Le pape se tait. Mais beaucoup parlent pour lui. Un premier texte de synthèse des travaux du synode sur la famille — très critiqué, y compris par les pères synodaux eux-mêmes — a été rendu public le 13 octobre. Il est provisoire et ne préjuge pas du texte final à paraître en fin de semaine et encore moins de la suite du processus synodal.
Ce rapport d’étape permet néanmoins de mesurer à quel point la ligne critique, portée sous Jean-Paul II et Benoit XVI par les cardinaux Martini et Kasper, est désormais influente à Rome. Ce texte est, en effet, porteur d’une nouvelle méthode pastorale, qui part de la réalité de la vie des hommes et des femmes d’aujourd’hui en valorisant au maximum ce qu’elle contient.
Une méthode pastorale importée
Fi d’une approche employant des gros mots tels que péché, vérité sur le bien, conversion, combat spirituel. Il faut que les pasteurs effectuent une « conversion missionnaire » et « une conversion du langage ». L’heure est au « prendre soin » (le care importé des études féministes anglo-saxonnes), à l’accueil inconditionnel des personnes ayant vécu des échecs et des blessures ; les divorcés remariés bien sûr auxquels, dans certains cas, on ne pourrait par miséricorde refuser la communion eucharistique et la réconciliation, mais aussi « les personnes homosexuelles qui ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne ».
Cette conversion consiste à poser un regard positif sur ces réalités autrefois considérées comme désordonnées et peccamineuses. Au cœur de cette nouvelle démarche, une méthode importée de l’œcuménisme : au lieu de voir les sujets qui divisent, au lieu de proclamer des anathèmes, chercher les convergences, les pierres d’attente pour un progrès vers l’unité et la plénitude de l’union à Dieu.
Gommer l’obstacle du péché
Cette attitude inclusive tend à gommer le sens du péché, vu comme responsable du blocage que les hommes contemporains éprouvent relativement à l’Évangile. Pourquoi braquer les gens en leur assénant une vérité transcendante lorsqu’on peut les rejoindre là où ils sont et les inviter à gravir les degrés d’un chemin vers un idéal, horizon de la vie humaine telle que Dieu la désire ?
Il s’agit par exemple de discerner dans la vie des concubins des réalités positives telles que la stabilité, l’affection profonde, la responsabilité envers les enfants qui peuvent être vues « comme un bourgeon à accompagner dans son développement vers le sacrement de mariage ».
Cette méthode repose sur les sciences humaines et sociales et non plus sur une anthropologie philosophique et théologique telle qu’elle a été développée durant les deux derniers pontificats. Au lieu de voir l’homme dans sa vérité profonde, on le regarde tel qu’il est concrètement, c’est-à-dire blessé et imparfait. Ainsi « la vérité s’incarne dans la fragilité humaine non pas pour la condamner, mais pour la guérir ».
Au-devant de malentendus
Comme ces mots sont doux aux oreilles de nos contemporains ! Mais comme ils risquent de produire des malentendus ! Nous sommes là au cœur d’une tension théologique qui traverse l’Eglise depuis des décennies. De quoi s’agit-il de guérir ? Le Christ est venu pour sauver les hommes et non pour soigner leurs souffrances psychologiques même si la grâce a une dimension thérapeutique par surabondance. Dès lors, comment la vérité peut-elle s’incarner dans la vie des hommes si ce n’est par leurs actes libres en réponse à l’appel de Dieu ?
Ce lien entre vérité et liberté passe par la formation de la conscience morale, lieu même où la vérité sur son péché se révèle et permet de s’ouvrir à la miséricorde et à une juste réception des sacrements.
Le texte souligne à juste titre que la miséricorde divine est offerte à tous mais il semble en déduire que le seul moyen de la rendre aimable est de valoriser l’état de fait dans lequel les gens vivent. Lorsque le Christ dit à la femme adultère « va et ne pêche plus », il n’enferme pas la personne dans son péché, mais en le nommant il lui permet de s’en détacher. C’est donc toute l’économie de la miséricorde qui en contournant l’objectivation du péché, et donc de la liberté, risque de rendre superflue la conversion.
Miséricorde ou tolérance ?
Cette conception de la miséricorde ressemble étrangement à la tolérance au nom de laquelle la plupart des sociétés civiles occidentales ont, ces dernières décennies, rompu l’arrimage de la loi politique à la loi morale. En bonne logique, la légitimation de l’exception ruine tout simplement la norme. La norme rebaptisée idéal ne gêne plus personne puisqu’elle apparaît réservée à une élite. L’appel universel à la sainteté proclamé par Vatican II devient une option parmi d’autres.
Ce texte en introduisant une nouvelle méthode déstabilise la doctrine en changeant son statut. La pastorale déconnectée de la doctrine est identifiée à l’art de faire des exceptions à une loi vue comme empêchant la miséricorde. Or qu’est-ce qu’un pasteur qui, pour être mieux reçu, édulcore l’exigence du message qu’il a à transmettre ?
Thibaud Collin vient de faire paraître Divorcés remariés, l’Église va-t-elle (enfin) évoluer ? (DDB)
Sur ce sujet :
Le rapport d’étape du Synode
Thibaud Collin : Divorcés remariés : pourquoi la miséricorde ne peut contredire la loi
Roland Hureaux : Synode, la question centrale de l’Eucharistie
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- Altérité et identité : apprendre à se recevoir
- Le pape de la « matière »
Je fais le parallèle entre cet article et un autre également disponible dans la rubrique décryptage "Education : la sauvagerie des déshérités".
Cet abandon de la transmission par le pasteur ressemble au pédagogisme en vogue dans le monde de l'éducation. L'éducateur se met au niveau de ses élèves, il ne leur est pas supérieur, il ne leur apprend rien, au mieux il les oriente dans la voie qu'il se choisissent librement. Plus de notes, plus d'échec. Comme c'est beau.
Ecole, église, fast-food : venez comme vous êtes !
Non çà ne marche pas : à ne rien transmettre on ne fabrique que des déshérités en perdition et en proie à la souffrance.
Le diable n'est-il pas dans le langage abstrait qui généralise par essence?
J'ai un peu de mal avec votre article parce que je trouve vos déductions fausses.
Voir le commentaire en entierChanger de langage et ne pas utiliser à tout bout de champ le mot péché ne veut pas forcément dire qu'on en gomme le sens. L'idée serait plutôt d'en gommer le sens erroné et moraliste (accusateur devrais je dire) qu'en ont nos contemporains (et parmi eux nombre d'homme d'Eglise...)
Et le blocage ne me semble pas lié à l'Evangile lui même, mais à une certaine interprétation que le magistère et la tradition de l'Eglise en ont fait. Nombreux sont ceux qui sont touchés par l'Evangile mais rebuté par l'institution (ce n'est pas la même chose).
Et quant à la miséricorde qui serait tolérance, mon sentiment est que vous allez un peu vite en besogne et prenez un raccourci facile. Personnellement je n'ai pas compris qu'il fallait jeter un regard positif sur des réalités considérées autrefois désordonnées, mais plutôt arrêter d'être dans une vision binaire en face d'une réalité et considérer que ce soit ou tout noir (et péché) ou tout blanc (donc sans péché aucun ?)
Il s'agit juste d'ajuster son regard et de l'aiguiser pour percevoir la lumière dans l'obscurité et le bourgeon dans les broussailles si je puis me permettre cette image. En quoi est-ce de la tolérance?
Et il ne s'agit pas de valoriser l'état de fait dans lequel les gens vivent, mais de regarder ce qui est valeur dans ce qu'ils vivent. C'est très différent, et en jouant sur les mots vous déformez l'esprit du rapport il me semble.
Quant à ce fameux verset d'Evangile que tous les moralistes et champions toutes catégories de la lutte contre le péché nous brandissent à tout bout de champ : "Va et désormais ne pèche plus", je voudrais rappeler deux choses :
- la première c'est que Jésus dit cette phrase après avoir "écarté" de la femme pécheresse tous ceux qui la condamnait, donc dans un face à face, ou plutôt un coeur à coeur, qu'il ne lui a jamais pointé du doigt son péché et mis sous le nez, qu'il lui a dit d'abord : "Personne ne t'a condamné ? moi non plus je ne te condamne pas". Et c'est aussi tout cela qui nous permet de nous détacher du péché comme vous le dites, pas seulement l'objectivation du péché.
- La deuxième chose à se souvenir concernant ce verset ô combien célèbre, c'est que le prêtre, au nom du Christ, nous le redit à chaque fois que nous nous confessons et surtout recevons le pardon de Dieu. "Va et ne pèche plus"... Que celui sur cette terre qui a réussi après avoir reçu cette phrase de la part du Christ à ne plus pécher (même sur un seul point, et encore plus du jour au lendemain) juge et condamne ses frères et s'octroie de lui dire la vérité sur son péché.
Comment pouvez vous dire que la miséricorde ce n'est pas l'objectivation du péché ? C'est tout le contraire ! Je vois le péché, clairement (enfin pas toujours) et justement je n'en tiens pas compte, je fais miséricorde, je pardonne, j'efface la dette, et ce gratuitement, sans contrepartie. C'est cela que Jésus a fait pour nous en mourant sur la croix. N'est-ce pas par grâce que nous sommes sauvés, et par notre foi en Jésus, en sa mort et en sa résurrection, lui qui donne sa vie pour nous sauver de la mort et du péché et nous donner la vie éternelle ? Va, ta foi t'a sauvé (même pas ton remord ou ta contrition, ou tes sacrifices et tes pénitences, non, juste ta foi en moi, en mon amour miséricordieux qui efface (et non pointe du doigt et garde en mémoire) le péché du monde. mais peut être ne lisons nous pas le même évangile et n'avons nous pas reçu le même enseignement de l'Eglise).
Qu'est ce que le péché en réalité ? Un acte lambda, moralement mauvais car catalogué comme tel ? N'est-ce pas surtout ce qui nous coupe de Dieu et qui est au coeur de chaque homme, et ce n'est pas forcément le péché le plus "bruyant" et visible aux yeux du monde qui coupe le plus de l'amour de Dieu
pourquoi les sciences humaines et sociales seraient-elles moins nobles et moins utiles à la foi que l'anthropologie philosophique et théologique. le Christ ne s'est il pas incarné en être humain (et non en une pensée philosophique ou théologique).
Si le Christ qui est Fils de Dieu a eu l'humilité de prendre notre condition d'homme pour rejoindre notre humanité blessé et pécheresse, pourquoi nous hommes ne suivrions nous pas son exemple en allant s'asseoir à la table des pécheurs.
En décrivant faussement ce qu'est la miséricorde, et surtout en refusant de mettre en pratique ce qu'elle est réellement, vous n'édulcorez peut être pas le message de l'Evangile, mais il me semble que vous le trahissez. Je sais le mot est dur, mais la vérité est exigeante, et sachez que la miséricorde est exigeante. La preuve, elle vous parait impossible à mettre en oeuvre : pardonner au pécheur, effacer complètement sa dette, comme ça, gratuitement, sans rien demander en retour ? Et lui donner les mêmes droits que moi qui suis le Christ à la sueur de mon front et ai toujours respecté ses commandements ? Mais quelle horreur ! Préférons la morale et la doctrine qui a le mérite d'être claire et de faire rentrer tout le monde dans les bonnes cases : les bons avec les bons, les méchants avec les méchants.
Ben moi je me sens faire partie des deux, pas vous ?