La crise que traversent les Scouts d'Europe est une crise qui révèle des comportements hélas encore trop fréquents dans l'Église de France. L'application du motu proprio Summorum pontificum a donné lieu dans cette association à des abus de pouvoir croisés, des clercs intervenant dans le champ de la responsabilité propre des laïcs, et des laïcs s'attribuant un rôle qui ne leur appartient pas. Cette crise est emblématique des difficultés que les laïcs, qu'ils soient engagés dans l'éducation, les œuvres sociales, caritatives, culturelles ou politiques, peuvent rencontrer dans leurs relations avec la hiérarchie. Comme l'a rappelé Mgr de Monléon lors de la dernière assemblée des Scouts d'Europe, faisant référence à Luc 10,16 (Qui vous écoute m'écoute) : Quand un évêque parle, c'est Jésus qui parle. Mais qu'est-ce que cela signifie concrètement, pour l'évêque lui-même, et pour le fidèle laïc engagé dans une association qui se veut catholique ?

 

 

IL FAUT OBEIR AUX EVEQUES, comme au Christ ! Personne ne devrait le contester. Mgr de Monléon l'a rappelé à juste titre. Sa formule est évidement cursive. Pour être tout à fait exact, lorsqu'un évêque parle, l'Esprit du Christ parle chaque fois qu'est engagée son autorité d'évêque. Si un évêque annonce le temps qu'il fera demain, ou s'il décide du menu du déjeuner, ce n'est plus Jésus qui parle. C'est une opinion personnelle, respectable, mais qui n'engage pas son autorité. Ce qui fait l'obéissance à la hiérarchie, c'est l'obéissance à ce pour quoi la hiérarchie fondée par le Christ a une autorité.
Or les évêques ont été institués pour être les médiateurs de la grâce du Christ, selon les trois titres du Christ, prêtre, prophète et roi. Relève donc de l'autorité de l'évêque tout ce qui concerne l'enseignement de la foi (fonction prophétique), les sacrements (fonction sacerdotale) et le gouvernement de l'Église (fonction royale) (Lumen gentium, 21, 25-27).
Dans ces trois domaines, une association de laïcs créée en vue de l'apostolat ou de l'éducation doit la même obéissance à son évêque qu'au Christ. Pour tout ce qui concerne son fonctionnement institutionnel, la désignation des membres de son conseil d'administration et de ses chefs, l'évêque n'est pas concerné et n'a pas d'autorité particulière. En revanche, les parents devraient avoir leur mot à dire puisqu'ils sont les premiers responsables de l'éducation de leurs enfants (cf. Christifideles laici, 34). S'ils le souhaitent, ils peuvent par exemple demander que tel ou tel rite soit célébré pour leurs enfants.
Le refus de l'application du motu proprio Summorum pontificum au sein de l'association des Guides et Scouts d'Europe (AGSE), puis un débat sur ses modalités, ont révélé une crise qui traverse toute l'Église de France. Si l'on veut obéir au Christ, cela signifie que ni les évêques, ni l'AGSE n'ont le pouvoir d'accepter ou de refuser l'application du motu proprio. Cette application n'est pas optionnelle. Ils ne peuvent prendre que des mesures d'application prudentielle, tenant compte autant des besoins de l'Église particulière (c'est-à-dire pas seulement des clivages politiques, mais d'abord des besoins spirituels de fidèles) que des risques d'une application déformée, et d'explication pour que celui-ci porte ses fruits.
Les évêques doivent notamment, en collaboration avec les responsables du mouvement, veiller à ce que tous les prêtres qui célèbrent des messes dans les unités ne soient pas schismatiques et qu'ils soient bien munis du pouvoir de le faire. De manière positive, ils doivent veiller à l'application du motu proprio afin qu'un grand nombre d'enfants et de jeunes bénéficient de l'enrichissement liturgique que Benoît XVI veut promouvoir par ce moyen. Cette application est délicate puisqu'il s'agit d'échapper aux excès et de maintenir l'unité du mouvement, mais c'est bien là la raison d'être de l'intervention des évêques. Quoi qu'il en soit, cette intervention ne peut aboutir à contredire le motu proprio, ni en théorie ni en pratique, a fortiori elle ne peut chercher à en limiter les conséquences. Il y va en effet, comme l'a rappelé Mgr de Monléon, de l'union au Pape, et de l'obéissance au Christ.
Au cœur de l'Église
Cette obéissance est en effet capitale pour la mission du mouvement scout. Les Guides et Scouts d'Europe sont au cœur de l'Église de France. Leur insistance sur la nécessité de la vie sacramentelle, leur énergie à vouloir transmettre la foi aux jeunes qu'ils éduquent, leur volonté d'intégrer la vie spirituelle dans la vie scoute, l'obéissance aux évêques et à l'Église dont ils ont toujours témoigné, le nombre de vocations sacerdotales et religieuse et de mariages chrétiens qui en sont issus, le respect de l'Église locale même quand certains clercs lui mettent des bâtons dans les roues, sont autant de témoignages de leur catholicité.
Or l'équipe dirigeante de l'AGSE avait fait le choix de sacrifier le motu proprio. Avec l'approbation, semble-t-il, de certains évêques et contre l'avis de Rome, elle avait décidé sous sa propre responsabilité qu'elle serait une association qui ne célébrerait que le rite ordinaire. Devant les réactions indignées de certains de ces membres et un rappel à l'ordre, un compromis va être trouvé. Mais il est regrettable qu'on ait pris les 27.000 membres du mouvement et leurs familles en otage, pour imposer une décision qui ne relevait pas du pouvoir, ni de l'AGSE, ni des prêtres ou des évêques qui avaient pu la leur conseiller. Ces comportements, ces arguties casuistiques, ce manque de générosité dans l'obéissance à la volonté du pape n'étaient pas dignes. Ceux qui en sont la cause portent une grave responsabilité. Si l'on prétend obéir au Christ et aux évêques comme au Christ, comment est-il possible d'agir ainsi dans l'Église ?
Des conseillers spirituels, des chefs, des parents (les premiers concernés on l'oublie un peu trop) étaient donc fondés à dire cela suffit , mieux, ils avaient le devoir de s'interroger sur les motivations profondes qui ont conduit à cet abus de pouvoir, pour éviter toute velléité d'autoritarisme mal placé.
La hiérarchie de l'Église n'est pas une administration pastorale , selon le mot du cardinal Ratzinger, elle est au service de la communion. La vie du mouvement des Guides et Scouts d'Europe, en tant que mouvement de scoutisme, avec sa pédagogie propre, son organisation, son identité, n'appartient pas au champ des vérités de foi pour lequel les évêques ont reçus la charge du Christ. En revanche, dès lors que ce mouvement se définit comme catholique, il est légitime de demander aux évêques de l'aide concrète sur les moyens d'appliquer le motu proprio et de travailler avec eux pour définir des règles à la fois généreuses et permettant de limiter les risques d'excès. Il n'était pas normal que le bureau de l'association s'attribuât la responsabilité de dégager ces règles. Ce n'est pas sa fonction. En revanche, c'est la mission pastorale des évêques.
Nous ne sommes plus en 1930
Il arrive encore fréquemment dans l'Église que des laïcs ou des clercs se comportent consciemment ou inconsciemment comme au temps de l'Action catholique sous mandat . À cette époque, ne pouvait se dire alors catholique que ce qui était reconnu par la hiérarchie de manière explicite sous une forme ou sous une autre comme catholique . L'Église a voulu libérer le dynamisme missionnaire des fidèles de cette tutelle hiérarchique. L'Esprit souffle où il veut. Comme le concile Vatican II le prévoit, il existe de multiples formes d'initiatives et d'engagement des catholiques, qui définissent de nouvelles relations des fidèles laïcs avec la hiérarchie (Apostolicam actuositatem, n. 24).
Si la pratique des mandats ou des missions a pu être tout à fait justifiée lorsque l'Église fonctionnait encore sur le mode de la chrétienté, on peut se demander si elle ne mériterait pas d'être remise en question alors même que l'Église de France cherche officiellement à échapper aux tentations communautaristes : y a-t-il plus communautariste qu'un label ou un tampon catholique , surtout dans la pratique qui en est faite actuellement ?
Précisons : il y a soixante ans, on pouvait encore concevoir l'apostolat des laïcs comme un pur prolongement de la hiérarchie catholique, prolongement obtenu par l'intermédiaire de délégations ou de mandats. Cela relevait d'une conception théologique de l'Église tout à fait particulière, mais d'une conception autorisée. Il est désormais impossible de le soutenir après le décret conciliaire Apostolicam actuositatem et l'exhortation Christifideles laici de Jean-Paul II, tout particulièrement en ce qui concerne les mouvements participant à l'éducation puisque cette dernière est, de droit naturel, de la compétence des parents.
Dans son texte, Jean-Paul II rappelait le droit, lui aussi naturel, d'association des laïcs, soumis à un légitime discernement de l'autorité ecclésiale selon des critères objectifs d'ecclésialité (n. 29-31). Si ce texte était effectivement appliqué, la dénomination catholique ne devrait pas constituer une prébende ni un blanc-seing comme c'est le cas aujourd'hui mais, à l'inverse, elle devrait résulter d'une évaluation de la fidélité concrète à l'Église, régulièrement contrôlée et remise en jeu à partir de critères réellement objectifs, les décisions pouvant faire l'objet d'un appel devant les juridictions ecclésiastiques. Nous ne sommes plus en 1930.
Pour en savoir plus :

Scouts d'Europe, le témoignage d'un parent inquiet, par Philippe de Saint-Germain, Décryptage, 13 mars 2008
■ Crise de confiance chez les Scouts d'Europe, Décryptage, le Fil de la semaine du 20 mars 2008 ***