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Louis XVI, le roi bienfaisant

Louis XVI, le roi bienfaisant
  • Auteur : Jean de Viguerie, Editions du Rocher, 21 euros
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" Vous savez tous que je suis innocent, mais si le sacrifice de ma vie peut être utile au repos de mon peuple, je le fais volontiers. " Il est dix heures vingt-deux ce lundi 21 janvier 1793.

Louis XVI, d'une voix forte, vient pour la dernière fois de s'adresser à son peuple. Il va mourir comme un criminel. Jamais, pourtant, un roi n'avait autant voulu le bonheur de ses sujets. Aucun de ses prédécesseurs ne s'était voulu aussi " bienfaisant ". Alors pourquoi ce sort ignominieux et terrible ? Pourquoi ses ennemis se sont-ils ainsi acharné sur lui ?

 

Pour les uns, Louis XVI a été beaucoup trop faible et indolent, il a favorisé la Révolution et a récolté les fruits de son action ; pour les autres, Louis XVI fut un roi-martyr, il faut le canoniser sans plus tarder. Jean de Viguerie, l'un de nos plus fins spécialistes du XVIIIe siècle , a décidé de sortir des idées toutes faites et d'interroger les documents de l'époque, dont beaucoup n'avaient jamais été utilisés. Il en résulte cette biographie nuancée et émouvante du dernier roi de l'Ancien régime.

 

Il y a d'abord l'éducation du jeune duc de Berry. Il a reçu une " instruction très ouverte, très complète et même très solide ", nous dit l'auteur. Une formation encyclopédique, qui accumule les connaissances notamment scientifiques ; mais pas une formation humaniste, permettant de connaître la nature humaine. Une formation, surtout, uniquement théorique. Personne, ni son père le dauphin, ni son grand-père le roi ne lui ont expliqué comment on commande aux hommes. Cet aspect, pourtant essentiel, sera totalement absent de son éducation.

 

Un principe domine toutes les leçons qu'il reçoit : la politique n'est que la morale. " Pour être un bon roi, il faut être un roi bon ", résume l'auteur. Un roi bon, c'est celui qui accroît la richesse de ses sujets, en particulier par la liberté du commerce. Le vrai roi est celui qui fait le bonheur de son peuple. Et qu'est ce que le bonheur ? C'est la prospérité, le bien-être. Il sera initié à ces principes d'inspiration libérale entre autres par le Télémaque de Fénelon, livre qui le marquera pour la vie.

 

Le futur roi sera influencé également par les conceptions politiques de son père, très imprégnées d'individualisme et d'égalitarisme. Conceptions selon lesquelles les hommes vivent en société parce qu'ils y ont intérêt : la société est un agrégat d'individus — tous égaux entre eux — qui veulent satisfaire leurs besoins. En bref, résume l'auteur, " on l'a bourré de bonnes intentions, mais on ne lui pas appris à être le maître ".

 

Arrêtons-nous un instant sur l'homme lui-même. Est-il " indolent ", comme l'a écrit Bainville ? Non, répond l'auteur. Aucun reproche n'est moins justifié. En revanche c'est un indécis. Au début de son règne, il cherche à faire plier l'opposition parlementaire. Mais devant les résistances il cède. L'attitude reviendra tout au long du règne. " C'est toujours le même comportement : l'abandon succède à la volonté. Et toujours pour la même raison, le manque d'assurance ", écrit Jean de Viguerie qui cite Madame Élisabeth : " Le roi revient sur ses pas ; il craint toujours de se tromper. "

 

En un sens il n'a pas tort car cela lui arrivera souvent. En raison notamment de la mauvaise influence qu'exerce sur lui son entourage. Car le roi s'entoure mal. À peine couronné, il fait appel à Maurepas comme principal conseiller, vieux courtisan frivole, plus préoccupé de ses intérêts que du bien commun. Sous son influence, et avec les ministres " éclairés ", Turgot, Loménie de Brienne, Malesherbes, Louis XVI prend des décisions marquées par l'esprit de système : rappel des anciens parlements, suppression des corporations de métiers, liberté de circulation des grains ; à la fin du règne, ce sera la convocation des États généraux.

 

Pourtant le roi n'est pas bête. Il est même intelligent, et doté d'un certain bon sens. Mais il manque d'agilité et de vivacité d'esprit et ne domine pas les sujets qu'il considère ; c'est un " esprit limité et sans envergure ", écrit l'auteur, et " sa visée est bornée ".

 

Enfin il est bon. Marqué par l'éducation chrétienne qu'il a tout de même reçue — dont les principes se heurtent à l'idéologie des Lumières qu'on lui a inculqué par ailleurs —, il est naturellement enclin à tout pardonner. Il veut, par dessus-tout, être un roi " bienfaisant ". Mais est-ce encore l'influence chrétienne ? Hélas ! cette bienfaisance-là est fille de l'esprit du temps. C'est la croyance selon laquelle " le bonheur viendra grâce à l'augmentation des richesses et grâce aux progrès de la science ". Vision bien réductrice, on le voit. Elle empêche le roi et ses ministres de voir le fossé entre riches et pauvres ne cesser de se creuser sous l'effet des mesures libérales décrétées par le gouvernement.

 

Le malheur a voulu que ce roi bon par nature et par éducation, jusqu'à la faiblesse, assez dénué de sens politique et mal préparé à son métier (qui lui pesait et qu'il n'aimait pas) ait eu à affronter la tourmente révolutionnaire. Il a été le premier souverain de l'histoire à le faire, note l'auteur. Ce qui l'a empêché de se défendre lorsqu'il était attaqué. " Me défendre ? il faudrait verser le sang des Français ; mon cœur ne peut se familiariser avec cette affreuse idée ", lance-t-il le 5 octobre 1789 à l'amiral d'Estaing qui lui demande l'autorisation de tirer pour dégager le château envahi par les manifestants. Néanmoins il est lucide, nous dit Jean de Viguerie. Il a compris, à cette époque, " la nature de la Révolution " et son " irrésistible force ", ainsi que la " nature sanguinaire de la patrie révolutionnaire " et la " nocivité de la philosophie des Lumières ". Il a compris tout cela un peu tard, penseront certains. Mais peut-on l'en blâmer ? Il ne disposait pas, lui, du recul du temps.

 

Louis XVI pouvait-il lutter contre la révolution ? On ne réécrit pas l'histoire. Le fait est qu'il ne l'a pas fait et quand il a voulu réagir, il était trop tard. Pour Viguerie, la société du temps, décadente, où toutes les autorités religieuses, politiques, militaires étaient en déclin, rendait la tâche pratiquement impossible. Mais une chose est sûre : à l'extrême fin de sa vie — une fin exemplaire, marquée par sa " conversion à une vie chrétienne plus profonde " — le roi a su donner un sens à son malheur. L'auteur nous le dit dans une conclusion superbe, chef d'œuvre de concision et d'élévation de pensée : " En offrant sa vie en sacrifice à l'exemple de son Rédempteur, il réalise parfaitement la vocation royale exprimée par son sacre [...]. On savait que le rite du roi exposé signifiait l'abnégation. Mais on ignorait qu'il signifiait aussi le sacrifice total et jusqu'au sacrifice de la vie. C'est le mérite de Louis XVI de l'avoir révélé et d'avoir réalisé ainsi pleinement le destin de la troisième race des rois de France. "

 

On a compris que ce livre était tout sauf une hagiographie. Jean de Viguerie ne cache pas les faiblesses du roi. Pour autant il ne l'accable pas. On sent même chez lui une certaine sympathie pour son personnage — au moins au sens étymologique du terme : " souffrir avec ". Dans une langue fluide et rythmée, il nous permet de mieux comprendre ce roi honni par les uns et béatifié par les autres, ce roi étrange, dernier roi de l'Ancien régime et annonçant déjà, comme malgré lui, l'avènement des temps modernes.

 

Charles-Henri d'Andigné

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