Najat Vallaud-Belkacem, stade suprême de la réforme idéologique

Après que Najat Vallaud-Belkacem, prenant toute le monde de court, a signé sans autre concertation les décrets portant réforme du collège, le ministre tente de déminer l’opposition généralisée à son projet en multipliant les colloques. Comment a-t-elle pu concevoir et mené une telle réforme ?

Il est clair que l'intéressée, dont la nomination avait surpris, a atteint aujourd'hui, selon le principe de Peter, son niveau d'incompétence.

Mais le type d'incompétence qu'elle manifeste avec la réforme du collège qu'elle a imposée avec l'appui de Hollande et Valls, est hautement significatif de la manière dont, tant par facilité intellectuelle que par idéologie, on prend rue de Grenelle, depuis quarante ans, les décisions qui détruisent peu à peu notre appareil éducatif.

Prolonger la courbe

La méthode est simple : ceux qui sont en charge de proposer des réformes partent des principaux changements qui ont été opérés au cours de années précédentes ; ils constatent que ces changements, réforme après réforme, vont tous dans le même sens et, comme un élève de cinquième qui apprend la géométrie, ils se contentent de prolonger la courbe que ces changements dessinent pour aller « un peu plus loin » sur la même trajectoire — quand c'est encore possible.

Il est vrai que le ministère est truffé de vieux augures, apparatchiks généralement médiocres et hégeliens au petit pied, dont toute la compétence consiste à dire sentencieusement, d'un air inspiré, « on va vers ceci ou vers cela », et d'en tirer une opération de prolongation aussi stupide que celle que nous venons de décrire.

Le latin et le grec sont en déclin ; on décrète leur suppression prochaine.

L'allemand est en déclin au bénéfice du tout anglais : on l'affaiblit encore au mépris de nos engagements vis-à-vis du gouvernement allemand et de l'amitié franco-allemande qui constitue toujours le socle de notre diplomatie.

Plus d’égalité

Depuis le plan Langevin-Wallon de 1947, la tendance est à plus d'égalité. Le tronc commun au niveau du collège avait été mis en place entre 1960 et 1970 mais il comportait des filières diversifiées et la possibilité du redoublement, donc d'une différenciation des rythmes. René Haby, ministre de Giscard et néanmoins bon élève du marxiste Pierre Bourdieu, décrète en 1975 la fusion des différentes filières. Le plan Jospin de 1989 interdit pratiquement les redoublements, une interdiction renforcée récemment. Mais la différenciation des filières s'était réintroduite par le biais de classes dites « européennes » regroupant souvent les meilleurs élèves. On y apprenait les langues à marche forcée, ce qui impliquait au départ une certaine sélection.

Aux classes bilingues à une langue étrangère renforcée, ont été ajoutées les classes bilangues à deux langues étrangères dès la sixième. En sus de l'anglais, ces classes se tournaient le plus souvent vers l'allemand, supposé plus difficile et donc plus élitiste ; elles sont aujourd'hui supprimées.

La force de l'enseignement secondaire en français était la qualification de professeurs qui avaient appris au niveau de la licence ou de la maîtrise une discipline particulière. Ils étaient fiers de transmettre un savoir de haut niveau. La baisse du niveau de nos universités, qui a débouché sur un CAPES supposé plus pratique, a affaibli cette exigence.

La fin des disciplines

En parallèle ont été encouragés les travaux interdisciplinaires. Mme Najat Vallaud Belkacem leur donne encore plus d'importance au détriment des disciplines fondamentales. Ces travaux interdisciplinaires prétendent faire à la place de l'élève le travail de synthèse entre les différents savoirs, alors qu'une école véritablement libérale devrait les laisser les croiser eux-mêmes.

Surtout ils dégradent la notion de discipline scientifique et donc la dignité des savoirs, pour ne pas dire la notion de discipline tout court. Les enseignants deviennent, comme ils le sont dans les pays anglo-saxons, de simples animateurs.

L'intérêt de cette manière de réformer l'Éducation nationale, la même depuis soixante-dix ans, que la droite ou la gauche soient au pouvoir, est que même un âne serait capable de faire ce genre de réforme fondée sur la prolongation des courbes dessinées par les reformes passées.

Toujours de mal en pis

Cette mécanisation du processus réformateur n'est pas innocente. Réduire la politique à quelques principes simples que l'on applique de manière répétitive quelle que soit la complexité du réel, ce n'est pas seulement de la bêtise adminisrative, c'est aussi la définition du processus idéologique.

Le processus idéologique s'appuie en l'occurence sur un principe de base : toujours plus d'égalité.

Ne nous leurrons pas : comme l'idéologie aboutit toujours au contraire du but recherché, toujours plus d'égalité, cela veut dire toujours plus d'inégalité.

Si l'égalité veut dire traiter tous les élèves de la même manière, comme si on espérait égaliser une série de nombres en les multipliant tous par deux, le résultat est que, faute d'un traitement différencié, les bons sont encore meilleurs et les mauvais s'enfoncent.

Cet égalitarisme superficiel se double d'une doctrine encore plus perverse, issue de Pierre Bourdieu, qui conduit à l'avilissement des savoirs transmis. L'inégalité des élèves, qui est de toujours, ne serait pas selon le sociologue, l'effet des aptitudes innées mais du seul milieu social des élèves. Ce milieu social est plus ou moins apte à transmettre les « codes » que l'on trouve dans l'apprentissage de la langue française mais aussi ceux de la culture générale (y compris scientifique), de la discipline, des manières, etc.

Affaiblir les apprentissages

Pour permettre aux plus défavorisés de faire jeu égal avec les autres, on a décidé, depuis cinquante ans, année après année, d'affaiblir ces apprentissages jugés discriminants. Cette théorie plus qu'absurde aboutit à priver les élèves les plus défavorisés d'une « éducation » de base, au sens plein du terme que les autres trouvaient (et ne trouvent plus guère d'ailleurs) dans leur famille. La catastrophe scolaire que nous vivons n'a pas d'autre origine que cette théorie affligeante. Et bien entendu, si la qualité de l'enseignement public se dégrade, les différences familiales, au moment de l'embauche, jouent à plein.

Dans cette succession de Grands Maîtres de l'Université attelés les uns après les autres à décerveler les enfants et détricoter la transmission de notre héritage, Najat Vallaud-Belkacem, non seulement ne déroge pas, mais étant sans doute plus idéologue encore que les autres, elle offre le produit le plus achevé du processus.

 

Roland Hureaux

 

 

 

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