Certains estiment que les limitations et arrêts de traitements autorisés depuis 2005 par la loi Leonetti relèvent de l'euthanasie passive, dernière marche avant une éventuelle dépénalisation de l'euthanasie active par injection mortelle. Une clarification sémantique et éthique permet de lever la confusion.
En pleine affaire de Bayonne, de nombreux articles de presse ont tenté avec plus ou moins de bonheur de qualifier les nouvelles pratiques médicales permises par la loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie, dite loi Leonetti. Plusieurs ont ainsi évoqué une législation du laisser mourir par opposition aux lois des Etats du Benelux qui relèvent du faire mourir , d'autres ont noté que la loi Leonetti autorise désormais le corps médical à stopper les traitements ou à prescrire une sédation, une forme d'euthanasie passive que les militants pro-euthanasie souhaiteraient élargir à une aide active à mourir [1].
Autrement dit, si l'on en croit ces commentateurs, il n'y aurait qu'une différence de degré entre la loi française et celles qui ont cours aux Pays-Bas, en Belgique ou au Luxembourg, la première n'étant que l'ultime étape avant une dépénalisation de l'euthanasie par injection létale. A les entendre, le docteur Bonnemaison serait d'autant plus excusable qu'il n'aurait fait qu'anticiper une évolution inéluctable.
L'erreur est totale et ne semble pas être uniquement le fait de l'ignorance de quelques journalistes. Pour notre part, nous pensons que cette confusion est une ressource stratégique savamment entretenue par les officines pro-euthanasie dans le but d'obscurcir le débat sur la fin de vie et influencer l'opinion publique. Il est toutefois dommage que les journalistes eux-mêmes se retrouvent parfois pris au piège de cette manipulation sémantique.
Il nous semble donc important de savoir ce que dit exactement la loi Leonetti[2]. Celle-ci a modifié le Code de la santé publique pour autoriser les limitations ou arrêts de traitements, en les insérant dans un cadre extrêmement rigoureux. La loi française précise que les actes médicaux ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris [3]. Les mots n'ont pas été choisis au hasard. Seule l'intention d'éviter de tomber dans une obstination déraisonnable , anciennement appelée acharnement thérapeutique , autorise un médecin à ne pas débuter ou stopper un traitement devenu inutile ou disproportionné. Dans ce cas, la cause de la mort qui peut en découler est la pathologie sous-jacente. Le malade, s'il décède, ne meurt pas du fait du médecin mais du libre cours de sa maladie dont il devient déraisonnable d'empêcher l'issue fatale.
Il est donc essentiel de comprendre que l'euthanasie dite passive, c'est-à-dire l'abstention (ou la suspension) d'un traitement bénéfique et proportionné à l'état d'un malade dans le but de précipiter son décès, demeure strictement interdite par la loi. Le Code de la santé publique et le Code de déontologie médicale sont formels : Le médecin n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort (article R. 4127-38). Ne pas administrer de l'insuline à un patient qui décompense son diabète avec l'intention de précipiter sa mort ou injecter à ce même malade une dose de curare sont deux actions qui semblent a priori très différentes l'une de l'autre pour un observateur extérieur. Elles relèvent en fait de la même appréciation criminelle et sont donc rigoureusement prohibées par la loi.
L'omission ou l'abstention peuvent être des actes criminels, l'inaction étant une forme d'action, comme ne pas prévenir d'un danger mortel, ne pas empêcher celui qui recule de tomber dans le vide. Si l'euthanasie est la plupart du temps de commission, elle peut aussi être d'omission. La distinction entre omettre et commettre n'a pas de pertinence éthique quand l'intention est bien celle de tuer le malade.
La Société de réanimation de langue française est parfaitement claire sur ce point : Il ne faut pas comprendre sous le terme d'euthanasie passive la limitation ou l'arrêt des traitements relevant, non pas de l'intention de donner la mort, mais du renoncement à l'acharnement thérapeutique, qui intervient lorsque l'on constate que la mise en œuvre d'un traitement ou sa poursuite relève de l'obstination déraisonnable. Toutes les formes d'administration intentionnelle de la mort, directes ou indirectes, sont interdites par la législation française. Le Code de déontologie médicale rappelle cette interdiction dans son article 38 (...). Les décisions de limitation ou d'arrêt des traitements doivent donc être distinguées de l'euthanasie active et de l'euthanasie passive . Elles en diffèrent radicalement par leur intention : intention de provoquer ou d'accélérer la mort dans le cas de l'euthanasie, intention d'éviter des traitements et des souffrances inutiles dans le cas du renoncement à l'acharnement thérapeutique [4].
On peut appliquer le même raisonnement aux pratiques sédatives en fin de vie, lesquelles consistent, face à des symptômes douloureux réfractaires, à induire une baisse de la vigilance de la personne. Le but est ici de soulager le malade, en aucun cas d'administrer volontairement la mort. Le Rapport parlementaire d'évaluation de la loi remis en décembre 2008 au Premier ministre est catégorique sur les conditions d'application et le jugement moral dont il convient d'entourer la sédation : La sédation ne doit pas être pratiquée à la demande du malade pour provoquer la mort puisque l'interdit fait au médecin de provoquer délibérément la mort tel qu'il est posé par l'article R. 4127-38 du code de la santé publique demeure (...) Elle ne saurait constituer une méthode douce d'euthanasie [5].
La seule intention qui doit habiter le professionnel de santé doit être d'assurer le confort de son patient, la posologie des médicaments utilisés étant augmentée par paliers pour neutraliser de manière efficace la composante douloureuse. L'administration d'analgésiques ou de sédatifs à hautes doses dans le but d'entraîner à brève échéance la mort du malade est tout à fait contraire aux critères de la loi Leonetti. Les protocoles de coma artificiel ( terminal sedation until death ) largement usités aux Pays-Bas sont ainsi de véritables euthanasies pratiquées par les médecins, souvent à la demande des familles, afin de s'épargner les formalités administratives de la procédure de déclaration obligatoire. En Belgique, la commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie fait également état d'une multiplication des gestes d'administration d'antalgiques ou sédatifs en surdosage pour précipiter la mort des malades.
En France, l'éthique médicale et la législation s'opposent radicalement aux dérives observées chez nos deux voisins. Seule l'intention d'apaiser la souffrance ou de ne pas s'obstiner au-delà du raisonnable autorise la mise en place de pratiques sédatives ou une désescalade thérapeutique.
En outre, afin de protéger la droiture d'intention des professionnels de santé, la loi Leonetti a instauré plusieurs garde-fous éthiques.
De manière à éviter les décisions solitaires, notamment quand le malade n'est pas apte à consentir, la loi impose une procédure collégiale avant tout choix de limitation ou arrêt de thérapeutiques, ce qui confirme encore que c'est bien ce point qui confère son centre de gravité à la législation du 22 avril 2005. En concertation avec le malade, sa famille ou la personne de confiance désignée par celui-ci lorsqu'il n'est plus conscient, l'équipe médicale doit organiser une délibération collective avant toute décision de réorientation des traitements. Dans ce cadre, le décret d'application du 6 février 2006 oblige le médecin en charge du patient à instaurer une concertation avec toute son équipe et à prendre l'avis d'au moins un médecin appelé en tant que consultant, voire d'un second si nécessaire. Comme l'a expliqué la Société de réanimation, ce protocole vise à éliminer chez les participants les mobiles et le intentions, parfois par leur simple formulation explicite, qui les feraient décider pour une autre raison que celle d'éviter l'obstination déraisonnable [6].
La procédure collégiale permet aussi de limiter les pouvoirs d'une seule personne en donnant les mêmes attributions à l'ensemble des membres d'une équipe pluriprofessionnelle composée de médecins, infirmières, aides-soignantes, kinésithérapeutes, psychologues,... Tous les professionnels de santé sont en effet à des moments divers des acteurs de soin dans la vie du patient. La procédure collégiale doit ainsi permettre à chacun de s'exprimer pour nourrir un débat contradictoire sans crainte d'un jugement interrompant la réflexion.
Il ne s'agit en aucun cas d'une décision prise selon un processus de type majoritaire. Les équipes françaises travaillent de plus en plus selon ces bonnes pratiques. C'est le cas dans le service de réanimation du docteur Jean-Paul Perez : Chez nous, quand je dis toute l'équipe de soins, nous nous appliquons à discuter tous, du médecin jusqu'à la secrétaire puisque celle-ci a une grande part dans l'accueil des familles. Nous proposons même à l'agent de service s'il veut venir participer, puisqu'il rentre dans les chambres au moins quatre fois par jour. Nous faisons aussi participer tous les stagiaires, les élèves, parce que le risque que la décision ne soit pas comprise et mal interprétée ultérieurement est extrêmement lourd de conséquences. Donc tout le monde participe, on inclut les médecins qui ont eu la prise en charge du patient auparavant, on se réunit autour d'une table, on recherche l'absence d'opposition, de doutes, d'une seule personne. En cas d'opposition, quelle que soit la personne l'émettant, du médecin à l'aide-soignant ou qui que ce soit, sa voix est alors prépondérante dans l'arrêt du processus décisionnel [7]. Ce dernier point est tout à fait primordial et a été validé par le rapport parlementaire d'évaluation de la loi Leonetti : Un constat de désaccord doit conduire à poursuivre les orientations thérapeutiques suivies antérieurement [8].
Dernier point extrêmement important pour comprendre l'esprit de loi française, la décision de retrait des thérapeutiques prise après une discussion argumentative entre tous les professionnels de santé entraîne obligatoirement le passage du temps curatif au temps palliatif. La France est d'ailleurs l'un des premiers Etats au monde à avoir créé un droit individuel aux soins palliatifs pour les personnes qui le nécessitent ainsi que l'a reconnu explicitement le Conseil d'Etat en 2009[9]. Ne pas entreprendre ou arrêter un traitement inutile ou disproportionné n'équivaut donc pas à laisser mourir le malade comme on l'entend souvent mais au contraire oblige à l'accompagner en lui dispensant les soins palliatifs les plus appropriés.
A venir
- Suite et fin de l'affaire de Bayonne (3/3) : déficience des soins palliatifs ?
Précédemment
[1] Agnès Leclair, Euthanasie : un médecin mis en examen , Le Figaro, 13 août 2011.
[2] Dans le cadre de cet article, nous n'aborderons pas la question du retrait de l'alimentation artificielle des personnes en état végétatif chronique qui équivaut à une véritable euthanasie.
[3] Article L. 1110-5 du CSP, Loi n. 2005-370 du 22 avril 2005, article 1, Journal officiel 23 avril 2005.
[4] Société de réanimation de langue française, Limitation et arrêt des traitements en réanimation adulte , Réanim (2010) ; 19 : 679-698. Cf. aussi S. Grosbuis, F. Nicolas, S. Rameix, O. Pourrat, F. Kossman-Michon, Y. Ravaud, F. Blin, P. Edde, Bases de réflexion pour la limitation et l'arrêt des traitements en réanimation chez l'adulte , Réanim Urgences (2000) ; 9 : 11-25.
[5] Jean Leonetti, Rapport d'information Solidaires devant la fin de vie, n. 1287, tome 1, Assemblée nationale, décembre 2008, p. 208.
[6] S. Grosbuis, F. Nicolas, S. Rameix, O. Pourrat, F. Kossman-Michon, Y. Ravaud, F. Blin, P. Edde, Bases de réflexion pour la limitation et l'arrêt des traitements en réanimation chez l'adulte , Réanim Urgences 2000 ; 9 : 11-25, p. 19.
[7] Jean-Paul Perez, Problématiques en réanimation in Brice de Malherbe (sous la direction), Limiter ou arrêter les traitements en fin de vie, Parole et Silence, Paris, 2007, p. 66.
[8] Jean Leonetti, Mission d'évaluation de la loi du 22 avril 2005, Rapport d'information Solidaires devant la fin de vie, n. 1287, tome 1, Assemblée nationale, décembre 2008, p. 22.
[9] Conseil d'Etat, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, 2009, p. 111.
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