Les écoles de la République : des mouroirs d’intelligence

[Source : Marion Duvauchel] Depuis de déjà trop longues années, l'histoire de l'Education nationale est celle d'un long désamour entre le ministère, les enseignants, la transmission des savoirs... et le développement des esprits.

Il y eut d’abord Claude Allègre, qui détestait les enseignants. On peut remonter plus haut mais je n’y étais pas. Il contribua à ce que la recherche française n’écrive plus qu’en anglais ; il se trompa scientifiquement sur suffisamment de points pour qu’on soit en droit de s’interroger sur la pertinence des distinctions honorifiques qui lui furent décernées, comme en témoigne l’affaire du volcan de la Martinique où l’on n’écouta pas Haroun Tazieff, l’homme de terrain. Pas une journée ne se passait alors sans qu’on placarde en salle des professeurs sa dernière trouvaille sur le corps enseignant. Wikipédia, qui lui accorde une page, répercute quelques-uns de ces propos injurieux qui le firent haïr du corps professoral.

Sous son ministère, l’opposition systématique entre syndicats et pouvoirs publics devint un paradigme politique. Les syndicats finirent par avoir sa peau, c’est-à-dire sa démission. À la fin de sa carrière politique, il passa à l’UMP, ce qui ne doit pas nous étonner.

Il eut quelques bonnes idées, dont celle qui consistait à considérer le lycée comme une charnière vers l’université et non comme un parking de chômeurs. Seulement on sortait d’une réforme du baccalauréat. La réforme des programmes fut alors organisée par des « grands scientifiques », ceux qui sont passés par les grandes écoles et ne connaissent rien aux questions pratiques de l’enseignement. Il y eut un colloque international. On sait la suite, des grèves, des grèves et encore des grèves, et cette fois-ci les lycéens se jetèrent dans la mêlée.

De Jack Lang, pas grand-chose à en dire en dehors de sa pompeuse insignifiance et d’une affaire de pédophilie qu’on finit par enterrer.

Luc Ferry qui lui succéda commença par publier un petit livre sur l’éducation en général et sur son projet éducatif en particulier, opuscule qui déclencha la fureur des enseignants, jusqu’à des autodafés dans certains endroits. C’était pourtant plein de bon sens, et ça allait dans le sens de l’effort et de l’intelligence. Mais le petit livre coûtait quelques euros. Pour l’enrichissement et le prestige du nouveau ministre, on proposait aux enseignants un ouvrage qui vendait des idées qu’ils défendaient ou qu’ils pratiquaient au quotidien. Ça ne passa pas.

Opportuniste de haut vol, Luc Ferry écrit beaucoup, sur l’école, pour la jeunesse : son humanisme, un syncrétisme religieux qui admet un reliquat de christianisme sur fond d’hellénisme et de sagesse métissée se vend bien. C’est une pensée cultivée, habile et souple, sans grande rigueur mais qui met la philosophie à la portée du grand nombre. Moyennant quoi, il peut depuis sa position d’humaniste généraliste, se prononcer sur tout. Il sympathise avec tout, y compris avec le christianisme, mais n’évoque ni l’islam ni le bouddhisme. Il resta deux ans en poste, comme la plupart des ministres, le temps de promouvoir l’interdiction des signes religieux à l’école. Exit les petites croix et les médailles de baptême : cachez ces signes que je ne saurais voir. On découvrit que ses filles étaient inscrites dans une école privée. Ça émut dans les chaumières. Il répondit qu’il souhaitait qu’elles reçoivent un enseignement religieux. Cela ne trompa personne. Il ne fut pas un bon ministre sans être aussi mauvais que les autres. On avait beaucoup réformé, sans grand succès, avec moult protestations et grèves coûteuses: il réforma peu. Il fit bien.

François Fillon précéda Gilles de Robien, qui scandalisa parce qu’il prétendit remettre à l’honneur l’apprentissage de la lecture analytique et, encore une fois, le sens de l’effort. C’était intelligent. Il déplut.

En réalité, il arrivait trop tard. Depuis trop longtemps, les IUFM étaient gangrénés par l’idéologie de  Philippe Meyrieu, qui voulait la peau de l’école de Jules Ferry et qui l’écrivait. Les Diafoirus de l’Éducation organisaient la destruction programmée de la filière L. Les autres filières allaient suivre, mais ne le savaient pas encore…

Le mastodonte Allègre qui voulait dégraisser le mammouth se sentait encore un petit peu de pouvoir, à commencer par celui de changer les choses, donc de réformer. Les autres furent plus prudents.

Mais pas Vincent Peillon. C’est que désormais la gauche est bien au pouvoir et sa nomenklatura aussi. Lui, c’est un sophiste adepte de la République de Platon qui voulut imposer la religion de la laïcité, celle qui doit finir l’œuvre entreprise depuis 1789, demeurée inaboutie dans le domaine de la morale et de la spiritualité, toujours entre les mains de l’Église catholique. Il convenait de les leur arracher. Il fallait une nouvelle religion : celle de la laïcité assortie d’un nouveau roman national. Elle était déjà là, mais Peillon va lui donner la consistance que les dogmatiques et les vrais idéologues savent imprimer.

C’est le moment où les scribes inspirés élaborèrent le référentiel de 14 compétences, avec abolition de toute différence entre professeurs et personnels de l’éducation. Le premier travail du professeur est désormais le formatage des esprits en vue de leur adhésion au nouveau culte, « en référence à des principes éthiques qui fondent leur autorité ». Peillon se vanta de cette réforme, soulignant avec sa pompeuse fatuité toutes les iniquités qu’elle faisait  disparaître et tous les résultats merveilleux que les enseignants purent en effet vérifier dans leur vie pédagogique quotidienne. La Charte de compétences, toujours en vigueur, constitue l’outil juridico-administratif du modèle républicain qu’il inaugura, mais qui était largement préparé. Cette Charte garantit l’implacable répression de toute liberté pédagogique, l’anéantissement de toute diversité dans les schèmes et pratiques de transmission éducatifs sur fond de rejet du droit des familles de transmettre les grands « patterns » de conduites à leur progéniture. Peillon a accéléré la destruction de cette partie de l’élite de la nation que constitue un corps enseignant différencié, conscient de sa mission spécifique.

Benoît Hamon fut trop insignifiant pour qu’on en dise quoi que ce soit. Le pire était semé. Il suffisait d’attendre. Ce qu’il fit.

Et puis on eut l’inoubliable Nadia Belkacem. On faillit lui devoir le renouveau des ELCO, elle échoua parce qu’on protesta, (moi la première), mais elle réussit à mettre en place le brevet international (en réalité un brevet arabo-musulman), et bien sûr la théorie du genre dont elle fut l’ardente prosélyte. Elle n’avait aucune compétence pédagogique, signe que n’importe quel incompétent peut devenir ministre, pourvu qu’il soit issu de l’immigration.

L’islamo-gauchisme dans les lycées, c’est elle.

Enfin Blanquer vint. Lui, connaît l’institution et ses rouages. On n’avait pas réformé depuis longtemps, je veux dire, une réforme lourde et massive. Il brada tout ce qui restait à brader sous prétexte de réforme du baccalauréat. Depuis belle lurette, on n’avait plus de filières mais des niveaux, et tout le monde le savait même si personne ne le disait. Il liquida tout cela en quelques semaines, sans aucune résistance des syndicats, mobilisés sans doute sur des questions plus urgentes. Cela ne lui suffit toujours pas, il veut la peau de ce qui reste d’enseignement encore un peu libre.

Aujourd’hui, le lycée prépare bien à l’université, selon le vœu de Claude Allègre. Des lycéens décervelés et ignares vont remplir les salles des universités de masse voulues par François Mitterrand de funeste mémoire, où ils n’apprendront pas grand chose pour la plupart d’entre eux. Ceux qui s’en sortiront seront ceux qui seront passés par le privé, là où on transmet encore un reliquat de culture française. Et bien sûr les grandes écoles ou les écoles payantes, dont le coût financier garantit au moins à un jeune qu’il pourra aller vendre des voitures chez Peugeot.

Le baccalauréat permettait encore à une partie de cette jeunesse de se mettre au travail en classe de première et de terminale. Ce n’était pas pour la joie d’apprendre, mais en vue de décrocher ce baccalauréat, en deçà  duquel on peut aller pointer directement à pôle emploi. Ce n’était jamais qu’un vulgaire bachotage mais c’était toujours mieux que rien.

Depuis peu, nos écoles ne sont plus qu’un énorme désordre où les enseignants s’épuisent à obéir à des instructions sanitaires délirantes et contradictoires.

Cela fait oublier, au moins pour un temps, qu’elles ne sont plus que des mouroirs d’intelligence, générateurs de violences parfois mortelles et d’un ennui tout aussi mortel.

Marion Duvauchel