Espagne. Roberto Torres est un journaliste d’investigation qui vit à Londres. Tandis qu’il écrit un ouvrage sur don Josemaria Escriva de Balaguer au moment de sa béatification par le pape en 1992, il tente de renouer à Madrid avec Manolo, son père qui est âgé. Ce dernier a participé à la guerre civile espagnole. Petit à petit, Robert découvre à travers son travail de recherche sur la vie de son père, que ce dernier était un ami intime de don Josémaria Escriva, avec lequel il a eu des relations compliquées
En effet, amis d’enfance puis de séminaire, l’un, Josemaria persévèrera dans sa vocation, l’autre Manolo, abandonnera le séminaire et reviendra à la vie civile pour se consacrer aux affaires comme son père. Après la mort de son père, Manolo s’engage pendant la Guerre d’Espagne au profit du régime pour espionner dans le camp républicain. Il tombe amoureux d’une jeune Hongroise, Ildiko, qui est venue combattre contre le régime. Celle-ci le rejette et se lie à un chef de la Milice, Oriol. Manolo devient jaloux et s’engage sur les chemins de la trahison. De son côté don Josémaria Escriva, qui est en train de poser les fondements de l’Opus Dei, traverse cette guerre fratricide, ne condamnant aucun côté, fidèle à sa foi et à son sacerdoce. Alors que Roberto avance dans ces découvertes, son père, Manolo, au seuil de la mort, finit par livrer le grand secret de sa vie.
La genèse tourmentée d’un film
Il semble utile de donner un éclairage sur la genèse particulière de ce film. Après qu’en 2003 il a été proposé à Roland Joffé de réaliser un film sur la vie de Saint Josémaria de Balaguer et que celui-ci ait manifesté un enthousiasme certain, le cinéaste, s’est rendu plusieurs fois au cours des années 2007 et 2008 à Rome pour recueillir des informations de nature historique et également parler avec des personnes qui ont connu saint Josémaria Escriva. L’Opus Dei a fourni une quantité importante de documents qui ont permis à Roland Joffé de mettre le personnage dans des situations qui donnent une image fidèle de la réalité. Une petite polémique s’en est suivie de savoir si le film avait été financé et son contenu contrôlé par l’Opus Dei. Il n’en est rien. Tout au plus une ou deux personnes appartenant à l’Opus Dei ont participé à titre personnel au financement.
Quant au conseiller spirituel, le père John Wauck, membre de l’Opus Dei, il a été pour ce travail appointé par la production et non par l’Opus Dei. Sous le titre There Be Dragons, une première version, sort en 2011 sur les écrans aux Etats-Unis et connaît un échec commercial. Une nouvelle version intitulée There Be Dragons : Secrets of Passion, moins accès sur la propre histoire de don Josémaria Escriva de Balaguer, est alors crée avec une amputation de près d’une heure de film et l’ajout d’une vingtaine de minutes nouvelles, ce qui ramène le film à une durée raisonnable d’une heure trois quart contre sensiblement plus de deux heures. Une nouvelle bande originale est écrite par Robert Folk (connu pour avoir composé la musique des six long-métrages Police Academy) en remplacement de celle écrite par Stephen Warbeck (Shakespeare in Love en 1998, Billy Elliot en 2000). C’est donc cette deuxième version qui est proposée au public, cinq ans après l’échec de la première et 10 ans après la sortie du film Da Vinci Code de Ron Howard que l’on peut qualifier sans hésiter de stupidement christianophobe et qui présentait l’Opus Dei comme une redoutable organisation sectaire…
Un mode non hagiographique mais respectueux de la vérité
Pour autant, Roland Joffé n’a pas conçu son film comme une réponse à Da Vinci Code. Loin s’en faut. Il choisit tout d’abord de ne pas utiliser un mode hagiographique, ensuite de ne retenir, ou plutôt de se concentrer sur une seule période de la vie de don Josémaria Escriva, celle de la guerre civile espagnole, et enfin d’inscrire son personnage dans un ensemble plus large, ne lui donnant pas le rôle principal, le positionnant en parallèle à celui de Manolo Torres, personnage inventé par le scénariste et réalisateur, qui sert de contrepoint dramatique et permet d’inscrire la figure du futur saint dans le contexte général du moment.
Cependant, et c’est là une des réussites du film, bien que non présent en permanence sur l’écran, don Josémaria Escriva reste omniprésent en arrière-plan et par contraste en quelque sorte. Le parallèle entre le chemin suivi durant cette période trouble et fratricide de la guerre d’Espagne par le père Josémaria qui refuse de condamner les agissements des républicains et de cautionner toute forme de vengeance, et le chemin de la trahison et de la vengeance suivi par son ami d’enfance Manolo Torres, bouscule le spectateur en posant beaucoup de questions sur l’amour, la haine, la trahison, la vengeance, la paternité, l’amour filial et le pardon…
Dans le tumulte exacerbé de la guerre civile, les actes posés par chacun des deux personnages résonnent fortement. Au bout du compte, c’est la sainteté de Josémaria Escriva qui l’emporte parce qu’elle est le véhicule de l’amour jusque dans cette très belle dernière séquence qui voit le père, Manolo Torres, mourant et le fils, Roberto, se réconcilier dans une chambre aseptisée d’hôpital. Absent de l’image, le saint est bien présent et à l’origine de cette réconciliation et du pardon mutuel supposés se passer en 1992 soit quelque 17 ans après sa mort. Le chapelet, donné soixante années plus tôt par le jeune père Josémaria à son ami Manolo et qui est entre les mains du mourant, est l’instrument du miracle…
L’invention de ce personnage de Manolo pourrait faire penser à certains que le film n’est pas une reconstitution fidèle de cette partie de la vie du fondateur de l’Opus Dei. C’est un argument, pour recevable qu’il soit, n’est pas réellement pertinent. En effet, cet artifice n’a pas pour but de tricher sur une réalité historique mais de permettre de faire affleurer à l’écran par un jeu de contrepoint, l’action, les qualités, et les réactions du jeune prêtre. Toutes les séquences dans lesquelles le personnage du futur saint est présent décrivent des situations que don Josémaria Escriva a dû connaître et, en ce sens, traduisent à l’écran la vérité de situations vécues et respectent l’esprit.
Exemple : une séquence présente le jeune prêtre veillant un vieux juif mourant dans une salle d’hôpital. Cette image est tout à fait représentative de l’activité que développait à cette époque le père Josémaria qui visitait les malades dans les hôpitaux de Madrid. Cette scène peut être mise en parallèle avec le fait que don Josémaria Escriva avait l’habitude de dire « J’aime beaucoup les Juifs parce que j’aime Jésus-Christ à la folie, et qu’il est Juif. » De même, son activité souterraine pendant la bataille de Madrid (messes privées, confessions dans des lieux publics, etc…) correspond tout à fait à ce que le jeune prêtre a vécu.
Un cinéaste athée mais inspiré
Très adroitement, au moyen d’un montage alterné qui entremêle plusieurs actions et plusieurs personnages à deux périodes différentes, le cinéaste réussit à dresser de manière non hagiographique un portrait remarquable et assez subtil du futur saint durant cette période particulière de sa vie. Bien qu’athée et tout comme dans Mission (1986), Roland Joffé, parvient dans un récit épique, respectueux de la vérité historique, très documenté, impartial et exempt de tout manichéisme, à exprimer des réalités spirituelles profondes dont l’une, le pardon, irradie tout le film.
Les extraits qui suivent d’une entretien accordé par le cinéaste lors de la sortie de la première version du film en 2011 attestent de l’intérêt de celui-ci pour les sujets qui touchent au spirituel : « (…) J’ai été attiré par son (celui de Josemaria Escriva) charisme, sa façon d’être si humaine, cela m’a remué et je me suis dit qu’il serait beau d’écrire une histoire qui pose le problème de la sainteté différemment (…) Il nous a transmis que nous sommes en mesure de pardonner aux autres et c’est essentiel pour nous tous (…) le sujet du film est en quelque sorte la naissance de cet idéal. L’idéal du pardon, l’idée, fruit de la foi que chaque homme est un fils de Dieu, indépendamment de ses idées ou de son parti politique, indépendamment de son activité (…). » L’acteur britannique Charlie Cox est parfaitement convaincant dans le rôle de don Josémaria Escriva de Balaguer.
Il faut cependant regretter une bande originale envahissante qui ne laisse aucun répit au spectateur. Le film n’est pas sans d’autres défauts, comme celui de l’absence de lien entre certaines séquences, des défauts qui sont très certainement liés au retraitement imposé par les producteurs et, s’il n’atteint ni l’intensité, ni le souffle et ni la beauté plastique, disons-le, la quasi perfection de Mission, il mérite une réelle attention au regard de la richesse des thèmes abordés, et du désir qu’il peut engendrer d’en savoir plus sur saint Josemaria Escriva de Balaguer et sur sa spiritualité. Epique et inspiré.
Bruno de Seguins Pazzis