Source [Revue Elements] : Dans cet essai, vous développez une généalogie des sciences, en montrant qu’elles se sont toutes élaborées sur la base de critiques de la théorie, elles-mêmes issues de critiques, et ainsi de suite. Les découvertes scientifiques sont donc directement issues de la philosophie (du grec, celui qui aime le savoir).
Vous insistez d’ailleurs sur ce terme « Sophia », tout en le rattachant à plusieurs philosophes. Que pouvons-nous qualifier aujourd’hui de progrès scientifiques ? Sont-ils toujours bons ? Au profit de qui ?
DENIS COLLIN : Le progrès est l’avancée vers un but. Ce but est la connaissance la plus vaste possible et de ce point de vue, nous avons incontestablement fait de grands progrès. Nous avons fait de grands progrès dans notre connaissance de l’Univers, mais ceux-ci nous rendent encore plus perplexes. Nous avons appris beaucoup sur nos ascendants grâce aux progrès de la paléontologie. Mais les progrès scientifiques sont tout sauf linéaires. Sur ce qui est le plus fondamental, la nature de la nature, on est toujours dans les discussions qui agitaient les philosophes grecs : la matière est-elle continue (Aristote) ou discontinue (Démocrite), le monde est-il fini ou infini (encore les deux mêmes) ? Un progrès est un progrès du savoir, un gain de l’intelligibilité du réel, mais nos confondons trop souvent progrès du savoir et progrès technique. Les progrès du savoir en tant que savoir désintéressé sont toujours bons. Mais c’est avec les sciences appliquées que les ennuis commencent. Les problèmes se posent sur deux plans : est-on prêt à tout pour augmenter notre savoir ? quel rapport doit-il y avoir entre science et technique ? Le premier aspect qui inclut les limites de l’expérimentation est bien connu. Mais on sait que, pratiquement, les choses ne sont pas vraiment fixées et l’affaire de la Covid l’a bien montré. En ce qui concerne le rapport science/technique, aujourd’hui c’est très largement la technique qui pilote la science et c’est pourquoi je reprends le terme de « technoscience ». Or, la valeur de la technique, c’est l’utile et non le bien ni le vrai. Utile à quoi et à qui ? Voilà la question à laquelle ni la science ni la technique ne peuvent répondre. Ajoutons que nous trouvons toujours d’excellentes raisons pour faire le pire. Nous ne manquons pas de bonnes raisons pour développer les techniques de manipulation génétique sur le génome humain. Dans un système hypercomplexe comme le nôtre, la surveillance généralisée des humains est non seulement possible, mais aussi souhaitable pour préserver le système.
Sur le plan intellectuel, il faudrait pouvoir rétablir une hiérarchie des savoirs. Au fond, redevenir platonicien. Pour faire des bonnes lois et bien administrer la cité, il faut savoir ce qu’est le vrai et ce qu’est le bien, disait notre maître. Pour savoir ce qu’il faut faire en matière de science et de technique, nous devons déterminer ce qu’est notre conception du bien. La philosophie est la « science architectonique », disait Aristote. Il avait raison, aussi extravagante que paraisse cette affirmation dans un monde où les seuls administrateurs de la vérité sont les scientifiques, chacun dans son domaine. Ils sont souvent secondés par des rhéteurs dont l’art consiste à faire passer pour vrai ce qui est utile au pouvoir et au capital financier.
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