWSKI
Le pape
Le pape s'envola de Rome
il vole dans un avion blanc comme neige —
il embrasse un orthodoxe il bénit un enfant juif
sans qu'il y ait de trône
seule une larme frémit comme une danse
dans beaucoup de livres fond le soleil gelé
il suinte de la gorge de lettres desséchées
les hérétiques chauffent dans l'évangile
leurs jambes mordues
ils font grossir le ciel dans les orgues
approche toute une section d'anges
seul un catholique d'avant-guerre
déplia un papier —
il effiloche sa plume comme s'il taquinait une corneille
il écrit une plainte contre le Bon Dieu
CZESLAW MILOSZ
Ode à Jean Paul II pour son quatre-vingtième anniversaire
Nous venons à toi, nous, hommes de peu de foi
Pour que l'exemple de ta vie nous rende plus forts
Et qu'il nous libère de l'angoisse
Pour le jour et l'année qui viennent. Ton vingtième siècle
Est devenu célèbre par les noms des puissants tyrans
Et le retour au néant de leurs états voraces.
Tu savais qu'il en serait ainsi. Tu nous a appris l'espérance :
Car seul le Christ est maître de l'Histoire.
Les étrangers n'ont pas deviné d'où venait la force
Du clerc de Wadowice. La prière, la prophétie
Des poètes non reconnus par le progrès et l'argent
Bien qu'ils soient l'égal des rois t ‘attendaient
Pour que tu leur annonces Urbi et Orbi
Que l'Histoire n'est pas un chaos mais un ordre vaste.
Pasteur qui nous fut donné alors que les dieux s'en sont allés !
Et dans la brume au-dessus des villes brille le Veau d'Or.
Des foules sans défense accourent, et font l'offrande
De leurs enfants aux écrans sanglants du Moloch.
Une peur est dans l'air, une lamentation muette :
Car il ne suffit pas de vouloir croire pour pouvoir croire !
Et soudain, comme un pur son de cloches sonnant matines,
Ton signe de contradiction semblable à un miracle
Pour qu'on se demande : comment est-il possible
Que te vénèrent des jeunes venus de pays non croyants,
Ils se rassemblent sur les places, tête contre tête,
Ils attendent la nouvelle d'il y a deux mille ans
Et se prosternent aux pieds du Messager
Qui embrassa par amour toute l'humaine tribu.
Tu es avec nous, tu seras désormais toujours avec nous.
Quand résonneront les puissances du chaos
Et que les détenteurs de vérités s'enfermeront dans les églises
Que seuls ceux qui doutent resteront fidèles
Ton portrait dans notre maison chaque jour nous rappellera
Ce qu'un seul homme peut et comment se manifeste la sainteté.
TERESA TOMSIA
Je m'apprête au repos
mais Toi, Père, où poseras-tu ta tête
quel infini sera ton lit
qui viendra toucher ton front
alors que dans la solitude il brûle.
Tout doucement je me prépare au sommeil,
de mes cellules je me déshabille,
dans la durée je m'abîme et m'abîme encore
et elle n'est pas accordée pour toujours,
on ne peut en aucun cas l'échanger contre une autre.
Je me réjouis de ce don d'éternelle impermanence
alors que Toi, Père, tu me berces dans la niche du temps
et me rappelle que je suis
cette poussière que tu animes.
***
Adieu à Jean Paul II
Cœur tout bercé d'amour
tu refusais de te taire dans la ville de bronze !
Proclamant la Bonne Nouvelle il voyageait sans relâche :
de l'homme au sein du peuple, depuis les hommes - vers Dieu.
Et toujours il transmet la grâce de sa bénédiction ;
Et plus que jamais attentif il perdure lorsqu'on emporte son corps épuisé
dans les souterrains. Courageusement, il nous protège de près
et de loin nous montre le chemin.
N'ayons pas honte de cette plainte funèbre, ne soulevons aucune
question sur cet inconcevable destin.Rempli de sa patrie,
il s'en va et garde avec lui une partie de chacun de nous.
Sois — tel que tu étais — tout droit venu d'avant les siècles,
Père qui attire à lui les enfants et les conduit vers la sainte lumière
pour qu'ils durent éternellement.
Des images sublimes trop vite s'accomplirent ;
l'excès de sentiment qui n'est propre à personne
a pris la forme d'une totalité sans fin :
Tu es le bien du monde !
Abandonné sur les montagnes du cœur* sapin
d'où viennent notre force et notre dignité.
Poznan, 8 avril 2005
* Tiré d'un poème de R. M. Rilke
MIECZYSLAW JASTRUN
La Sainte Porte
Le Bien et le Mal
Qui sait ce qu'est imaginer dans la nuit
Ici il y a un siècle était une ville et plus loin un pont
Le train passait en martelant Devant lui s'allongeait le brouillard
Ville couverte d'oubli et de fumée Il n'y a ni Bien ni Mal
J'ai pensé : il y a la cendre des maisons et des hommes
J'ai connu bien des théogonies bien des théologies
du commencement à la fin
je vois : il n'y a pas de temps pour moi
tout seulement commence
Le monde fut créé pour la lumière
— Il tombe en poussière
Regarde : des feuilles calcinées et tordues par le feu
Des apparitions sorties du rêve d'un jour à l'autre et depuis des siècles
Rien ne dure tout ne fait que commencer
Des apparitions sorties du rêve Les dernières mélodies de la Renaissance
La Sainte Porte de Rome
Soudain ouverte palais Orsini
Le pape appuyé contre saint Pierre
Seigneur au-dessus du néant tu regardes l'avenir
Tu ouvres la lumière de demain
PERE WACLAW BURYLA
Tu ne proposes
tu ne proposes aucune réforme matérielle
tu ne promets pas de table croulant sous un excès de bien-être
tu n'essuies pas tes lèvres avec de grands slogans
qui agissent comme des incantations
tu ne te construis aucune popularité bon marché à force de sourires affichés
ni en passant sous silence l'inconfortable vérité
tu te dresses sans cesse devant nous avec les tables de pierre des Évangiles
comme si tu voulais nous défendre de l'abrutissante danse
autour du veau d'or
et nous toujours nous ne savons croire
qu'il est possible de passer à sec
par la mer du quotidien
***
Poème du pèlerinage
tu as aimé les montagnes
qui enseignent grandeur et humilité
dans le labeur des pas —
des petites graines de lassitude
tu as aimé les rivières et les lacs
purs miroirs des eaux où toujours on peut contempler
le sourire de Dieu
tu as aimé le silence
qui habite les branches entremêlées des arbres
dans le grand silence des forêts sacrées
heureuses de ne pas connaître la chaussure des hommes
mais tu as encore plus aimé l'homme
que Dieu fit demeure de Son Amour
et qu'Il attend
sur le seuil de l'Infini
TADEUSZ ZUKOWSKI
Douzième station
Jésus meurt sur la Croix
" ... et, inclinant la tête, il remit l'esprit. " Jean 19, 30
A la mémoire de Jean-Paul II, à l'heure de sa mort : 21 heures 37
La colline du Golgotha
pierre angulaire
du Temple du Dernier Tourment
Temple de la Mort
Seigneur Tu n'as jamais oublié
ce socle à Ton corps Humain broyé
Deux Pieds fragiles
réunis par un seul clou
Quand Tu créas l'univers dans le Feu de Ton souffle
les galaxies — étoiles et planètes — continents
de Ta larme la plus profonde Tu façonnas
le caillou blanc du Crâne
et là Tu inscrivis
le Nom du Condamné
Ton Nouveau Nom
Jésus
Le Roi de l'Exilé en Lui-même
dans un Néant soudain
après le plus grand des Amours
plus grand que la créature
impossible à étreindre
que seulement connaissent
les hiérarchies des archanges
l'Exilé dans la mort
Ô déchiré par les harpies les trahisons
ouragans de furies haineuses
ruisselant du sang de l'agonie
étendard d'un rouge suppliant
bannière d'ossements broyés
au-dessus de Jérusalem qui tombe
dans les bras
de la Jérusalem Nouvelle
de Tes innombrables blessures
dans le Cœurs des cœurs
de l'Être Total —
Tu inclinas Ta Tête tourmentée
et au-dessus de ma mort
que tu reçus en Toi
tels les dards du crime
et les obus des guerres
Eloï, Eloï lamma sabachtani !
Ce cri du fond de la glace
est une torche d'Abysse
où Tu tu tends
Ta Paume
d'Amour
guérie par les larmes
de l'agonie
avec Toi et en Toi
Ta Paume
d'Amour
Amen
***
Lettre au Saint Père frappé d'une balle criminelle
Père de ces paroles fixées dans les limites d'une photo
Par la contraction des lèvres — le rayon du cœur, les paupières baissées sur le labeur
Du soleil — Toi — notre Père emmêlé dans le nœud solaire des mains et des bras —
Dans le filet déchiré d'un sang confiant ; penché
Sur —. Ô qu'elle monte en crue la surface de douleur !
Où les balles de ce monde sont inévitables ! Elle était en plomb
Comme celles que nous respirons ; la terre qui porte nos pieds et les hautes mottes
De chaleur... Que la lumière des larmes d'une mère polonaise brûle
Le crime des cœurs de fer ! Qu'elle réduise en rouille et arrache
La lumière inoxydable d'un Nouvel Arc-en-ciel. Ainsi — moi, ton fils aveuglé,
Ô Père, je me tais, dans une douce clairvoyance : ô combien de souffrance
Dans l'amour, combien de sources dans la croix transpercée de ton corps.
J'entends : régulièrement palpite le pouls de SA volonté,
La voie lactée, labeur de soleil, le souffle de la terre, et le tien.
KRZYSZTOF JEZEWSKI
Sur l'élection de Jean-Paul II
Les tribus s'accroissant les suivront
Dans la lumière où est Dieu
Juliusz Slowacki, Dans les temps troublés... (1848)
À Rome commencera la renaissance du monde...
Prophétie de l'abbé Cieslak (vers 1888)
Sois remercié, Seigneur, car Tu nous as écoutés.
Que Ton Nom resplendisse jusqu'à la fin des temps.
L'espace s'entrouvrit, l'Esprit Saint brille.
Sur l'arbre impossible grossit le fruit d'or.
Le champ stérile produit, l'éclat déchire la nuit.
Les murs de Jéricho s'écrouleront sous les trompes lumineuses
Et la tête du Serpent sera broyée.
Car voici venir le temps de l'Ouvrier du Soleil*
Qui embrassera par l'Amour la terre dévastée.
Il versera la nouvelle puissance dans le troupeau apeuré
Et pierre après pierre relèvera des ruines les sept Églises.
Navigateur hardi, berger, à travers les flots des ténèbres
Il montera le chemin clair et droit comme un rayon.
Ô Seigneur éternel dans les cieux, ô notre Refuge,
C'est Toi qui par sa bouche a dit : " N'ayez pas peur ! "
*Dans les Prophéties de Malachie (apocryphe d'avant 1500), Jean Paul II est annoncé comme le pape De labore solis (Du travail du soleil).
Paris 1997
(Jean Paul II aux JMJ)
Bien qu'il fût assis
dans son habit doré
berger du ciel
si réel pourtant
il irradiait ici
la bonté jointe à la simplicité
non, c'était bien plus encore
la sainte Lumière
de l'Amour
et nous, nous allions
joyeusement
dans la magie
de cet éclat
Rêve, nuit du 13 mars 2001
Et le jour vint
où tu pénétras
dans la sainte Lumière
toi qui fus
Labeur du soleil
et forme de l'Amour
toi qui empruntas
tous les chemins
de l'Espérance
et fus le rocher
de la foi
mais sur cette terre
de larmes et de sang
qu'avec amour
tu serrais dans tes bras
d'apôtre
la nuit tomba de nouveau
angoisse ailée
deuil douloureux orphelin
des ténèbres
Mais " la lumière luit dans les ténèbres
et les ténèbres ne l'ont pas saisi "...
WINCENTY ROZANSKI
***
Reste avec moi Ombre Éternelle
enveloppe-moi de ton manteau
À l'abri nous allons nous donner des nouvelles
de l'Éternité
nos pieds déjà nous font mal de marcher ainsi à la lisière du monde
le seuil n'est plus lumineux
reste donc avec moi pour le meilleur et pour le pire
Dans ces maquis éblouissants
dans cet ici-bas dolent
ce qui est avec nous le vent le bénira
ce qui est avec nous se révèlera
manifestement
***
C'était l'après-midi
devant l'église humide le soleil brillait peu
après la classe les garçons dormaient sur les escaliers
je marchais sur le chemin après une douce prière
sur un trottoir mort je marchais comme un bouc obstiné
il n'y avait personne les chiens veillaient et j'eus l'idée
d'écrire un poème sur Dieu qui apaise le silence
je notais un instant comme si je souffrais dans ce silence
mais il n'y avait personne
seul le pape à Rome marchait en claudicant
comme si soudain brillait sur ce chemin une lueur d'espoir
HALSZKA OLSINSKA
La fin et le commencement
voici le talent
de se construire soi-même
d'élever l'édifice
de sa propre mort
le plus durable parmi ceux qui durent
sur les eaux transparentes
d'une source qui se rétracta
en roc de cristal
voici le talent
de s'enraciner
dans le temps
et en dehors du temps
si bien qu'on peut ainsi calmement
attendre la fête
et les fiançailles avec l'éternité
sûre comme la
vérité
quand on l'a possédée
le 2 avril 2005
ADRIANA SZYMANSKA
La Bonne Nouvelle
Sur la venue de Jean Paul II à Sandomierz en juin 1999
Lorsque la Bonne Nouvelle descendit sur terre,
toutes les oreilles se dressèrent pour l'entendre :
l'aigle se figea dans son vol, le cheval s'arrêta en plein galop,
les brebis s'agenouillèrent dans l'herbe avec leur pasteur.
Lorsque la Bonne Nouvelle traversa les champs,
les alouettes firent sonner l'azur dans tout le ciel,
les graines se répandirent en pain tout droit venus des épis,
les lièvres muets murmurèrent un Angelus.
Quand la Bonne Nouvelle s'approcha de la Ville,
les vieux murs frémirent, l'hôtel de ville se couronna,
le fleuve vint se blottir aux pieds du pont comme un chien,
l'air trembla autour des églises comme un drapeau.
Et quand la Bonne Nouvelle parla avec la voix
de celui que l'Amour avait choisi pour Témoin,
l'esprit des enfants, des vieux, des adultes s'élucida :
le Royaume de Dieu est-il venu à eux ?
Les Visibles
Lorsque je le regardais
bénissant pour la dernière fois les foules Urbi et Orbi
ce dimanche de Pâques
j'ai vu passer sur son visage l'ombre de la mort
il s'en est allé six jours plus tard dans la nuit
et tout le monde retint alors son souffle
comme si son cœur se brisait. Oui, il fut
le cœur du monde, héritier de l'histoire d'amour
de la Création, qu'il aima comme personne parmi les
vivants. Sans cesse il passait le seuil
d'une parole d'avant l'éternité pour y puiser
une miséricorde à nous destinée. Le secret
de malhonnêteté l'attristait comme
le réjouissait l'éclatant reflet de la ressemblance
dans tout le visible.
Ressemblance à celui qui Profère la Parole.
À présent, il est assis à côté du Créateur.
N'est-il pas aussi parfait que lui ?
Omnia nuda et aperta sunt ante oculos Eius.
Soyons donc vrais, bons et beaux
pour qu'il puisse toujours nous
voir.
4 avril 2005
* Tout est dévoilé, tout est découvert devant Ses yeux. Toutes les citations en italiques sont extraites du Triptyque romain de Jean Paul II.
***
Mais d'où viennent les saints ?
Est-ce de cette vie qui nous fut offerte
quelque peu ? Pour que nous puissions connaître
ce qui est bon comme ce qui est mauvais et que nous sachions discerner
le temps malingre du temps immaculé. Naîtrait-il plus de saints
dans le premier ? Ils fleurissent
comme les primevères parmi les gouffres de la mort.
Ils sont apôtres de la résurrection de la foi.
Et notre temps blanchit par leurs âmes : Maximilien
Kolbe, sœur Faustine, Padre Pio,
Mère Teresa de Calcutta, les cent huit Martyrs
de la Deuxième Guerre mondiale portés sur les autels
par Jean Paul II. Nous marchons sur une terre
où ils posaient aussi les pieds, marqués par la si particulière
lumière de l'innocence. Le don de la foi, de l'espérance,
de l'amour, ils le portaient en eux comme un sacrement
pour le partager avec leurs frères. Ils savaient se charger
de leur propres blessures et de celles des autres, ils mouraient
en serrant entre leurs doigts un pan du Royaume Céleste.
Et toujours il flotte au-dessus de nous en signe d'Alliance
entre les âmes simples et celles qui depuis longtemps
connaissent le goût de la surnature.
1er avril 2005
TOMASZ RZEPA
Envoi à Jean-Paul II
il y a quelque chose que les fous jamais ne comprendront
il y a une valeur contenue dans le secret du mystère
simple et profond comme un visage humain
un secret accessible aux petits par sa simplicité
l'amour c'est pourtant lui la graine
qui tombe dans chaque âme mais quand elle poindra
elle grandira en arbre qui se fera abri
pour tous les nécessiteux tous les malheureux
ce savoir est caché aux riches et aux imbéciles
qui pourtant la nuit prient un Dieu
il y a quelque chose de plus précieux que notre vie
il y a un signe qu'ils vont contredire
BOLESLAW TABORSKI
Tu nous as donné
Tu t'es donné toi-même en ce jour d'étonnement
tu nous as tout donné de ton cœur généreux
et sans fin nous y puisions des dons
l'espoir le droit à une vie meilleure
et la joie de n'être pas faible mais fort par l'unité
quand tu nous as montré le chemin et confirmé le Testament
en dépit de ceux qui doutent tu savais que le moment
était venu dans les signes de cette terre tu nous as montré le ciel
à ces millions de Job contemplant leur misère
avec toi à cet appel clair la nuit fut sainte lumière
" reste avec nous " clamait-il bien que cela fût inutile
tu es toujours avec tes frères
et il nous semble seulement que tu n'es plus
ton cœur est toujours ici ta pensée ta prière
dans les faubourgs de Cracovie tu serres dans tes bras
ton peuple le peuple de Dieu assoiffé d'espoir
que tu nous as montré au bon moment
tout au long d'une semaine pleine de grâces et de merveilles
une semaine courte comme un éclair qui touche l'éternité
tu t'es donné à nous et à présent c'est à nous de donner
Cracovie, 23 juin 1983
Dans les Tatras
Le vieil homme regarde les montagnes
il est mais avec elles il n'est plus solitaire
il les appelle sans erreur et avec tendresse
elles étaient à Lui avant cette grande peine
qui ne Le quittera pas jusqu'au deuxième adieu
car le premier est déjà là mais il reviendra
de son regard d'amour il embrassera ces pics
qui ne Lui font pas mal bien qu'ils indiquent le ciel
il est loin un instant de la foule joyeuse
il sait combien sont en eux de souffrances quotidiennes
mais les montagnes à présent sont là — poteaux fidèles
de son ascension que personne en ce monde n'égalera
car ce faible vieillard
nous soulève là où même la plus haute cime ne touche
Birstonas 5 juillet 1997
MAREK SKWARNICKI
Requiem pour Jean Paul II
(fragment)
Le visage
Il y avait en lui une paisible joie
Parfois si paisible si grande.
Il y avait en lui une douce tristesse
Silencieuse et grande.
Parfois la colère le hantait
à la vue de Satan harcelant
les nations et les hommes
chasses aux brebis égarées
Alors il cessait de se taire.
Il exorcisait nos mauvais esprits.
Avec les années le masque de la maladie
Se figea sur son visage
Seuls ses yeux exprimaient encore des sentiments
Ils s'enflammaient s'éteignaient
C'est ainsi que je garderai
Ce visage béni.
KRZYSZTOF GASIOROWSKI
Cortège
Il est majestueux, extatique,
grandiose, paraît-il le plus grand
de toute l'histoire de l'humanité — ce cortège funèbre que je regarde,
il avance comme allant vers l'amont
l'accompagne la " Litanie de tous les Saints "
qui lui ouvre un chemin. Psaumes.
Sur un brancard on transporte la dépouille du pape
Jean Paul II vers son tombeau ;
toute sa vie, il se fraya un chemin vers Dieu,
puisse-t-il réussir et reposer en paix.
C'est incroyable. Je n'ai jamais rien vu
de tel. Et pourtant c'est encore du Néant
comparé à la Parousie,
que depuis des siècles attendent
tant de vivants tant de défunts.
Un cercueil dans la pupille de la place, comme une écharde.
Les foules en pleurs. Tant et tant d'yeux. Étendards.
Je ne prie pas, mais je ne me sens pas
exclu.
6 avril 2005
MARIAN DZWINEL
Épitaphe à Jean Paul le Grand
Dans le Livre de Choses Impossibles et cependant Réelles
une note surgit :
le génie de la sainteté
est passé par la Terre
(œuvre de l'Esprit
qui flat ubi vult)
Avec quelles paroles atteindre
Sa présence éphémère ?
Le frère Paradoxe
et la sœur Métaphore conseillent :
descends
sur les marches des mots
dans la profonde vallée
du silence
peut-être y verras-tu
comment l'impossible
devient réalité :
par l'énergie
de la Grâce
Poznan, nuit du 14 avril 2005
CLAUDE HENRY DU BORD
Parce que chacun est capable d'aimer, tout le monde est digne de l'être
Totus tuus
(à Jean Paul II)
Écrire sur un homme
est une étrange idée ;
elle est en lui impossible
à cerner — la part de mystère
insondable
comme le sont la Trinité, l'Incarnation.
Mais son regard parle pour lui
sa présence parfois délivre des réponses
où l'espérance est libérée
Pour peu qu'il soit berger
de brebis égarées
ou orfèvre privé d'outils d'or et de temps
arpenteur solitaire
d'improbables sommets
— son portrait son histoire échappent à nos paroles
Et il était berger, orfèvre et arpenteur
Il aima l'homme — et c'est tout dire ;
il l'aima non comme une idée
mais la cime de la Création,
le possible où Dieu s'aventure
où la Génèse est prolongée
quand le travail nous extasie
Libre à faire peur
— révolté, indécis — l'homme
c'est la pauvre mesure
où le divin est mesuré !
Il ne parla de rien d'autre
le pâtre toujours en éveil
crosse de paix dans la mêlée
il fut pour nous
— celui qui de nous se souciait
Totalement présent
(comme seuls le sont les justes)
en ce monde peuplé de troupeaux dispersés
— Présent comme Dieu l'est dans le Pain
Sa tâche l'a rompu
pour qu'au jour du Grand Partage
chacun soit la vivante miette
de l'Unique mie
Le vivant témoin de l'Unique ami
© Poèmes traduits par CLAUDE HENRY DU BORD et CHRISTOPHE JEZEWSKI