Législatives : le scénario du centre gauche (épisode 2)

Le second tour des élections législatives le 7 juillet 2024 a déjoué les études sondagières et placé en tête la coalition des gauches, loin cependant, de la majorité absolue. Le Rassemblement national, en progression, se trouve largement distancé. La droite LR (hors-Ciotti) résiste bien et la majorité sortante aussi.

Se profile donc une alliance de centre gauche qui témoigne d’une évolution de la pratique du pouvoir vers un modèle de coalition à l’allemande.

Même avec un nombre d’élus jusqu’alors jamais atteint, la soirée électorale du RN a des relents de défaite. Lors d’une campagne éclaire débutée avec le ralliement surprise et rocambolesque d’Éric Ciotti, le parti présidé par Jordan Bardella n’a pas su se faire d’autres nouveaux alliés, la majorité des LR étant restée au bercail, ni convaincre de nouveaux électeurs. Avec des réajustements de programme et quelques reniements (notamment sur la binationalité), le parti a montré ses limites. L’impréparation a été tout particulièrement palpable dans le choix des investitures et dans l’incapacité à proposer des visages rassurants ou charismatiques. Le passage d’une petite entreprise électorale à un grand mouvement politique n’a pas eu lieu et Marine Le Pen a désormais trois ans pour mobiliser ses troupes, amorcer une professionnalisation réelle et élargir non seulement sa base mais aussi tenter de séduire des cadres politiques ou d’en former.

Admettre la présence dans un même parti de courants politiques divers : souverainistes, libéraux, socialisants… pourrait constituer un début d’ouverture qu’un appareil hypercentralisé ne permet pas pour l’heure. La gauche qui l’a emporté dimanche est une gauche plurielle qui rassemble des forces parfois contradictoires mais animée d’une même matrice progressiste. La matrice des droites peut, elle, se trouver derrière deux grands thèmes : baisse de la fiscalité et sécurité (donc immigration).

 

Les gauches : une victoire contrastée

 

Au second tour des législatives, le RN a rassemblé plus de 10 millions d’électeurs avec un reflux d’environ 500 000 voix. Cela le place néanmoins, en nombre de voix, loin devant les gauches dites « Nouveau Front Populaire » qui sont passées de 9 millions à 7 en une semaine. La majorité sortante se maintient dans les deux tours avec un peu plus de 6 millions de voix. Macronistes et partis de gauche ont pratiqué le « barrage républicain » et se sont mutuellement soutenus. La baisse de l’ensemble des gauches s’explique ainsi par les désistements.

Le total hétéroclite des gauches et du centre représente plus de 13 millions de voix soit devant le bloc (inexistant) RN/LR qui se situe sous la barre des 12. Une alliance eût cependant pu créer une dynamique permettant de l’emporter largement mais celle-ci demeure une vue de l’esprit.

Dégager une majorité de la coalition des gauches jugée un peu rapidement de « contre-nature » ne sera pas une chose facile. Il faudra probablement sacrifier La France Insoumise pour cela mais le scénario d’un centre gauche que nous évoquions la veille du premier tour semble plus que jamais d’actualité et conviendrait largement au président Macron. L’alliance des gauches va d’un ancien président social-démocrate (François Hollande) à des petites-frappes « antifas » et ne pourra pas tenir en l’état.

Difficile d’imaginer une telle coalition se poursuivre très longtemps et l’hypothèse d’une nouvelle dissolution dans les trois ans à venir ne peut pas être écartée.

Alors que les clowns qui se succèdent sur les plateaux télévisés affirment à qui veut l’entendre que « les Français ne veulent plus de magouilles et de petite cuisine politique », nous finissons justement par nous trouver en plein dans ces petites magouilles…

 

La fuite en avant

 

Le caprice macronien qui a donné lieu à la dissolution laisse à la France un paysage parlementaire fragmenté mais semble pour une fois assez fidèle aux équilibres politiques.

Le gouvernement, lui, devrait être maintenu pour assurer les Jeux Olympiques.

Viendra ensuite le temps du budget, l’une des probables causes principales de dissolution. Le président savait qu’il ne tiendrait pas une huitième année sans hausse d’impôts ; il a préféré laisser le soin du matraquage fiscal à d’autres. Sans majorité absolue, on peut s’interroger sur la méthode qui sera employée pour faire passer le budget à l’automne… Les oppositions qui se sont émues du recours récurrent au 49-3 du gouvernement vont-elles se convertir à ce procédé légal somme toute fort utile ?

Le plus probable pour les mois qui viennent semble être une fuite en avant sur des thèmes sociétaux. Si la coalition des gauches n’avait pas inscrit l’euthanasie à son programme, elle devrait s’en accommoder pour faire mine de légiférer. La création de « nouveaux droits » devrait être au programme pour les minorités habituelles et le retour des vieilles lubies anticléricales est à prévoir.

Des attaques contre la liberté scolaire et la liberté d’association ne sont pas à écarter avec un risque de remise en cause la défiscalisation par le don. La fébrilité du RN sur ces thèmes et son incapacité à capter l’attention du monde associatif laissent entrevoir une défense a minima là où des élus LR se montreront plus efficaces… Enfin, la question migratoire devrait se détériorer avec une gauche qui compte sur cette armée de réserve. De quoi faire grimper Marine Le Pen ou les LR d’ici 2027… Reste que ces entités demeurent strictement séparées par le cordon sanitaire qui a survécu à Jacques Chirac.

 

Les mois et les années qui viennent s’annoncent compliqués. La classe politique faite de gamélards et d’opportunistes va faire des merveilles d’acrobaties pour tenter de mimer le renouvellement. L’incompétence des uns rivalise aujourd’hui de l’idéologie suicidaire des autres. Le tableau est sombre mais les rebondissements sont suffisamment courants désormais pour laisser entrevoir l’espoir d’un moins pire à défaut d’un meilleur. Haut les cœurs !

 

Olivier Frèrejacques

Président de Liberté politique