Le score élevé réalisé par le FN au premier tour de la Présidentielle a étonné et trompé tout le monde, y compris les sondeurs. Différentes attitudes ont été observées.
La gauche, la presse, les leaders d’opinion, et aussi une large part d’une certaine droite dite sociale ou centriste, considère que la prise en compte vigoureuse des thématiques communautaristes par Nicolas Sarkozy, est une « droitisation » de sa campagne. Pas un jour, en effet, sans que les journalistes ne tentent d’obtenir de ses lieutenants cet aveu de « dérive ». On assiste à ce « tir de barrage » à chaque interview, sans exception.
Les mêmes journalistes remarquent également à l’envi que la candidate FN a, par rapport à son père, « dédiabolisé » ses thématiques et son style. Elles les a rendus acceptables par un public plus large, ce qui est, disent-ils, une des clefs de son succès.
De son côté, Marine Le Pen affirme que son parti entre maintenant « en résistance », avec l’ambition affichée de faire chuter le candidat de droite, ce qui préluderait, espère-t-elle, à une explosion de l’UMP, dont elle pourrait récupérer quelques morceaux.
Chez Nicolas Sarkozy lui-même, les électeurs du FN, qu’il souhaite séduire, sont qualifiés de « personnes en souffrance », ou même « en désespoir », comme si leur vote était par nature d’une bêtise telle que seul le désespoir pouvait l’expliquer…
Toutes ces prises de position ont en commun de partir d’une même analyse : pour mieux prendre en compte ce nouveau rejet anti-communautariste, les styles, les attitudes, les positionnements doivent changer, pour se placer différemment, sur un échiquier politique qui, lui, n’aurait globalement pas changé.
Toutes ces attitudes en réalité pèchent par les mêmes défauts : une mauvaise vision de l’avenir, un déni de réalité.
Une réalité nouvelle
Ce ne sont ni les styles, ni les attitudes, ni les positionnements, ni même les thématiques, qui ont changé, c’est tout simplement la réalité qui est différente. Les problèmes de communautarismes [1], qui étaient autrefois « à la marge », sont maintenant devenus, pour tous les électeurs, à gauche comme à droite, des thèmes centraux. Ils ne concernent plus seulement des questions de religion, d’emploi, d’ordre public ou même de trafics, circonscrits au périmètre géographique de quelques banlieues. Ils sont perçus comme une question de civilisation, qui s’exprime partout, à travers des expressions de langage ou des attitudes corporelles (« sabir », « tics » des banlieues), des habitudes vestimentaires (accoutrements spécifiques des beurs, femmes voilées), des exigences culinaires (halal). L’opinion perçoit que maintenant, c’est l’ADN de la civilisation française qui est touché.
Et ceci alors même que la laïcisation à outrance a détruit, ou en tout cas profondément édulcoré, les « anticorps » traditionnels, que sont la mémoire et la fierté de notre héritage chrétien [2]. Contre une menace civilisationnelle, seule une force civilisationnelle peut répondre. Une construction sociale basée uniquement sur un ensemble de règles plus ou moins partagées, à l’intérieur desquelles chacun se meut selon son bon vouloir personnel, sans autre morale ni culture commune, n’a ni la résilience, ni la cohésion nécessaires. C’est pour cette raison que l’opinion est si mal à l’aise, c’est ce pourquoi elle ressent la « peur de l’étranger » même dans les endroits où elle n’en subit pas directement les effets. C’est ce manque d’anticorps qui l’inquiète à ce point [3]. Nomer la maladie, la dérange alors même qu’elle a besoin d’une « thérapie de vérité ». .
Les électeurs plus éclairés que les élites
Autant dire que ce ne sont pas les candidats ou les thématiques qui « migrent » vers la droite, comme tentent de le faire croire certains dont la sensibilité et les logiciels de pensée poursuivent encore le rêve tiers-mondiste des années 60. Or, celui-ci ne s’inscrit plus dans la réalité d’aujourd’hui. C’est La problématique communautariste qui a « migré » peut-être pas au centre de l’échiquier politique, , mais sûrement au centre des préoccupations des français. Les électeurs sont, en fait, bien plus en avance sur leur temps et bien plus réalistes que leurs élites [4].
Nicolas Sarkozy fait la même erreur d’analyse. Lui aussi ne va pas, pour des raisons de prudence, jusqu’au bout du discours de vérité [5].Lorsqu’il affirme que les électeurs du FN sont « en souffrance », ce ne sont pas les électeurs qui sont en souffrance, c’est la France…
Les illusions de Marine Le Pen
Enfin, Marine Le Pen s’illusionne aussi, en pensant que sa tentative de « pompier pyromane » pourra faire exploser la droite. La droite n’explosera pas plus que la gauche ne l’a fait, comme l’espérait Bayrou après la défaire de Ségolène Royal en 2007. Ce qui risque d’exploser, par contre, c’est le FN lui-même.
La « migration » de la thématique communautariste au centre, et la croissance inéluctable du FN, porteur traditionnel de cette revendication, va conduire celui-ci a une révolution idéologique. Il va devoir à jeter les « scories » de sa doctrine : racisme, fermeture, populisme, poujadisme, ombre tutélaire du « patriarche ». Il va devoir à « énucléer » la thématique anti-communautariste, pour la « vendre » à l’UMP [6], sous une forme modernisée [7].
Dans tous les cas, ce qui apparaît clairement, c’est le caractère à la fois idéaliste et obsolète du cadre de réflexion conceptuel politique français. Pour la même raison, l’échiquier politique devenu hors d’âge va devoir évoluer. Les français eux, ont parfaitement intégré cette nouvelle donne. Un peuple moderne, des élites dépassées, voilà une situation paradoxale, qui tient aux « chapelles » et aux vieilles habitudes de « confort » des élites. Nicolas Sarkozy le sent, le sait. Il ne cesse de tenter de « percer la glace », en fustigeant les « corps intermédiaires », en appelant « au peuple ». S’il y parvient (il lui reste quelques jours pour cela), il peut cristalliser brusquement l’électorat, toutes tendances confondues, en sa faveur. C’est pour cela qu’il croit encore dur comme fer à ses chances.
Retrouvez tous les articles sur la présidentielle dans notre dossier :
[1] Dans leurs trois composantes : immigration, islam, banlieues
[2] Dans sa double composante : culture et valeurs
[3] De plus, la France souffre de la communautarisation plus que d’autres. En Angleterre, par exemple, ce n’est pas le cas. L’Angleterre, en effet, est un pays élitiste. Peu importe qu’il soit communautarisé, du moment que l’élite ne partage pas trois choses importantes : le pouvoir, le statut et l’argent. Mieux encore, d’une certaine façon, la communautarisation, et la pauvreté qui va avec, à laquelle se mêlent les anglais de souche, sert l’élite, parce qu’elle lui apporte une mise en valeur (pour le statut), un service (pour le pouvoir), et une main d’œuvre (pour l’argent). Au contraire, la France est universaliste. Elle besoin de partager sa civilisation. Elle a donc besoin d’unité culturelle, ce pourquoi le communautarisme est un danger mortel.
[4] On peut facilement comprendre pourquoi. Les élites, surtout dans le domaine intellectuel, lorsqu’il n’y règne pas une concurrence acharnée entre les idées, s’organisent naturellement en « chapelles » (c’est le cas chez nous). A l’intérieur de ces chapelles, chacun s’organise, par un travail tout à fait légitime, pour obtenir, autant que faire se peut, quelques parcelles de pouvoir (proximité des princes, influence), statut (reconnaissance de ses pairs) et argent (livres, articles, conférences, cours..). C’est du bon commerce, sans connoter négativement ce mot. Le problème vient lorsque les idées deviennent obsolètes. Dans le commerce, si la tomate ne se vend plus, on met à l’étalage la pomme de terre. Si l’on est un spécialiste, ce changement de gamme est toujours un choix courageux. Dans le domaine intellectuel, on ne vend pas un produit mais, à travers ses idées, on se vend soi-même. Accepter que l’idée de quelqu’un d’autre est devenue meilleure que la sienne, c’est tout perdre, repartir à zéro. Il faut de l’héroïsme pour cela. La tentation est donc immense de nier la nouveauté, pour protéger sa production d’idées. Et tant pis pour la réalité.
[5] Il s’agit dans ce cas de dédiaboliser entièrement les électeurs du Front, en reconnaissant le caractère légitime et prophétique de leur revendication identitaire. C’est d’un « je vous ai compris » qu’ils ont besoin, et non pas d’un « je sais que vous êtes en souffrance »…
[6] Les putschistes tentés par cette aventure pourraient le faire de deux façons possibles : soit qu’ils créent un « New FN » dissident, avec lequel une entente avec l’UMP soit possible, soit qu’ils quittent le parti, avec armes et bagages, pour créer, au sein de l’UMP, un courant « traditionnel ». On est à notre avis tout près de cela. A ce titre, les velléités de transformation de son parti par Marine Le Pen elle-même peuvent être interprétées comme un signe, soit pour aller dans ce sens, soit pour tenter de s’en protéger. Cf http://elections.lefigaro.fr/presidentielle-2012/2012/04/25/01039-20120425ARTFIG00529-marine-le-pen-esquisse-les-contours-du-nouveau-fn.php. Un sondage significatif : 64% des électeurs de NS sont favorables à un accord avec le Front !
[7] Modernisée, cela veut dire légitimer une organisation de la « défense anti-communautariste » dans ses deux composantes : 1 - opérationnelle : action à la fois répressive (limitation de l’immigration, solution du « nœud gordien » des banlieues, démantèlement des mouvements islamistes) et incitative (travail, intégration), 2 - civilisationnelle : reconnaissance du patrimoine chrétien et de ses valeurs fondatrices (laïcité positive, valorisation de la famille et de l’éducation familiale, mariage fondé sur l’altérité, hétéroparentalité, respect de la vie naissante et finissante, travail au service de l’Homme), valorisation du patrimoine culturel traditionnel français, exaltation du patriotisme, nouvelle mission confiée à l’Ecole dans ce sens, etc…
Photo : © Wikimedia Commons / Marie-Lan Nguyen / licence Creative Commons Paternité 3.0 (non transposée)
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