Un lecteur nous fait suivre la récente tribune de l’association “Vieux noms français subsistants”, à l’occasion de la récente loi sur les noms de famille.
Les patronymes sont apparus en France au temps des cathédrales. C’est pourquoi ils sont si profondément ancrés dans notre culture. Neuf siècles d’épaisseur historique leur ont donné une valeur patrimoniale exceptionnelle. Ces noms, qui furent ceux des acteurs de notre histoire, grands ou petits, avant de devenir les nôtres, méritent la même protection que les monuments, les œuvres d’art et tout ce qui concoure à faire de nous une nation singulière. En matière de noms de famille, la France possède d’ailleurs une diversité et une richesse qui ne se retrouvent chez aucun de ses voisins.
Paradoxalement, alors même que les Français n’ont jamais demandé que l’on touche aux patronymes, la législation sur leur transmission a connu depuis vingt ans davantage de modifications que bien des sujets qui auraient pu sembler plus prioritaires. Toujours dans le sens d’un démantèlement des règles auxquelles ils doivent pourtant toute leur valeur. Ces coups de boutoirs ont été portés dans une relative indifférence, comme si le sujet était secondaire. Il est temps d’ouvrir les yeux. On ne met pas tant d’acharnement à déconstruire quelque chose que l’on juge sans importance.
Alors que la souplesse des dispositions actuelles fragilise déjà fortement les patronymes, un « collectif » à la représentativité incertaine est en passe d’obtenir une loi supplémentaire pour affaiblir encore le mode traditionnel de transmission de ces témoins vivants de notre histoire. Le garde des sceaux en a dévoilé les grandes lignes fin décembre. Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour comprendre qu’il ne s’agit, là-encore, que d’une étape. Déjà, certains demandent à aller plus loin en étendant le choix des noms pouvant être pris ou donnés (pour l’instant limité à ceux des parents) à ceux des grands-parents. Avant de l’élargir encore ? Jusqu’où ? Derrière le subterfuge habituel des « nouvelles libertés qui n’enlèvent rien à personne », et au-delà de cas particuliers douloureux exploités pour changer la règle générale, c’est un désastre patrimonial que l’on prépare.
Contrairement à ce que prétendent ses promoteurs, cette nouvelle loi va faire disparaitre des milliers de noms historiques, au bénéfice d’autres, jugés plus valorisants. En attendant que les générations suivantes les sacrifient à leur tour pour en privilégier de nouveaux. Dans quelques décennies, plus personne ne pourra distinguer les noms authentiques de ceux qui auront été bricolés au gré de la fantaisie de leurs porteurs. Plus aucun nom n’aura alors de valeur. Or, nos descendants auront besoin, autant que nous, de cet héritage multiséculaire qui fonde l’identité. De quel droit allons- nous les en priver, en rompant à dessein le fil de la transmission patrilinéaire qui est la norme depuis
neuf siècles ? Redisons-le avec force : c’est ainsi que nos noms ont traversé l’histoire ; c’est ainsi qu’ils ont acquis leur valeur ; c’est ainsi qu’ils sont devenus des repères, peut-être imparfaits, mais irremplaçables pour nous permettre de savoir d’où nous venons et qui nous sommes.
Il y a, nous semble-t-il, une forme d’incohérence à déplorer la perte de repères chez les jeunes générations et à les priver toujours davantage d’une identité s’inscrivant dans le temps long. Il y a une autre incohérence, de la part de l’Etat, à fragiliser l’état civil, à l’exact rebours de toutes les politiques conduites en la matière depuis François Ier, voire Charles VII. Qu’il s’agisse de sécurité, de fiscalité, de consanguinité ou même de lien social, quel progrès attendre d’une loi qui permettra à chaque particulier de changer de nom du jour au lendemain, en remplissant un simple formulaire CERFA ? Comme si notre identité nous appartenait en propre. Comme si les noms ne relevaient pas autant de la sphère publique que de la sphère privée. Enfin, au moment où l’on prend conscience de l’effet déstructurant de l’individualisme sur la société, est-il opportun d’encourager nos contemporains à tourner le dos à leur lignée, l’un des derniers ancrages capables de leur rappeler qu’ils ne se sont pas faits tout seuls et qu’ils se doivent aux autres ?
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