Le buste du député Albert de Mun (1841-1914) va-t-il disparaître de la vue des parlementaires français, victime des « valeurs de la République » [1]? Père du christianisme social, il fut à l’origine des premières mesures favorables au monde ouvrier. En parlementaire, il défendit la liberté religieuse comme condition élémentaire de toute politique sociale authentique.
Le 18 juin dernier, le député Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate, s’est adressé au président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, pour s’émouvoir de l’éviction probable de l’illustre parlementaire de l’emblématique salle des Quatre Colonnes, n’osant « imaginer qu’il y aurait derrière cet éventuel projet une volonté de faire disparaître […] les traces de l’œuvre des chrétiens sociaux dans notre histoire politique ».
M. Poisson rappelle que ce député de Morlaix « fut à l’origine de la protection des travailleurs et de la limitation du temps de travail. En théorisant la question sociale, il [inscrivit] la dignité de la personne au cœur de son action politique et [engageât] la France dans de profondes réformes inspirées par cette idée forte ». Par ailleurs, « Albert de Mun [fût] le représentant du ralliement des chrétiens à la République, moment fort de notre unité nationale ».
Ces deux innovations sont les plus marquantes de la vie politique et intellectuelle d’Albert de Mun, mais aussi de l’Église à la fin du XIXe siècle, puisqu’elles prolongent les deux encycliques citées : Rerum novarum publiée en 1891, et Au millieu des sollicitudes, sur le « ralliement » des catholiques à la République, en 1892.
La première inaugure la doctrine sociale de l’Église et pose avec force la « question sociale » en dénonçant le « socialisme athée » et « la misère et la pauvreté qui pèsent sur la majeure partie de la classe ouvrière ». La seconde s’adresse directement aux Français : faisant suite au « toast d’Alger » porté par le cardinal Lavigerie en 1890, elle invite les catholiques de France à se rallier au jeune régime républicain pour mieux servir le bien commun, espérant ainsi faire peser davantage l’Église dans une vie politique alors très anticléricale.
Dans le discours qu’il a prononcé à Saint-Etienne en 1892, Albert de Mun insiste sur les liens entre Rerum novarum et le ralliement, en montrant que la question sociale n’appelle pas seulement des mesures permettant d’améliorer la condition ouvrière, mais elle appelle aussi une réforme morale menée dans le cadre des institutions républicaines. Pour lui, c’est la condition pour que ces mesures ne soient pas immédiatement vidées de leur contenu.
Dans cet extrait que nous publions, les propositions politiques concrètes et d’actualité pour mettre en œuvre une véritable politique sociale sont en relation étroites avec leur source chrétienne. Non par confessionnalisme, comme une lecture rapide peur le faire accroire, mais parce que la reconnaissance de Dieu, en soi et dans ses lois supérieures, est une garantie contre l’arbitraire des puissants.
Pour Albert de Mun, il n’y a pas de politique sociale sans liberté religieuse. Serait-ce cet homme que les services présidés par Claude Bartolone voudrait voir disparaître ? Le signal serait inquiétant.
Axel Rokvam
LES DROITS DU PEUPLE CONTRE LE REGIME INDIVIDUALISTE
« LA QUESTION SOCIALE et la question religieuse sont intimement liées, et elles constituent ensemble toute la question politique. J'ai toujours cru que les catholiques ne pouvaient se désintéresser de la question sociale, sous peine de manquer à leurs obligations vis-à-vis du peuple : aujourd'hui, depuis l'encyclique sur la condition des ouvriers [Rerum novarum, Ndlr], je crois qu'ils n'en ont pas le droit et que leur programme social est là, tout écrit, magistralement tracé, comme leur programme politique l'a été par l'encyclique du 16 février [Au milieu des sollicitudes, Ndlr].Sur ce terrain aussi, je n'indiquerai que les grandes lignes, mais je crois nécessaire de le faire.
Les droits du peuple contre l’individualisme
À mes yeux, l'ensemble de nos revendications doit tendre à assurer au peuple la jouissance de ses droits essentiels méconnus par le régime individualiste : la représentation légale de ses intérêts et de ses besoins, au lieu d'une représentation purement numérique ; la préservation du foyer et de la vie de famille ; la possibilité pour chacun de vivre et de faire vivre les siens du produit de son travail, avec une garantie contre l'insécurité résultant des accidents, de la maladie, du chômage et de la vieillesse ; l'assurance contre la misère inévitable ; la faculté pour l'ouvrier de participer aux bénéfices et même, par la coopération, à la propriété des entreprises auxquelles il concourt par son travail ; enfin la protection contre les agiotages et les spéculations qui épuisent les épargnes du peuple et le condamnent à l'indigence, pendant que, suivant les paroles de l'encyclique, « une fraction, maîtresse absolue de l'industrie et du commerce, détourne le cours des richesses et en fait affluer vers elle toutes les sources. »
La liberté du travail
Deux forces doivent concourir à la réalisation de ce programme : l'organisation professionnelle et la législation. L'organisation professionnelle, pour laquelle nous demandons la liberté la plus large, donnera le moyen d'assurer la représentation publique du travail dans les corps élus de la nation, de déterminer dans chaque profession industrielle ou agricole le taux du juste salaire, de garantir des indemnités aux victimes d'accidents, de maladies ou de chômages, de créer une caisse de retraites pour la vieillesse, de prévenir les conflits par l'établissement des conseils permanents d'arbitrage, d'organiser corporativement l'assistance contre la misère, enfin de constituer entre les mains des travailleurs une certaine propriété collective à côté de la propriété individuelle, et sans lui porter atteinte.
La protection de la loi
La législation protégera le foyer et la vie de famille par la restriction du travail des enfants et des femmes, l'interdiction du travail de nuit, la limitation de la journée de travail, l'obligation du repos dominical ; dans les campagnes, en rendant insaisissables la maison et le champ du cultivateur, les instruments et le bétail de première nécessité.Elle facilitera la vie de l'ouvrier et du paysan par la diminution et la réforme des charges fiscales, particulièrement des impôts qui frappent la subsistance.Elle favorisera la participation aux bénéfices, la constitution des sociétés coopératives de production ; dans les campagnes, l'association de métayage.Enfin, elle protégera la fortune nationale, l'épargne populaire et la morale publique par des lois sur l'agiotage, sur le jeu et les opérations de bourse, sur le fonctionnement des sociétés, sur l'exclusion des étrangers de l'exploitation et de la direction des grands services publics, sur l'interdiction pour les fonctionnaires, les représentants de la nation et les agents du pouvoir, de participer aux spéculations financières. Tels sont les principaux articles du programme social que je conseille aux catholiques d'adopter. Ils ne sont autre chose que l'application des principes posés dans l'encyclique sur la condition des ouvriers.
La liberté religieuse et d’éducation
Mais j'y reviens pour bien établir le lien étroit de la question religieuse et de la question sociale ; ces réformes seraient vaines, inefficaces on irréalisables, si elles n'étaient fondées sur l'éducation chrétienne, qui est la base de la morale ; sur l'enseignement du catéchisme, qui apprend à connaître et à respecter les droits de Dieu, seule garantie des droits de l'homme ; sur la doctrine de l'Évangile, qui enseigne la pratique des devoirs réciproques, en même temps que le respect des droits naturels ; qui commande aux hommes de s'aimer les uns les autres, et leur fait une obligation de la charité aussi bien que de la justice ; qui montre aux pauvres comme aux riches, au-dessus de la poursuite légitime des biens matériels, leur immortelle destinée comme le but suprême de leur vie et le sacrifice volontairement accepté comme le moyen d'y parvenir ; si elles n'étaient fondées enfin sur la liberté de l'Église, condition nécessaire de son apostolat, de ses œuvres d'enseignement ou de miséricorde, de toute son action morale et matérielle.Voilà donc notre programme. C'est celui que la Ligne catholique et sociale a proclamé quand elle a écrit sur son drapeau, le jour de sa fondation, les droits de Dieu et les droits du peuple. [...] »
Discours d’Albert de Mun, Saint-Etienne, 1892
[1] Le buste de l’ancien député, qui fait face à Jean Jaurès, serait remplacé par celui de la féministe Olympe de Gouges.
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Cette histoire de tour de passe-passe entre le buste d’Albert de Mun et celui d’Olympe de Gouges soulève une question beaucoup plus grave encore que celle donnant à penser, qu’au deuxième voire au premier niveau de l’Etat, on ait voulu « faire disparaître l’œuvre d’Albert de Mun ».
Voir le commentaire en entierIl s’agit maintenant alors de savoir pourquoi cette œuvre dérange tant à l’Assemblée nationale tandis qu’elle se trouve placée pendant encore au moins deux ans sous la férule socialiste; ce, dans un contexte où il n’y a plus de majorité ni d’opposition que de façade, plus de contre-pouvoir libre de ses mouvements ni de vrai pouvoir que de façade et que l’équilibre, qui pouvait exister jusque-là pour que ces pôles d’activité politique et sociale s’exercent de manière donc à pouvoir à répondre correctement aux nécessités économiques qui conviennent, a totalement disparu, alors qu’en rapprochant le social du religieux comme Albert de Mun le voulait, on obtiendrait d’excellents résultats dans tous les domaines.
Voilà! C’est du retour du social associé au religieux dont les représentants de façades de la majorité et de l’opposition ne veulent pas. Les premiers comme les seconds, chacun selon ce que ces sujets les embarrassent ou leur échappent; les uns parce qu’ils comprennent trop bien la situation et les autres parce qu’ils n’y entravent rien ou si peu; alors que, replacée à la lueur des incohérences et des contradictions modernes l’œuvre d’Albert de Mun reprenant tout son sens, elle les obligerait à faire volte face. Comme d’admettre le contraire de tout ce qu’ils prétendent depuis toujours; à admettre leur échec et leur incurie coutumières dont ils auront fait preuve durant trop longtemps, soit parce qu’ils n’auront pas fait les efforts nécessaires à temps, ils auront feint de comprendre la situation, et pire encore en faisant tout pour qu’on ne comprenne pas qu’un équilibre, plus grand encore à tous les autres que nous avons à rétablir, doit l’être aussi mais en priorité car le rétablissement de tous les autres en dépendent.
C’est ainsi que, entre ce qui relève plus de l’Etat que de l’Eglise, le Pouvoir et ce qui relève plus de l’Eglise que de l’Etat, l’Autorité, un équilibre est nécessaire aussi.
Car, pour que ces deux secteurs essentiels de la vie en société puissent jouer leurs rôles respectifs comme il se doit, ils doivent être dissociés. Mais pas dissociés pour être séparés comme des entités qui n’ont rien à faire ensemble.
Il en serait comme Albert de Mun nous le suggèrerait aujourd’hui. Il reprendrait les éléments contenus dans le discours qu’il fit à St-Etienne en 1892 pour nous dire quelque chose de plus si le contexte qu’il a connu avait été celui que nous connaissons actuellement avec le marasme involutif dans lequel nous nous enfonçons jour après jour de depuis des décennies. Il nous exhorterait - soyons-en certains - de rétablir cet équilibre en priorité pour que la vie politique, économique et sociale de notre pays puisse se dérouler dans de bonnes conditions, reprenne son cours normal.
C’est très clair ! Voilà pourquoi les socialistes veulent voir « disparaître l’œuvre d’Albert de Mun » !
Suite à quoi je lancerai l’appel suivant : Ne les laissons pas nous enfumer encore une fois ! Faisons d’Albert de Mun, un modèle pour notre temps ! Faisons de lui ce modèle dont les socialistes ne veulent pas, mais dont pourtant nous avons tous un grand besoin !
Merci de nous alerter sur le sujet, quelles actions pouvons-nous entreprendre?