Lancée sous Claude Allègre, la réforme des épreuves d'histoire-géographie au baccalauréat atteint désormais sa quatrième année. Elle aura puissamment contribué au discrédit et à la fin de la discipline historique puisque l'étude de documents en épreuve longue n'est pas censée faire appel à des connaissances extérieures.
La critique externe d'un texte n'est donc plus de rigueur. Et sans l'apport de connaissances externes, la critique interne devient une paraphrase.
L'une des deux études courtes proposée à la session de juin 2003 pour les sections économique et scientifique était un texte de Primo Levi sur Auschwitz. Trois questions : 1/ Présentez le document ; 2/ Que nous apprend l'auteur sur l'organisation du système concentrationnaire ? 3/ Quels aspects de l'idéologie nazie peut-on retrouver dans ce témoignage ? Non seulement l'ensemble des réponses ne doit pas excéder une page, mais les questions présupposent là encore qu'il suffit de recopier le texte pour s'en sortir.
Pour les candidats masochistes qui voulaient encore faire de l'histoire, un texte des Mémoires d'espoir du général de Gaulle suffisamment concis leur permettait de valoriser les connaissances.
Cette réforme s'inspire de deux idéologies objectivement mais momentanément complices représentant la queue de la comète 1968 : la pensée structuralo-foucaldienne qui va résolument à l'encontre de la démarche historique et que l'historien Henri-Irénée Marrou dénonçait déjà en 1975 au nom de la recherche d'une "connaissance vraie de la réalité passée"(1) et les sacro-saints impératifs démocratiques visant à élever le niveau des notes du bac et spécialement d'histoire.
Si les professeurs de philosophie et de lettres, en particulier des personnalités comme Alain Finkielkraut (2) ou plus récemment Agnès Jost (3) ont efficacement réagi aux entreprises similaires dont ces disciplines ont été la cible, la corporation des historiens a brillé par sa passivité complaisante face à une entreprise de destruction de l'histoire : en témoigne ainsi le silence de la revue officielle Historiens et Géographes au moment de la mise en place de la réforme.
Tout récemment, Véronique Grousset (" Le Bac en danger ", Le Figaro Magazine, 6 juin 2003) s'inquiétait cependant des sujets de bac élaborés "pour faire le moins possible appel aux connaissances (en histoire, comme en français, un texte est fourni, qu'il suffit de paraphraser), à l'esprit critique ou à la réflexion". D'où notre question naïve : Veut-on former des citoyens aussi dociles qu'incultes ?
(1) Histoire, vérité et valeurs, réédité dans De la connaissance historique, Seuil, 1975, p. 298.
(2) " La Révolution cuculturelle ", Le Monde, 19 mai 2000.
(3) Contre-expertise d'une trahison : la réforme du français au lycée, Mille et Une Nuits, 2002.
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