Nos coups de coeur
Il en est des religions, des confessions comme des systèmes politiques : ce sont souvent les transfuges qui en parlent le mieux. Parce qu'ils en ont connu de l'intérieur les traits et les travers, ils sont à eux-mêmes une tradition, conservant ce qui mérite de l'être, rejetant les erreurs et les scories, récapitulant parfois par leur propre parcours les évolutions qu'auront connu les idées qu'ils avaient cru pouvoir légitimement épouser. Sur le front du Père Viot, l'écriteau ancien franc-maçon se lit à tort par beaucoup de catholiques comme une marque de fabrique, sinon un produit d'appel. Pourtant, nul encens sulfureux n'émane du cerveau de ce très bon communicateur dont tout non moins bon chrétien lira le cursus comme la mise en concordance consciente (et consciente d'abord de l'aide de la Providence dans cette recherche) d'une vie – la sienne – et de la Vérité.
Un mot, donc (et pour en finir, provisoirement), sur la franc-maçonnerie. A l'origine (au XVIIème), les Constitutions d'Anderson (à laquelle serait fidèle aujourd'hui le rite écossais rectifié) renvoient de droit l'initié au théisme, ce qui aurait du interdire à toutes les obédiences subséquentes de dériver vers ce qui a abouti au Grand Orient de France. A ce propos, le lecteur féru de théologie trouvera à notre sens pour la première fois dans ce livre une distinction entre le déisme (de Voltaire par exemple) et le théisme alors que tous les ouvrages savants, soit vous expliquent qu'ils sont synonymes, soit, défaitistes, finissent par conclure qu'il existe bien une différence entre les deux termes mais qu'elle est trop ténue pour que l'on puisse clairement la distinguer. Michel Viot rend cependant grâce à cette franc-maçonnerie originelle qui lui a permis de comprendre l'importance de la symbolique (le symbole est d'essence divine, syn avec, il unit, s'accorde avec... à l'inverse du diable tiré du préfixe grec di deux fois, qui divise), des rites et de la liturgie. Cette initiation préalable conduit notre abbé à faire la part des choses : la parenthèse luthérienne passée – et celle-là vécue rétrospectivement comme une préparation parallèle à la pénétration du Mystère, seul et ultime dépassement de tous les ersatz d'absurdités encore contenus par ce qui n'est pas pleinement chrétien - , il se voit armé pour débusquer l'origine de bien des querelles. Souvent résultent-elles des traductions fautives. Ainsi, la messe dite de Paul VI n'est pas en elle-même scandaleuse. Seulement, Viot s'étonne-t-il que bien peu ait stigmatisé sa traduction en français. C'est d'elle d'où vient le mal. Elle comporte de graves erreurs qui tendent précisément à estomper son caractère mystériel, à édulcorer sa dramaturgie successivement sacrificielle et rédemptrice. (Par exemple, lors de la récitation du credo, certains officiants rétablissent à propos, énonçant que le Fils est de même substance, et non de même nature que le Père.) Si l'on sait que les Pères de l'Eglise ont bataillé dans des volumes entiers sur ces questions, on ne s'étonnera pas que la place ici nous manque pour, tant faire se peut, reprendre l'auteur au détour de son zèle d'orthodoxie. Si l'Eucharistie est la réitération non sanglante du sacrifice de la Croix, certains des commentaires de notre auteur paraîtront contestables tandis que le lecteur sourcilleux émettra de semblables réserves sur la définition du Dieu trinitaire. (Les trois Personnes de la Trinité sont certes des hypostases, mais ce sont bien aussi des personnes, au sens classique où nous l'entendons sur terre, et qui diffèrent entre elles. Le propos sur ce point de l'auteur tendrait à l'émanentisme.)
Catholique puis évêque luthérien, puis curé de paroisse, Michel Viot a eu raison de se porter volontaire à l'aumônerie de la maison d'arrêt de Blois. Il livre là un apostolat de prélat proche de ses ouailles, fin observateur de l'inhumanité essentielle de la Justice quand, dans son paradoxal orgueil, elle ne se revendique plus qu'humaine. Ce n'est pas seulement l'histoire ecclésiastique de ces cinquante dernières années qui défile sous le verbe très pédagogue du Père Viot. Le lecteur friand d'anecdotes signifiantes comme on dit trouvera dans ces pages du grain à moudre. Il se convaincra que Robert Boulin (Viot l'a bien connu) a été assassiné, que Mauriac, fieffé roué, aurait mieux fait parfois de se taire, que Chirac n'est pas non plus toujours fidèle en paroles et, plus généralement, que la mauvaise foi, en matière de religion comme en matière politique, sont l'antichambre de la bonne foi, quand ce n'est pas de la foi pure.
Après son livre sur Benoît XVI (Le vrai et le faux, éd. de l'œuvre), Michel Viot ressentait dans la foulée la nécessite de se livrer vite et bien. Mission en partie accomplie dans cet ouvrage d'entretiens avec le journaliste Charles-Henri d'Andigné qu'une relecture plus attentive aurait toutefois permis de parfaire (en certaines pages, Viot confond procédure accusatoire et procédure inquisitoire, date l'avènement du Premier Empire, non en 1804, mais en 1802 et autres méprises.) On a là, malgré tout, un récit à la lettre considérable d'un très perspicace observateur du monde contemporain (et qui, probablement, l'anticipe à bon escient.) Et il ne mérite ces qualificatifs que parce qu'il montre qu'il a, auparavant, bien compris l'histoire de l'Eglise.
Lointain descendant de Newman à sa manière, Viot aura à présent à cœur de rédiger plus profondément son Apologia pro vita sua [1] : l'histoire des raisons qui le conduisirent à (re)devenir catholique. Mais, de ce travail d'approfondissement intellectuel, les fidèles de Liberté Politique ont déjà eu droit à un premier aperçu [2].
Hubert de Champris
[1] cf. John Henry Newman, Apologia pro vita sua (liminaire du Cardinal Jean Honoré), Ad Solem.
[2] Cf. Liberté Politique n°17, automne 2001, pp. 226-230 (repris entres sur les sites Vivre pour la Vérité et Liberté Politique.)