Source [Contrepoints] : Les mesures proposées par Gabriel Attal sont ponctuelles et ne sont pas à la hauteur du choc annoncé. Nelly Guet souligne la nécessité d’une approche plus globale.
Si j’étais ministre de l’Éducation nationale, de surcroît un jeune ministre pouvant aspirer à devenir, un jour, président de la République, je déclarerais vouloir supprimer le ministère de l’Éducation nationale dans sa forme actuelle, et vouloir lui substituer une autre organisation qui relève le niveau des élèves français dans les comparaisons internationales, mais surtout qui permette de réduire de manière drastique les inégalités sociales en matière d’éducation. La légitimité d’une telle décision est affichée au fronton de nos bâtiments publics : « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Une telle ambition est bien éloignée d’une énumération de mesures ponctuelles, telles que celles de Gabriel Attal cette semaine.
On y trouve pêle-mêle : une refonte des programmes ; une méthode d’enseignement des mathématiques associée à une labellisation des manuels scolaires ; une organisation pédagogique déjà mise en place dans les années 1980 ; une modification des modalités d’organisation des examens et des passages de classe.
Une seule innovation : un soutien scolaire en français et mathématiques, pour les élèves de seconde, s’appuyant sur l’intelligence artificielle !
C’est un peu comme si pour la restauration de Notre-Dame, le Général Georgelin s’était contenté d’explorer les décombres dans la nef de la cathédrale, sans se préoccuper de l’ampleur de la tâche à venir.
À qui s’adresse un tel discours ?
Très certainement pas aux professionnels, connaisseurs du monolithe « ÉducNat », toutes tendances politiques confondues. Quatre décennies de réformes n’auront toujours pas permis de faire comprendre au ministère qu’unifier veut dire renforcer l’élitisme à l’école. Il n’est pourtant pas possible de nier l’évidence : notre système n’est performant, ni pour les bons élèves ni pour les élèves en difficulté.
Ce discours s’adresse donc à tous les parents français qui rêvent encore de l’école de grand-papa et n’ont aucune connaissance de l’évolution des pratiques pédagogiques dans les autres pays. D’où un certain mérite, il faut le concéder, à évoquer Singapour ! Il s’adresse aussi à une partie des enseignants, en manque d’autorité, qui brandiront, comme jadis, la menace du redoublement, pour se faire respecter.
Autonomie des établissements
Donner un réel pouvoir aux enseignants, aux parents, aux élèves, aux directions d’établissements, c’est introduire en France, avec vingt ans de retard, l’évaluation interne.
L’outil appelé SEP – self evaluation profile ou profil d’autoévaluation – mis au point par le professeur Mac Beath (Écosse), Denis Meuret (France) et Michael Schratz (Autriche) a été présenté dès l’an 2000 à madame Ségolène Royal qui n’a pas jugé utile d’introduire une telle transformation dans le « Collège de l’an 2000 ». C’est pourtant la première étape à franchir lorsque l’on veut accorder une réelle autonomie à l’établissement, et de nombreux pays européens l’ont compris immédiatement. Animée d’un faux espoir, j’ai à nouveau présenté cet outil à la DGESCO (Direction Générale de l’Enseignement Scolaire), fin août 2017. En vain.
Il n’y aura donc pas de « Choc Pisa » en France en 2023, qui puisse être comparé à celui provoqué en Allemagne en l’an 2000 par Andreas Schleicher (OCDE). Concurrence oblige, les 16 länder allemands ont alors vite compris que la priorité des priorités était de rendre les établissements scolaires plus autonomes qu’ils ne l’étaient dans les années 1990. J’ai dirigé un lycée allemand à cette époque et peux confirmer que nous avions en France, grâce à l’Acte 1 de la décentralisation de 1985, une certaine avance sur notre voisin. Nous avons été vite dépassés dans ce domaine, car aucune de nos régions ne peut innover comme l’ont fait le Sénat de Berlin, la Bavière, la Rhénanie du Nord-Westphalie… et les autres.
Par autonomie, on entend le recrutement par l’équipe de direction de ses proches collaborateurs, l’évaluation des enseignants… Nos directions d’établissement n’ont toujours pas de réel pouvoir de décision, en ce qui concerne l’affectation des ressources financières, la gestion des ressources humaines (recrutement, évaluation, formation) et des moyens horaires (répartition des élèves, contenus d’enseignement, pratiques pédagogiques).
Si les résultats de PISA 2022 montrent également une baisse significative de niveau en Allemagne, imputable à de nombreux facteurs : Covid-19, fermeture des établissements scolaires, élèves immigrés plus nombreux, d’après Andreas Schleicher, l’arrêt des réformes éducatives serait également en cause. Quant à la Finlande, mes collègues expliquaient modestement leur niveau d’excellence par un public scolaire très homogène, ce qui n’est plus tout à fait le cas.
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