Il faut dépasser sa surprise, lire et méditer le discours de Benoît XVI au collège des Bernardins.

Voici quelques éléments pour s'y mettre ou s'y remettre...

Le lieu. Les Bernardins, un lieu voulu, dit le pape, comme un centre de dialogue de la Sagesse chrétienne avec les courants culturels, intellectuels et artistiques de votre société. C'est tout un programme ! La Sagesse est au singulier, il n'y en a donc qu'une, et en majuscule : c'est un nom propre, c'est le Christ lui même. Le Christ donc qui dialogue avec les courants... de votre société .

Le titre. Des origines de la théologie occidentale et des racines de la culture européenne : ces racines et ces origines, ce sont les mêmes ! Les relier, c'est comprendre ce qu'est la vraie culture et remettre d'aplomb ce qui est faussé dans une culture quand elle oublie ses origines et ses racines . Nombres de fausses conceptions ou de voies de traverse ne seront pas nommées directement par le pape mais c'est tout comme... on le découvre entre les lignes.
La problématique. Ce que les moines ont vécu dans de tels lieux il y a 800 ans et plus (et qu'ils vivent encore aujourd'hui, nous a fait remarquer l'un d'entre eux) a-t-il un rapport avec l'origine de la culture ? Si oui, peut-on en dégager une leçon, comme un modèle pour aujourd'hui, dans notre monde sécularisé ?
Ainsi le pape ne développe pas l'idée que la culture chrétienne doit conduire à Dieu, ce qui est une évidence et ne mérite pas une leçon, mais l'idée plus originale et novatrice que l'on doit l'invention de la vraie culture humaine à ceux qui avaient comme premier souci la recherche de Dieu. C'est une nouvelle illustration du rapport de causalité entre foi et raison.
Le style et la pédagogie. Ce discours, cette leçon devrait-on dire, est rédigé dans une langue inspirée, chrétienne, où toutes les réalités décrites, réalités humaines de la culture et de la civilisation, le sont dans une lumière théocentrique. Seule une lecture attentive peut en faire saisir pleinement la saveur, car derrière les mots et les expressions, on découvre une vision du monde qui n'est pas seulement celle du pape, intellectuel reconnu tel par tous, même par les non-croyants, mais celle du vicaire du Christ dans sa mission d'enseignement. Cette mission, rappelons-le, est une œuvre de miséricorde, donc de la miséricorde de Dieu pour notre temps !
Le plan. Il reprend la devise des moines d'Occident : ora et labora.

1e partie - Ora : prie

Le moine cherche Dieu d'abord dans sa Parole ; c'est la source de la culture des lettres, des arts, de la philosophie et de la théologie, dont l'enseignement, dans la lumière de la Parole, a construit la civilisation européenne. a/ La redécouverte des lettres. Chercher Dieu dans sa Parole commande et appelle une culture de la parole.
Cela ouvre l'intelligence à la grammaire (d'où le rôle de l'école dans laquelle cette discipline est la première chronologiquement – la première des sept arts libéraux, enseignés dans les écoles monastiques avec les deux autres arts de la parole : la rhétorique et la dialectique) et aux lettres (constitution des bibliothèques) ; ainsi le moine n'est pas seulement voué aux sciences sacrées. La foi appelle la raison grammairienne en quelque sorte, et les sciences profanes trouvent leur importance en raison même de leur destination plus haute : aider à recevoir la Parole, le Verbe, (le Logos, le Fils) qui a choisi de se dire dans des paroles humaines.

b/ La culture est un travail en commun. La quête de Dieu qui va à la rencontre de la Parole n'ouvre pas seulement à une vie intérieure personnelle ou solitaire (moine = monos, seul !) mais également communautaire, car cette parole, on la lit avec son corps (le corps est l'instrument du don de soi – aux autres – disait Jean-Paul II...), pour cheminer dans la foi mais ensemble ! L'accueil du Christ sort l'homme de lui même et lui fait cultiver sa nature sociale...

c/ Le sens profond de la musique. L'accueil de la Parole ouvre encore à un nouveau développement de la culture : la musique. Art spirituel par excellence, elle permet d'associer les esprits angéliques, gardiens de l'harmonie du cosmos, à la communauté qui répond, par la prière chantée, à la Parole de Dieu dans un dialogue avec Lui. La musique trouve dans ce service du dialogue avec Dieu sa mesure et son critère de vérité et de beauté ; sans quoi elle tombe dans la cacophonie (étymologiquement : mauvaise voix ) qui brouille l'image de Dieu en l'homme. La vraie musique, comme toute vraie culture, doit être ouverte à l'universel et pas seulement à l'expression de l'ego.

Le pape illustre ici par la seule musique le développement des arts libéraux qui s'articulent sur l'ordre créé (arithmétique, géométrie, astronomie, musique) et permettent également à l'homme de se développer en accord avec la nature qu'il contemple ; à travers eux c'est l'ouverture à tous les arts du beau.

d/ Mais comment interpréter justement la Parole ? L'accueil du Christ dans sa Parole commande aussi une interprétation. Une lecture simplement humaine, dans les textes qui la contiennent, risque de la réduire à une collection d'écrits ; en revanche, entendue comme parole divine, elle est alors la Parole qui ne s'exprime que dans l'Écriture saisie en totalité dans son unité. Son interprétation ne saurait être seulement mesurée par un savoir humain mais par le Christ et l'Esprit Saint. Ils s'expriment dans la communauté ecclésiale qui transmet cette Parole et la vit dans l'histoire (tradition).

Par ce recours à la communauté ecclésiale dans l'interprétation, l'exemple des moines est à nouveau une leçon qui permet d'éviter deux écueils :

  • le fondamentalisme, qui prend le texte comme une parole humaine fixée (un livre), en oubliant qu'elle communique la vie de Dieu aux hommes qui la découvrent et ne cessent de l'approfondir, dans une unité toujours dépassée (c'est le problème d'une religion du livre ce que n'est pas la religion du Christ) ;
  • le subjectivisme qui se trompe de mesure, car l'esprit qui permet de toujours approfondir cette parole qui libère, avec des exigences de vérité dans la charité, n'est pas n'importe quel esprit (fut-il l'Esprit immanent de certaines philosophies de l'idéalisme allemand par exemple) mais celui, transcendant, du Christ lui-même, qui est la vraie mesure de l'esprit humain et qui est seul capable d'en élargir les dimensions ; l'examen de la Parole ne saurait être libre de son rapport au Christ et à son Église (problème du libre examen).

 

2e partie - Labora : travaille

Car le moine a construit la civilisation européenne qui est également celle des arts utiles : cultiver, construire...

Par l'accueil du Christ l'homme n'invente pas seulement une culture intellectuelle, mais développe également le travail manuel ; si le sage païen s'affranchit des tâches matérielles, le chrétien reçoit de la parole biblique à travers la tradition juive cette lumière que Dieu est en travail dans sa création et dans l'histoire des hommes ; le travail n'est donc pas un moyen pour l'homme de se créer sans Dieu (Feuerbach, Marx) mais de ressembler à Dieu et d'achever avec lui la création ! La création humaine est une collaboration, elle a sa mesure en Dieu ! Sinon créer sans le créateur peut aboutir à détruire la création elle-même !  

3e partie - Conclusion

Le raisonnement d'ensemble se conclut ainsi : les moines nous montrent ce qu'ils ont fait et nous livrent le secret du comment il faut faire ... Est-ce encore possible et à quelle condition ?
a/ Les moines ont conduit leur recherche sur le chemin de la Parole, qui est la route même (Jésus est le chemin, la vérité, la vie) par laquelle Dieu lui-même leur parle ; une telle recherche est le modèle de la recherche la plus profonde qui soit pour un homme, car elle est celle des réalités ultimes. Or la Parole, chemin de cette recherche, n'est reçue dans la foi, qu'à la condition d'être annoncée explicitement. Conclusion : l'ouverture de la raison humaine aux vérités les plus hautes appelle l'annonce explicite de la Parole de Dieu.

b/ C'est ce qu'a fait saint Paul auprès des Grecs, hommes probablement les plus cultivés de son temps ; non pour remplacer leur culture, ouverte déjà à l'universel et capable d'entrevoir le divin, le logos, mais pour l'ouvrir à l'Universel véritable auquel ils aspiraient sans le connaître, celui de Dieu se révélant en plénitude.

c/ Dieu n'est pas absent de la culture de l'homme moderne car ce dernier le cherche et la question de Dieu le hante... Mais il ne doit pas se tromper de dieu et la responsabilité des disciples du Christ est de lui annoncer le vrai. Dernière phrase du pape : Ce qui a fondé la culture de l'Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L'écouter, demeure aujourd'hui encore le fondement de toute culture véritable. Maintenant, bonne lecture...

*BRUNO COUILLAUD, docteur en philosophie, enseigne à la Faculté libre de philosophie comparée. Vient de publier Raisonner vérité. Traité de logique (Analytique, dialectique, rhétorique, sophistique), Ed. F.-X. de Guibert, 2008.

 

>>> Le discours des Bernardins