Le ministre de la Défense allemand a démissionné après avoir perdu son titre de docteur parce que des chercheurs ont prouvé que sa thèse était en large partie plagiée. Juste retour de la morale certes, mais il y a plus à dire. L'affaire Guttenberg invite à se pencher sur le phénomène du plagiat dans l'enseignement supérieur.

La thèse de trop dans un parcours politique sans faute

Karl-Theodor zu Guttenberg, né en 1971 dans une famille de la noblesse bavaroise, a connu un début de carrière politique fulgurant : élu député en 2002, secrétaire général de la CSU (chrétiens-démocrates) en 2008, ministre de l'Économie en 2009, réélu député avec le meilleur score du scrutin la même année et aussitôt nommé ministre de la Défense, il s'était engagé en 2010 dans le grand chantier de la suspension du service militaire obligatoire. Le tout couronné d'une popularité profonde.

En parallèle de cette brillante trajectoire, Karl-Theodor zu Guttenberg obtient en 2007 un doctorat de droit à l'université de Bayreuth.

Pour bien saisir l'affaire, il faut savoir qu'en Allemagne, le doctorat est le titre universitaire de référence, à tel point que tous ceux qui l'ont font précéder leur nom du titre de  Dr . La thèse est le gage de sérieux et de capacité intellectuelle qui couronne des études réussies ; elle correspond à l'X ou à l'ENA en France. La plupart des dirigeants politiques et économiques allemands sont passés par ce cursus.

Le 16 février 2011, le Süddeutsche Zeitung révèle onze passages dans la thèse de Karl-Theodor zu Guttenberg susceptibles d'avoir été plagiés. Après le déni du ministre, un site wiki est lancé par un juriste, pour inviter les internautes à analyser l'ensemble des 475 pages de la thèse [1] : le travail collaboratif permet de mettre à jour d'autres emprunts à des auteurs non cités. Ces plagiats constituent les deux tiers du texte.

Karl-Theodor zu Guttenberg reconnaît des fautes graves tout en niant avoir eu l'intention de tricher, et se remet à la décision de l'université. Le 23 février, l'université de Bayreuth lui retire son titre de docteur. Il démissionne le 1er mars du ministère de la Défense.

Ce qui est exceptionnel n'est pas le plagiat, mais la sanction

Il faut dire la vérité tout de go, sans se payer de mots : le plagiat est une pratique courante dans l'enseignement supérieur, et les sanctions sont rares. Elles sont d'autant plus rares que le diplôme est élevé, et quasiment inexistantes quant il s'agit d'une thèse de doctorat ou d'un article de recherche valorisé pour l'obtention d'un poste universitaire.

Le professeur Michèle Bergadaà, de l'Université de Genève, étudie la fraude académique et les solutions pour y remédier depuis une décennie. Son site, qui fait référence aujourd'hui sur la question, recense quantité de témoignages accablants [2]. Le fait est massif, et les moyens de lutte ne sont pas contraignants.

Une étude menée en 2007 à l'université de Lyon révèle que 79,7% des étudiants, toutes filières confondues, déclarent avoir recours au  copier-coller , et que la majorité des citations sont mal identifiées dans les travaux des étudiants [3].

Il ne faut pas accuser pour autant l'Internet : si la toile facilite le plagiat, elle aide aussi à le détecter. Le site collaboratif consacré à la thèse de Karl-Theodor zu Guttenberg en est la preuve éloquente. Naïf est celui qui croit que de simples retouches sauront dissimuler un emprunt clandestin ; les moteurs de recherche ne s'y font plus prendre.

Le plagiat le plus grave n'est pas le copiage de textes trouvés sur l'Internet par des étudiants pressés. Les abus sont généralement démasqués par les professeurs, et les notes s'ensuivent. Le point critique, dont le scandale Guttenberg est emblématique, concerne la recherche universitaire, où le plagiat sévit, impuni, depuis bien avant la généralisation du web.

Les voies de la fraude sont multiples. Par exemple, un professeur publie sous son nom les travaux de recherche de ses jeunes élèves de Master. Ou encore il traduit un article de recherche paru dans une revue scientifique étrangère, de préférence non anglophone, et le présente comme sien aux comités de lecture des revues de son pays. Même le cas de la reproduction servile d'un mémoire existant n'est pas rare...

Le problème tient à l'omerta qui couvre ces fraudes. Les cas avérés ne sont presque jamais sanctionnés par la perte du diplôme ou du poste mal acquis. Pire, les plagiés qui se plaignent d'un confrère sont souvent écartés des revues scientifiques et des postes académiques. Pourquoi ? Parce qu'un article ou une thèse sont relus et validés par un comité de professeurs, lesquels sont garants du sérieux des recherches qu'ils valident. Un plagiat universitaire implique toujours plusieurs sommités qui l'ont cautionné, même si ce fut à leur insu. Et nul n'aime être pris publiquement à défaut.

Le cas Guttenberg est édifiant, parce que, poussée par le scandale et la demande du ministre lui-même, l'université a annulé un doctorat. Il faut espérer que cette sanction constituera un précédent et qu'elle fera jurisprudence pour les plagiats moins retentissants.

Petite leçon de bonnes manières politiques

Rendons justice à Karl-Theodor zu Guttenberg d'avoir rapidement reconnu son erreur et surtout tiré les conséquences qui s'imposaient : remettre son doctorat à la décision de l'université et, l'ayant ainsi perdu, démissionner de ses fonctions de ministre et accepter d'abandonner son immunité parlementaire si besoin était au motif de la violation des droits d'auteur. Si l'on ajoute que sa popularité était restée intacte en dépit du scandale, et qu'il bénéficiait toujours du plein soutien de sa chancelière, on appréciera d'autant mieux le courage de son geste.

En comparaison, le déni répété et l'entêtement d'un Éric Woerth ou d'une Michèle Alliot-Marie paraissent pitoyables.

Il y a probablement un lien entre la capacité de l'Allemagne à bien gérer son État et la dignité de ses dirigeants, qui expliquerait par contraste pourquoi la politique française vit d'expédients.

Peut-on ne pas plagier ? Le mythe de l'auteur créateur solitaire

Revenons au problème de fond de l'affaire Guttenberg, le plagiat. La reproduction d'un texte est autorisée soit avec l'accord de son auteur, soit dans le cadre du droit de citation, mais à plusieurs conditions : que la citation entre dans un exposé qui la commente ou la critique, qu'elle soit clairement distinguée du texte, et que l'auteur et la source soient mentionnés.

En théorie, cette norme est claire et simple d'application. En réalité, elle touche aujourd'hui ses dernières limites. J'ai exposé dans un article détaillé les impasses de la notion de  droit d'auteur  comme élément patrimonial face à la simplicité des procédés de reproduction [4], mais il y a aussi à dire sur la transmission des connaissances.

Dans les faits, tout savoir s'écrit en référence à des connaissances acquises auprès d'autres personnes ; tout auteur d'un texte s'appuie sur les auteurs qui l'ont précédé et influencé. Nous sommes les débiteurs d'un passé qui nous porte, nous continuons les traditions qui nous ont faits. Faut-il mettre entre guillemets tous les concepts dont on use parce que d'autres les ont définis, et les faits que l'on rapporte parce qu'ils ont été recensés ailleurs ?

Je rédige moi-même ces lignes en ayant à l'esprit les propos d'André Gide sur l'influence [5] : je suis tributaire de tous les cours que j'ai appris, de tous les livres et articles que j'ai lus, de tout ce qui m'a été transmis et dont j'ai hérité.

Suite au plagiat de Karl-Theodor zu Guttenberg, les thèses de nombreuses personnalités sont passées au crible, depuis Angela Merkel jusqu'à Seif al-Islam Kadhafi. On trouvera certes des ressemblances et des proximités douteuses çà et là, et même un peu partout. La belle affaire ! À procéder de la sorte, pas une thèse n'échappera au soupçon de copie, car nul ne peut se soustraire à ses réminiscences quand il rédige cinq cents pages et qu'il a beaucoup lu et beaucoup réfléchi.

La question n'est pas là, ni même dans le copier-coller de paragraphes entiers pris sur des sites Internet. Faut-il seulement réécrire ses emprunts pour respecter la lettre de la loi ? Les thèses et articles de recherche ne devraient pas être évalués selon une prétendue originalité, mais sur leur sérieux intrinsèque et l'intelligence du propos tenu. Le critère ne devrait pas être la prétention à la création, mais la rigueur de la réflexion et la qualité de sa communication. Qu'importe que des pans entiers soient repris ou même ressemblants de ce qui fut écrit ailleurs, si le nouveau texte témoigne d'une pensée et donne lui-même à penser ? Seule la copie servile d'une œuvre entière est vraiment blâmable.

La traque du plagiat correspond à la conception de l'auteur des Lumières. Derrière le droit de propriété intellectuelle, se dessine le mythe du génie solitaire, créateur ex nihilo d'une œuvre unique qui illuminera l'humanité. Cette vision romantique est fausse ; inventer signifie découvrir ; écrire n'est pas créer mais transmettre ; nul n'est pleinement auteur sinon Dieu !

Ces réflexions ne dispensent pas de respecter la loi. Même si la règle est vaine, tricher reste une faute, et copier une œuvre ou frauder un diplôme, un délit. Mais l'affaire Guttenberg peut devenir l'occasion de réfléchir au devenir de la vieillissante notion de droit d'auteur, d'une part, et à ce que l'on attend de la recherche universitaire, d'autre part.

 

 

 

[1] http://de.guttenplag.wikia.com/wiki/GuttenPlag_Wiki
[2] http://responsable.unige.ch/index.php
[3] Les usages d'internet à l'université de Lyon : de la documentation... au plagiat, http://www.compilatio.net/files/sixdegres-univ-lyon_enquete-plagiat_sept07.pdf.
[4] http://www.nonfiction.fr/article-3332-le_droit_dauteur_est_il_une_notion_perimee_.htm
[5]  De l'influence en littérature , Prétextes, Mercure de France, 1940.