Malgré l'espoir des opposants au traité de Lisbonne qui, ailleurs en Europe, comptaient sur leur constance, les Irlandais ont fini par dire oui à une Europe retaillée à leur mesure [1]. La surprise est venue de l'ampleur de la majorité : 67% contre 33% au non.
On dira que la faible participation (25%) affaiblit la signification du vote. Sans doute. Mais après tout, les abstentionnistes avaient la possibilité de faire valoir leur point de vue. En restant chez eux alors que l'enjeu était clair et la question posée simple, ils ont forcément admis que le résultat leur était devenu indifférent. Peut-être est-ce aussi l'expression d'une désillusion à l'encontre des promoteurs du non.
Certes, la crise est passée par là. Le chômage augmente. A joué également la crainte qu'un repli sur soi n'ait des effets négatifs sur une économie très dépendante de l'Europe. En tentant de faire cavalier seul l'an dernier, pour sauver ses banques en faillite au risque de couler leurs consœurs européennes, l'Irlande en a rapidement touché les limites : seule la solidarité de la zone euro lui a évité l'effondrement.
Les faiblesses des partisans du non
Mais cette explication est trop courte. Les partisans du non ont aussi une responsabilité dans leur propre échec.
Le non de 2008, nettement majoritaire (53%) au terme d'une campagne très mobilisatrice, était évidemment hétéroclite. Ce handicap n'était pas rédhibitoire <i>a priori</i> dans la mesure où il exprimait un mouvement profond de rejet à l'encontre d'une certaine forme de construction européenne, dont les Irlandais n'ont d'ailleurs pas l'exclusivité. Porté par la figure emblématique du milliardaire Declan Ganley, il en épousait aussi les faiblesses. La principale résidait dans l'incapacité où celui-ci a été de lui donner un véritable contenu politique et de le transformer en alternative aux partis institutionnels.
On s'en est aperçu lors des élections européennes : les listes Libertas qu'il patronnait n'avaient aucune homogénéité et s'apparentaient plutôt à une collection hétéroclite d'opportunités : leur échec fut patent et général. Échec confirmé par le referendum de vendredi dernier.
La politique ne se conduit pas comme les affaires ; elle est infiniment plus complexe et exige d'appréhender l'ensemble du champ constitutif du bien commun à l'échelle nationale, dans toutes ses dimensions. Elle ne peut pas non plus camper sur des refus mais exige de construire des perspectives positives capables de fédérer une majorité de citoyens. Elle ne s'improvise donc pas : tous les hommes d'affaires qui ont cru que l'on pouvait faire de la politique comme on lance une OPA ont échoué de la même façon.
L'inconnue britannique
Et après ? La principale ligne de résistance au traité de Lisbonne ayant cédé, la probabilité qu'il entre en vigueur est devenue très élevée, à défaut d'être immédiate.
Le président polonais, Lech Kaczynski, avait déclaré qu'il signerait l'acte de ratification si les Irlandais votaient oui ; sa crédibilité l'y engage. Va-t-il le faire ?
Le leader des conservateurs anglais, David Cameron, a promis de soumettre le traité à un referendum s'il remporte les élections générales de juin 2010 ; mais à condition que le traité ne soit pas entré en vigueur à ce moment-là. Sinon, il lui sera impossible de revenir sur la signature britannique.
Mais même si la condition était remplie, ce serait hautement dangereux pour lui et le coût politique en serait très lourd pour le Royaume-Uni. L'éventualité d'un referendum est donc improbable, quitte à marchander son abandon contre d'importantes concessions, comme d'habitude de la part des anglais.
Le président tchèque constitue le dernier obstacle : il cherche à gagner du temps et le nouveau recours intenté auprès de la Cour constitutionnelle lui en donne ; assez pour que le Traité n'entre pas en vigueur avant la fin de l'année ; mais probablement pas assez pour tenir jusqu'aux élections britanniques. De plus, on peut présumer que l'arrêt de la Cour, comme le précédent, déclarera le traité conforme à la constitution tchèque ; une fois qu'il sera rendu, il sera politiquement très difficile à Vaclav Klaus de résister aux pressions.
Quant à introduire à ce stade dans le traité une réserve sur la Charte (certes justifiée au fond, on l'a montré ici à plusieurs reprises), cette ultime tentative arrive sans doute trop tard.
Reste l'imprévisible ; mais comment compter dessus ?
[1] Les Irlandais ont obtenu quatre garanties qui en disent long sur la pratique de la subsidiarité dans l'UE : la neutralité du pays, la souveraineté fiscale, un commissaire à Bruxelles et, surtout, le maintien de l'interdiction de l'avortement. L'avenir dira si les droits de l'enfant à naître en Irlande pourront résister aux institutions européennes.
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