PARIS,[DECRYPTAGE/analyse] — L'Union européenne fait le choix de l'indépendance technologique par rapport aux États-Unis en lançant définitivement le système de positionnement par satellite Galileo, concurrent direct du GPS américain. Le 26 mars, les ministres des Transports des Quinze ont donné leur feu vert au déblocage de 450 millions d'euros pour la phase de développement, qui permettra le déploiement d'une trentaine de satellites dès 2006.

 

De quoi s'agit-il ? Les systèmes de navigation et de localisation par satellites se composent de trois éléments, qu'on a l'habitude de nommer segments :

- une constellation de satellites, équipés d'horloges atomiques d'une extrême précision, et d'émetteurs qui expédient constamment des messages synchronisés indiquant leur identité, leur position et leur état ;

- des bases terrestres pour la réception des signaux ,les ordres à adresser aux satellites et les calculs ;

- des récepteurs embarqués sur des mobiles :navires, aéronefs, véhicules terrestres ou piétons.

Actuellement, seul fonctionne le NAVSTAR/GPS, communément appelé GPS. Depuis 1994, les Américains disposent d'un système de navigation et de localisation par satellites, né de la fusion de deux systèmes d'abord mis au point par l'US Navy et l'US Air Force, pour des besoins militaires : il s'agit du système NAVSTAR/GPS (Navigation System with Time and Ranging / Global Positionning System). Ce système de navigation comporte 24 satellites, répartis sur six orbites circulaires inclinées à 63° sur le plan équatorial, à une altitude de 20.200 km, et dont la période de révolution est d'environ douze heures. La station de contrôle se trouve à Colorado Springs aux États-Unis. C'est elle qui calcule constamment les temps de propagation ionosphérique, les effets mécaniques relativistes, la dérive des horloges et c'est elle qui établit les éphémérides transmis aux satellites par diverse stations subordonnées. Le GPS procède par mesure de distances : le procédé de calcul des positions est l'intersection des sphères de distances, il ne s'agit pas d'un régime hyperbolique. En pratique, quatre satellites sont utilisés pour déterminer la position d'un mobile.

Ce système fut mis gratuitement à la disposition des utilisateurs, de l'origine à 2000 dans une version dégradée, dont la précision était d'environ 100 mètres. Pour des utilisateurs privilégiés, via un selective access,une précision de 3 à 4 mètres était possible. De toute évidence, les États-Unis disposaient là d'un monopole, car le système soviétique Glonass n'a pas, et de loin, les qualités du GPS. Et lors de conflits majeurs il est clair que brouillage des satellites ou leur destruction est un des premiers soucis des belligérants. De plus, les États-Unis pourraient décider de dégrader ou de brouiller le système GPS pour des utilisateurs autres que les Américains ou leurs alliés... Les applications du GPS sont multiples : militaires, mais aussi pour l'aéronautique civile, les transports maritimes ,routiers et ferroviaires, l'industrie pétrolière, les randonneurs, la téléphonie mobile, les assurances, en cas de catastrophes ou de cataclysmes, etc.

Pourquoi Galileo ? L'Europe pouvait-elle ignorer l'importance des systèmes de navigation et de localisation par satellites ? Pouvait-elle rester dans ce domaine aussi la vassale des Américains ?

Une étude de marché par Waterhouse-Coopers a montré qu'en vingt ans un

système européen de navigation et de positionnement aurait un rapport bénéfice/coût de 4,6. Le nombre d'utilisateurs potentiels est évalué à 3,6 milliards en 2020. Le nombre de récepteurs Galileo pourrait atteindre 100 millions dès 2010...

Les États-Unis n'ont pas ménagé leurs efforts pour faire taire toutes les velléités d'indépendance. Le 6 mars 2002, l'ambassade américaine à Bruxelles a adressé une mise en garde aux délégations des États membres de l'Union Européenne. Selon l'administration Bush, un nouveau système de navigation et de positionnement serait coûteux, inutile et il pourrait provoquer des interférences avec le système GPS. Ce que ne croient pas les principales entreprises européennes spécialisées dans la technologie des satellites, comme l'Agence spatiale européenne, Thalès, Telespazio, Eutelsat, etc., partisans d'un système civil européen, baptisé Galileo, auquel les ministres des transports de l'Union ont donné leur feu vert. Galileo permettra en effet une meilleure couverture de la surface terrestre.

Or le calendrier ne permet pas de fantaisie. Si les Européens veulent utiliser les fréquences attribuées à la conférence mondiale des radio-communications d'Istanbul en 2000, ils doivent mettre en orbite le premier satellite avant 2005. Naturellement, un accord avec les Américains devra être négocié pour assurer l'interopérabilité des systèmes GPS et Galileo, et de leurs successeurs.

Le projet Galileo comporterait 27 satellites en service et 3 en réserve. Les satellites actifs seraient répartis sur 3 orbites circulaires inclinées à 56° sur le plan équatorial, à une altitude de 23.600 kilomètres. Il serait piloté par deux centres de contrôles et une quarantaine de stations terrestres. Le coût du programme Galileo est évalué à 3,4 milliards d'euros. Le calendrier prévoit le lancement d'un satellite expérimental en 2004, de quatre satellites opérationnels en 2005, et le déploiement du reste de la constellation entre 2006 et 2008.

Ne boudons pas notre plaisir : pour une fois, l'Europe ne se laisse pas marcher sur les pieds par les États-Unis !

Jean-Germain Salvan est général (CR), ancien professeur d'histoire militaire de l'université de Bordeaux.