Actualité présidentielle : Famille

On a parfois l’impression que la politique familiale se réduit à être une affaire de gros sous. Loin de nous de la tentation de négliger le volet financier de la question mais la dimension essentielle se situe d’après nous en amont. Elle relève de l’anthropologie politique. La société politique a besoin de la famille et la famille a besoin de la société politique. C’est sur cet axe qu’il faut résolument se placer pour apprécier les différentes propositions électorales et en chercher les tenants et les aboutissants. 

Un des enjeux des prochaines élections est la manière dont les différents candidats vont traiter la revendication homosexuelle ; nous en reparlerons ultérieurement avec précision. Il convient aussi d’élargir notre champ de vision. En effet, l’ouverture du mariage civil et de la filiation aux personnes de même sexe est l’aboutissement d’un long processus initié voici plusieurs décennies. C’est le symptôme ultime d’une crise de la famille causée par la pénétration de l’individualisme dans une institution jusque là perçue comme une entité structurée et différenciée. Que devient la famille lorsqu’elle est comprise comme une somme d’individus tendant à l’indifférenciation car libres et égaux en droits ? Une petite démocratie entièrement gouvernée par le contrat entre des libertés souveraines. Comment honorer politiquement le fait familial dans sa spécificité lorsque la politique ne prend pour paramètre de son intervention que des individus réclamant des droits égaux en réponse à ce qu’ils considèrent (à tort ou à raison) comme des vulnérabilités et/ou des injustices ? 

Un droit familial calé sur les mœurs

Cette atomisation de la famille est en partie causée par la révolution opérée sur cet autre versant de la politique familiale qu’est le code civil. Promouvoir politiquement un droit calé sur les mœurs, ou plutôt sur l’objectivation sociologique de certaines tendances, c’est inéluctablement contribuer à les légitimer et à les renforcer. En effet, les sciences sociales en pleine essor dans les années 60 ont souvent été sollicitées par les services de l’Etat providence pour que celui-ci prenne mieux en charge les évolutions « sociétales ». Or les sciences sociales, en raison de leur méthode propre, contribuent à forger des catégories et des définitions donnant l’impression d’objectivité aux phénomènes ainsi nommés. Le déploiement du discours sur la diversité des modèles familiaux est l’exemple d’une telle circularité entre savoir, politique et droit. La revendication des « familles homoparentales » n’est que le terme de ce processus et le signe en est la réappropriation du lexique familialiste par les associations militantes.

Cette politique familiale a donc, sous couvert du soutien à toutes les familles et à toutes les situations, contribué à subvertir l’institution familiale dans sa cohérence. C’est un autre fruit, non moins amer que la diminution des allocations, de la confusion entre politique familiale et politique sociale. Les raisons de cette trahison sont complexes mais nous voudrions en proposer une en hypothèse. N’est-ce pas par manque de vision proprement politique que les gouvernements successifs ont refusé de maintenir la spécificité du fait familial et de résister aux sirènes de l’individualisme et du démocratisme ?

Enjeux ultimes de la politique familiale

En effet, seule une conscience des enjeux ultimes de la politique familiale peut permettre à un gouvernement d’assumer une ligne courageuse, c’est-à-dire non compassionnelle. Or ces enjeux ultimes sont indissociablement anthropologiques, moraux et politiques car la politique familiale se situe justement à cette jointure de ce qu’il y a de plus intime dans la vie humaine (l’amour, la procréation, l’éducation) et de ce qu’il y a de plus public (la transmission d’un patrimoine, la civilité, la pérennité d’un peuple). C’est le nouage de ces deux dimensions que le politique doit sauvegarder comme un trésor et, pour cela, il doit combattre toutes les forces centrifuges traversant le cœur humain et tendant à l’éclatement de cette cohérence. Bref, seule une authentique saisie de la personne humaine dans l’unité de ses diverses dimensions peut permettre de garder le cap face aux logiques de séparations. Or la politique familiale a encouragé depuis plusieurs décennies exactement l’inverse : la dissociation entre le corps sexué et la personne, entre la sexualité et l’amour durable, entre la sexualité et la procréation etc.

La liberté et l’égalité sont certes des références essentielles du monde démocratique. Mais si elles ne s’articulent pas avec l’autorité, de conditions du monde commun elles deviennent principes de sa fragilisation. L’autorité digne de ce nom ayant en charge le bien commun permet de tempérer l’égalité et d’orienter la liberté car elle est « ce qui fait croître ». Telle est le fondement de la responsabilité politique.

Conseillons donc aux candidats de (re)lire Le Principe responsabilité(1979, publié au Cerf en 1990) d’Hans Jonas dans lequel il ose comparer le rôle des hommes d‘Etat à celui des parents. En effet, chacun, selon son ordre propre, a la lourde charge de transmettre aux générations futures un monde qu’il a reçu et dont il n’est pas la mesure. Si l’autorité peut faire croître, c’est qu’elle se reçoit d’une source et qu’elle se vit adéquatement comme un service, celui de préserver l’ordre de la vie humaine.

 

Thibaud Collin est philosophe et membre du comité de rédaction de Liberté politique.

A paraître fin mars : Les Lendemains du mariage gay (Salvator)  

 

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