Un signe des temps : Pâques supplanté par Noël

Noël reste, de très loin, la fête chrétienne la plus populaire, la plus aimée. Qui s'en plaindrait ? Cependant, cette prédilection est-elle un signe de bonne santé spirituelle ? Au risque de  jouer les trouble-fête, il est permis d'en douter.

EXPLIQUONS-NOUS. En donnant la priorité, dans son affection, à la Nativité au détriment de Pâques, l'opinion la lui accorde également dans sa « théologie », aussi sommaire que soit cette dernière. Si un sondage interrogeait les Français sur l'événement liturgique le plus important du christianisme, il y a de fortes chances en effet que la Nativité soit désignée comme le sommet des célébrations de la religion initiée par le Christ.

Or, il n'en est rien. C'est Pâques qui constitue le moment décisif de l'année liturgique, le centre autour duquel gravitent toutes les autres fêtes, Noël, l'Assomption ou la Toussaint. Malheureusement, cette donnée fondamentale de la foi n'est plus intégrée par la majorité de la population. Dans son esprit, Noël a pris la place de Pâques. Plusieurs raisons expliquent cette éviction. Je ne m'attarderai pas ici à les énumérer toutes. Je me pencherai plutôt sur ce dont cette éviction de Pâques est le signe en ce qui regarde la compréhension du christianisme par une bonne partie de l'opinion, et ce que nous pouvons en conclure relativement à la santé spirituelle de nos contemporains.

Une société qui ne marche plus qu’à l'affectif : « je like » ou « je like pas »

Tout d'abord, en faisant passer Noël avant Pâques dans l'ordre d'importance des célébrations, nos pays sécularisés font déjà l'économie du carême ! Sans doute ignorent-ils que l'Avent reste pour les chrétiens orthodoxes une rude période de jeûne. Mais pourquoi leur demander de connaître la tradition des autres alors qu'ils ignorent la leur ? Toujours est-il que dans l'esprit de beaucoup de personnes, se préparer à Noël est moins ardu que faire place nette dans son esprit à la mort et la résurrection de Jésus.

Effeuiller jour après jour un improbable « calendrier de l’Avent », ce n’est pas la mer à boire ! Ainsi placer la Nativité devant Pâques, cela équivaut déjà à se faire  du christianisme une conception de religion assez facile, assez « light ». Seuls le sport ou la promotion professionnelle osent encore nous parler d’ascèse, ou de travail sur soi, sans craindre que nous nous hérissions. Dans ce domaine, la religion (chrétienne) se tient coite. Comme si elle avait à se faire pardonner d'avoir trop prêché l'abstinence, la mortification, par le passé !

Cependant une religion qui « parle au coeur » directement, toute souriante, sans effort, est-ce encore une religion que l'on continue à prendre au sérieux ? Il n'est pas interdit de se poser la question, un peu dérangeante avouons-le, en cette période où l'on ressort les santons des cartons, où l'on apprête le sapin. 

Deuxièmement, en brûlant dans l'opinion la priorité à Pâques, la fête de Noël devient le signe (à son insu !) que notre culture marche désormais à l'affectif, à l'émotion. Quoi de plus bouleversant en effet qu'un  nouveau-né ? On nous objectera qu'un supplicié est tout aussi émouvant, sinon plus.

Zurb-Nativ

Alors pourquoi l'enfant de la crèche prend-il le pas sur le condamné du Golgotha ? C'est que nous n'aimons pas trop nous pencher sur la mort. S'apitoyer, oui. Fondre devant un bambin, encore plus. Mais regarder la mort en face : il existe des spécialistes pour cela maintenant. Ils exercent généralement dans des lieux eux-mêmes spécialisés, appelés « hôpitaux » ou « maison de retraite ». La société leur délègue volontiers cette tâche ingrate. Quant à la « religion », elle prendra le relais une fois le décès dûment constaté. Mais dans l'intervalle, qu'on nous fiche la paix avec la mort !

À ce niveau, incontestablement Noël est davantage en phase avec la disneylandisation des esprits que le Triduum pascal. La postmodernité peut même se permettre le luxe de ramener l'événement de la crèche à un conte sentimental, une féerie bon marché, quasi-mythique (« Trop beau pour être vrai ! »), tout en continuant à jouir de sa « magie », sans que cette incrédulité ne vienne gâcher la fête.

En revanche, Pâques se prêtre plus difficilement à une telle réduction. Même si on n'y croit plus, c'est un peu trop fort de café. Le citoyen de la cité séculière n'est plus habitué à ce qu'on lui parle si durement, si crûment, et sur des sujets aussi importants. Il reste psychologiquement trop fragile pour ne pas être durablement traumatisé par l'évocation de la mort en croix du Fils de Dieu.

Alors silence ! Revenons-en au bambin de Bethléem et restons-en là. Devenu grand, celui-ci n'aura qu'à faire comme nous pour s'éviter les emmerdem... du Golgotha : ne pas grandir, prendre le moins de responsabilité possible, en se déchargeant sur l'État-Providence du soin de le conduire au bonheur, au lieu de dire leurs quatre vérités à tous ceux qu'il croisera sur son chemin.

La Rédemption ? Quelle rédemption ?

Si Noël prévaut sur Pâques, cela tient aussi à ce que la question du salut est devenu inaudible pour nos contemporains. La notion de progrès (même si elle a pris entretemps quelques plombs dans l'aile elle aussi) s'est substituée à celle de la rédemption. Que l'Incarnation soit un mystère salvifique passe à mille lieux au-dessus de leur tête. Pour ceux qui se souviennent encore que l'événement célébré par les chrétiens le 25 décembre a trait à leur foi en Dieu, cette fête reste théologiquement plus buvable que Pâques. Le Dieu de Noël est infiniment plus compréhensible que celui qui envoie son Fils au supplice pour une tractation avec le péché au sujet de laquelle plus personne n'entend goutte.

L'absence de culture théologique est en effet un facteur aggravant dans cette affaire. Outre que le citoyen postmoderne ne ressente plus le besoin d'être sauvé, il éprouve de surcroît les pires difficultés, qu'il soit cultivé ou non, à saisir les tenants et les aboutissants de la mort et la résurrection du Christ, et leurs liens avec notre rédemption. Tandis que le langage de Noël lui parle instantanément. Certes les prédicateurs pourraient facilement opérer le lien entre les deux mystères. Mais seraient-ils entendus ? Les églises deviendraient-elles subitement aussi bondées pour la vigile pascale que lors de nos messes de minuit ? Rien n'est moins sûr.

Notre société, revenue de tout, de toutes les idéologies, fait la part belle à la jeunesse, à l'enfant. Atteinte d'un symptôme régressif, désirant en revenir à l'indifférenciation matricielle, elle se sent parfaitement à l'aise, en phase, avec le bambin de la crèche. En revanche, regarder en face le condamné du Golgotha, c'est une autre paire de manche ! Les postmodernes ne sont plus assez adultes dans leur tête pour le « dur langage de la Croix ».

Il n'est pas question de faire la fine bouche devant le succès perdurant de Noël, ni de jouer les rabat-joie. Que la Nativité soit synonyme de joie, même pour ceux qui ne partagent plus la foi de l'Église, les chrétiens ne s'en plaindront pas. Toutefois, que cette fête ait supplanté Pâques n'est pas un signe de bonne santé spirituelle. N'ayons pas peur d'en faire le constat en cette période de l'Avent. L'émerveillement qui reste le nôtre en cette période d'attente de la venue du Seigneur n'interdit pas la lucidité, et encore moins la sollicitude pour nos frères et soeurs que nous aimerions ouvrir à l'intégralité de la joie chrétienne.   

 

Jean-Michel Castaing est écrivain.
Dernier ouvrage paru : 48 objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent (Salvator)

 

Illustrations :
L'Agnus Dei de San Diego, par Zurbaràn, 1635-1640 (Fine Arts Gallery).
Nativité, par Zurbaràn, 1638 (détail).

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