Recyclage. À moins d'un an des élections présidentielles, les programmes, maladroitement et souvent dans la confusion la plus totale, s'ébauchent. Des idées fusent. Pas toujours très neuves. Souvent sorties de vieux cartons.
Pourtant leur pouvoir de nuisance reste intact.
Dernière en date, la proposition de Malek Boutih, ancien président de SOS-Racisme et aujourd'hui secrétaire national du PS aux questions de société – recyclage encore– de "contrôler l'usage du cannabis pour protéger les citoyens." Tel est le titre d'un rapport de cinq pages qui sent le déjà vu et qui n'est pas sans rappeler, à mots couverts et habilement masquées, les sempiternelles propositions des socialistes et des Verts, lors des dernières campagnes présidentielles, de dépénaliser et de légaliser un jour la consommation du cannabis.
Mais pour léger que soit ce rapport de cinq pages, il n'en pèsera certainement pas moins lourd dans les débats à venir. Probablement parce que la sémantique s'affine. Et que les partisans d'une dépénalisation du cannabis – pour ne pas dire, les partisans de sa légalisation – se place sur le terrain, dans un curieux renversement de valeur, de la santé publique. C'est parce qu'il faut protéger le consommateur, que l'État se doit d'encadrer la production du cannabis. Il faut en quelque sorte labelliser les pétards au même titre que le Camembert ou le Roquefort. L'État, pour la sécurité de tous doit "reprendre en main le marché [...] pour apporter bien-être et ordre là où la clandestinité et le malaise se sont installés".
C'est ainsi qu'il recommande la création d'une régie d'État qui produirait et vendrait ce stupéfiant. La législation internationale prohibe la vente de cannabis par un État. Pas de problème pour Boutih qui propose de contourner cette difficulté en définissant une nouvelle filière agricole avec des "coopératives chanvrières outdoor (plein champ)". "Il faudra alors cultiver le chanvre sous haute protection." Quand à la vente, encadrée par l'État, elle pourra se faire par le biais d'associations qui pourront se financer en ouvrant des "clubs de consommateurs", de 18 heures à minuit, dans "des lieux non exposés aux passants".
Glissements
Le rapport omet – curieusement ?– de souligner les dangers du cannabis, comme si finalement sa dangerosité ne venait que d'une absence de contrôle et que, assainie la filière de production et de vente, le taux de THC ne serait plus nuisible au consommateur. C'est oublier, qu'intrinsèquement, le cannabis est hautement cancérigène. Davantage que la cigarette. Une étude récente, réalisée par le magazine 60 millions de consommateurs, montrait que la fumée de cannabis contenait sept fois plus de goudron et monoxyde de carbone que celle du tabac". Hautement anxiogène aussi, comme le prouve les suicides de nombreux jeunes consommateurs. Qu'il rentre souvent en compte dans les accidents de la route... Sans compter les dysfonctionnements du cerveau, la perception réduite et déformante, les effets sur la mémoire, l'attention et la concentration.
La liste n'est pas close. Et il n'est pas étonnant que Malek Boutih passe ces méfaits sous silence. Il lui semble préférable de faire glisser le débat sur les enjeux sanitaires d'un marché de la drogue ouvert à toutes les mafias, de culpabiliser l'État de ne rien faire pour ces consommateurs qui souffrent des risques de la clandestinité. Glissement sémantique bien connu qui fait irruption dans chaque débat de société. De fait, Malek Boutih ne parle plus de dépénalisation, de légalisation. Il parle de régulation. De la même manière, il y a peu, les partisans de la décriminalisation de l'euthanasie, n'évoquaient plus que le droit à choisir sa mort, la possibilité de mourir dans la dignité. Guerre des mots, des expressions, des slogans publicitaires. Mais où est la vérité lorsque l'on travestit les mots ?
Malek Boutih remplace le débat sur la dangerosité des drogues par un autre débat qui fausse le diagnostic. Il y a de grandes chances pour que cette tournure d'esprit séduise les médias. On aurait préférer un vrai débat sur le cannabis. Mais il s'avère tronqué d'avance. Reste que la dernière tentative de ce proche de Ségolène Royal pour faire parler de lui avait tourné court. Son précédent rapport sur l'immigration avait fini dans les poubelles du PS. C'est tout le mal que nous souhaitons à ce nouveau rapport.
Améliorer la loi
Car oui, la loi de 1970 doit être toilettée, parce que la force de la loi réside dans son application. Mais une telle réforme ne doit pas paraître pour le grand public comme le signal d'une permission de se droguer, mais comme celui d'une plus grande détermination à agir contre la banalisation du cannabis. C'est ce que nous préconisons depuis des années. Et cette réforme ne sera profitable que si elle répond à un triple objectif : 1/ Un objectif éducatif : réaffirmer clairement l'interdit lié à la dangerosité sociale du cannabis et sanctionner les délits en refusant toute permissivité. Pour cela, il convient de maintenir fermement l'infraction pénale de l'article L 3424-4 du Code de la Santé qui réprime l'incitation à la consommation de cannabis.
2/ Un objectif budgétaire : donner à l'État les moyens de financer plus efficacement la prévention ainsi que les dépenses de santé liées à la toxicomanie, en pénalisant financièrement par exemple tout détenteur de cannabis interpellé pour usage.
3/ Un objectif sécuritaire : en cas d'actes de violence contre les personnes (vol avec violence, agression physique, viol), il faut enfin considérer l'usage de produits psychotropes comme une circonstance aggravante nécessitant un dépistage immédiat qui devrait être financé par le fautif lui-même.
*Raphaël Stainville est journaliste, webmestre de notre site partenaire
www.drogue-danger-debat.org
Pour en savoir plus :
■ 135 députés réclament une commission d'enquête sur la politique de lutte contre la toxicomanie, Décryptage, 29 juin 2006
■ Teknival : l'évêque de Vannes s'insurge contre la banalisation de la violence organisée, Décryptage, 26 juin 2006
■ Drogue-Danger-Debat
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