« Si je renonce à faire respecter l'identité humaine, j'abdique devant celui qui opprime, je renonce à la révolte et retourne à un consentement nihiliste. Le nihilisme alors se fait conservateur. Si j'exige que cette identité soit reconnue pour être, je m'engage dans une action qui, pour réussir, suppose un cynisme de la violence, et nie cette identité et la révolte elle-même. En élargissant encore la contradiction, si l'unité du monde ne peut lui venir d'en haut, l'homme doit la construire à sa hauteur, dans l'histoire. L'histoire, sans valeur qui la transfigure, est régie par la loi de l'efficacité. Le matérialisme historique, le déterminisme, la violence, la négation de toute liberté qui n'aille pas dans le sens de l'efficacité, le monde du courage et du silence sont les conséquences les plus légitimes d'une pure philosophie de l'histoire. Seule, dans le monde d'aujourd'hui, une philosophie de l'éternité peut justifier la non-violence. À l'historicité absolue elle objectera la création de l'histoire, à la situation historique elle demandera son origine. Pour finir, consacrant alors l'injustice, elle remettra à Dieu le soin de la justice. Aussi bien, ses réponses, à leur tour, exigeront la foi. On lui objectera le mal, et le paradoxe d'un Dieu tout-puissant et malfaisant, ou bienfaisant et stérile. Le choix restera ouvert entre la grâce et l'histoire, Dieu ou l'épée. […] Une opposition irréductible entre la révolte et les acquisitions de la révolutionAinsi encore de la justice et de la liberté. Ces deux exigences sont déjà au principe du mouvement de révolte, et on les retrouve dans l'élan révolutionnaire. L'histoire des révolutions montre cependant qu'elles entrent presque toujours en conflit comme si leurs exigences mutuelles se trouvaient inconciliables. La liberté absolue, c'est le droit pour le plus fort de dominer. Elle maintient donc les conflits qui profitent à l'injustice. La justice absolue passe par la suppression de toute contradiction : elle détruit la liberté. La révolution pour la justice, par la liberté, finit par les dresser l'une contre l'autre. Il y a ainsi dans chaque révolution, une fois liquidée la caste qui dominait jusque-là, une étape où elle suscite elle-même un mouvement de révolte qui indique ses limites et annonce ses chances d'échec. La révolution se propose, d'abord, de satisfaire l'esprit de révolte qui lui a donné naissance ; elle s'oblige à le nier, ensuite, pour mieux s'affirmer elle-même. Il y a, semble-t-il, une opposition irréductible entre le mouvement de la révolte et les acquisitions de la révolution.
Albert Camus, L'Homme révolté V, « Révolte et meurtre », p.357-359.
|
Votre titre est alléchant mais inexact.
Certes l'extrait présenté demeure intéressant. Toutefois, cet article ne peut pas avoir été écrit par Albert Camus, décédé depuis quelques années maintenant. Sans doute est-il de Axel Rokvam ?
Merci de corriger si mon doute s'avère exact !