La motion de censure qui a frappé le gouvernement Barnier a donné lieu à un formidable bal des hypocrites au sein de la classe politique française. Entre inconsistance des élus, règlements de comptes et incohérences flagrantes, cet épisode marque une nouvelle étape dans le déclin du pays.
« Le poisson pourrit par la tête », dit-on, mais pas seulement. Le spectacle parlementaire observé lors du vote de cette motion a révélé la vacuité du personnel politique en place.
À gauche, le Nouveau Front Populaire, de moins en moins « nouveau », se félicite d’une victoire contre le gouvernement Barnier, une victoire qu’il doit uniquement au Rassemblement National, lequel a choisi de soutenir son texte. Comme l’a relevé Marine Le Pen : « La gauche propose et le RN dispose. » Après avoir passé trois mois à dénoncer une alliance tacite entre le RN et le « socle commun », les gauches se sont appuyées sur les voix du RN pour faire chuter la majorité. La coalition du NFP insiste à nouveau en présentant la candidature de Lucie Castets, dans un exercice qui commence à devenir lassant, y compris pour la principale intéressée.
Du côté gouvernemental, l’ambiance est morose. Avant et après le recours au 49-3 pour faire passer le projet de loi de financement de la sécurité sociale, les membres de la coalition centriste ont multiplié les appels à la « responsabilité », un mantra macroniste déjà utilisé de manière répétitive et parfois maladroite, notamment durant la crise sanitaire. Michel Barnier, qui s’était déclaré ouvert au dialogue avec les élus du Rassemblement National, n’est jamais allé au bout de cette démarche, redoutant de heurter l’aile gauche de sa coalition, notamment Gabriel Attal. Ceux-là mêmes qui prônaient hier un « barrage » au RN n’ont pas hésité à solliciter son soutien pour bloquer la motion des gauches, tout en ayant auparavant empêché ce parti d’obtenir des postes-clés à l’Assemblée nationale. Cette posture ambiguë révèle l’absence de cohérence de la coalition macroniste.
À droite, Les Républicains ne sont pas en meilleure posture. Avec un groupe de moins de 50 députés, ce parti avait obtenu la direction du gouvernement grâce à une alliance improbable allant du centre gauche au centre droit. Cette combinaison politique a rapidement montré ses limites. Les LR, qui avaient résisté pendant sept ans aux sirènes macronistes, ont finalement cédé pour des maroquins ministériels éphémères. Par ailleurs, ceux qui dénoncent une prétendue « alliance » entre le RN et LFI semblent oublier que les LR eux-mêmes ont voté une motion de censure portée par les Insoumis contre le gouvernement Philippe en 2018.
Pour le Rassemblement National, la motion de censure votée n’est pas celle de leur initiative, mais bien celle des gauches. Celle-ci inclut un contenu critiquant violemment Michel Barnier, accusé d’avoir « cédé » aux « plus viles obsessions » du RN avec une nouvelle loi sur l’immigration. Ce choix de voter la motion a été influencé par un sondage du 15 novembre indiquant que 57 % des sympathisants du RN y étaient favorables. Or, se déterminer uniquement sur la base de l’opinion publique peut s’avérer risqué. Cette dernière est instable, et une déception face aux résultats de cette censure pourrait se retourner contre ses initiateurs. Le socle électoral du RN, attaché à la stabilité, pourrait reprocher au parti toute aggravation de l’instabilité politique.
Enfin, la communication autour de cette motion soulève des questions. Marine Le Pen qualifie le budget de « désastreux », tout en affirmant qu’elle aurait pu éviter de censurer si Barnier avait renoncé à la désindexation des retraites. Si une seule mesure budgétaire suffisait à faire passer un budget d’« épouvantable » à « acceptable », cela révèle une approche politicienne qui manque de cohérence.
Cette accumulation d’hypocrisies parlementaires aboutit à une motion de censure qui, sans bouleverser la situation, pourrait aggraver un peu plus le désordre ambiant. Michel Barnier, sans ambition personnelle apparente, apportait une rupture avec le verbiage narcissique de la clique macroniste. Son successeur aura bien du mal à faire mieux, compte tenu des limites des ressources humaines du « socle commun ».
Cet épisode témoigne d’un pays profondément divisé, où les partis politiques, réduits à de simples boutiques électorales, n’ont pour perspective que leur survie à court terme.
Olivier Frèrejacques
Président de Liberté politique
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