Luc Ferry

Dans Le Figaro du 20 septembre, Luc Ferry prône l’adoption par les couples homosexuels. À première vue son argumentation est intéressante : il se base sur l’intérêt de l’enfant qui vit « en famille » avec un couple homosexuel. Cette façon de raisonner déjoue le reproche usuel des adversaires du droit des couples de même sexe à adopter, à savoir la prise en compte de l’intérêt de l’enfant, qui passe avant le supposé « droit à l’enfant » des adultes. Déjoue, ou du moins déjouerait si Luc Ferry allait suffisamment loin dans l’examen concret du problème qu’il soulève.

Saluons tout d’abord ce que la démarche de cet ancien ministre a d’intéressant : au lieu d’enfourcher de grands principes, il veut regarder ce qui se passe dans la réalité. S’il le faisait avec une perspicacité suffisante, sa démarche trancherait agréablement avec le dogmatisme des idéologues des deux bords. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Le souci de Luc Ferry est le sort de l’enfant élevé par deux personnes de même sexe vivant maritalement, lorsque celle des deux dont il est biologiquement issu, ou qui l’a adopté, vient à décéder. Il s’alarme de ce que, « en cas de décès du parent ‘officiel’, ou même seulement de séparation, le ‘deuxième parent’ n’a aucun droit, (…), aucun statut juridique, ce qui peut conduire à de véritables catastrophes humaines. » Il en déduit que « dans l’intérêt bien compris des enfants, il est à l’évidence souhaitable d’autoriser leur adoption par les deux parents ». Il passe ensuite à une justification vigoureuse du mariage homosexuel, auquel il disait initialement s’intéresser de manière vraiment subsidiaire, mais en faveur duquel il claironne : « interdire le mariage aux homosexuels, mais accepter l’homosexualité hors mariage, c’est admettre le sexe et refuser l’amour – ce qui est assez paradoxal pour des milieux conservateurs. »

Le médiocre niveau intellectuel d’une telle déclaration est une invite à ne pas prendre pour argent comptant ce qui la précède et prétend justifier l’adoption par les couples homosexuels. On remarque alors que Luc Ferry présume le caractère parental de la relation qui s’établit entre l’enfant et le compagnon ou la compagne de son parent biologique ou adoptif : cette personne est dite « parent » de l’enfant, et le raisonnement de Luc Ferry consiste à réclamer la reconnaissance juridique de cette parentalité factuelle dont il suppose l’existence automatique sans se donner la peine de la démontrer – ce qui ne serait peut-être pas très facile.

Si Luc Ferry avait creusé un peu plus sérieusement son sujet, au lieu de simplement chercher à montrer son originalité en se démarquant de ces « milieux conservateurs » dont il se moque, il aurait étudié les divers cas de figure qui se présentent. Par exemple, une séparation de couple non marié peut aboutir à ce que sa mère soit légalement seule responsable de l’enfant ; si elle se met en couple, d’ailleurs aussi bien hétérosexuel qu’homosexuel, faut-il que son nouveau partenaire puisse aisément, en adoptant l’enfant, achever de le priver de son père biologique ? Et si la mère, mariée, a obtenu la garde de l’enfant, faut-il qu’en prenant une compagne, qui va être (selon le philosophe politicien) une seconde mère pour l’enfant, elle ait la possibilité d’évincer son père biologique et légal ?

Luc Ferry veut que « ces milliers d’enfants vivant dans des couples homosexuels et notamment ceux qui n’ont pas d’autres parents connus dans un couple précédent soient protégés contre les accidents de la vie ». Voilà une bonne intention. Il en déduit : « le mariage est donc la solution la plus simple. » La plus simple, ou la première qui vient à l’esprit quand on ne réfléchit pas plus loin que le bout de son nez ? Le cas évoqué est celui de lesbiennes dont l’une se fait inséminer (Luc Ferry cite d’ailleurs cette possibilité pour inciter le lecteur à prendre au sérieux sa fourchette de 40 000 à 200 000 enfants élevés par des couples homosexuels). Mais comment ne pas voir que le mariage de tels couples serait la porte grande ouverte aux inséminations avec donneurs en dehors de couples hétérosexuels, pratique interdite par la loi française ? Sans doute notre amateur de philosophie appliquée entend-il supprimer l’interdiction qui existe, en France, à ce sujet. Ce serait logique puisque, selon lui, « les études dont nous disposons montrent que les choses ne se passent pas plus mal pour leurs enfants [ceux des couples homosexuels] qu’avec les hétéros ». Remarquons seulement que des spécialistes, sans doute plus familiers que Luc Ferry et que moi du sujet et des études qui lui sont consacrées, ne partagent pas sa belle certitude.

En conclusion, la prise de position de Luc Ferry en faveur de l’homoparentalité me fait penser à ce qu’il avait écrit, dans les mêmes colonnes, en octobre 2010, au sujet des allocations familiales, dont il souhaitait qu’elles soient mises sous conditions de ressources ou rendues dégressives en fonction des revenus des parents. Il se trouve que, ce sujet-là, je le connais assez bien. Son raisonnement ne valait pas trois sous. Ses perspectives étaient étriquées et ses idées, primaires. Certaines questions économiques relatives à la famille sont donc en dehors du champ de compétence de cet ancien ministre. Et l’aplomb avec lequel il se prononçait sur ce dont il ne connaissait pas grand-chose n’incite pas à le prendre très au sérieux quand il aborde de façon tout aussi pédante cet autre sujet familial, encore plus délicat, qu’est l’homoparentalité. 

 

Photo : Wikimedia Commons / CBRE.France