Ce n'est pas un hasard si l'on parle de régime politique, ou bien de diète. Nous établissons un lien explicite entre la politique et le poids de notre corps, entre le monde temporel et monde corporel.

C'est pourquoi il faut s'intéresser à cette notion d'obésité d'un point de vue intellectuel, et non plus seulement médical (comme presque tous les problèmes, il est devenu, c'est le cas de le dire, insolvable, pardon insoluble...). On le sait, l'obésité a augmenté de façon drastique dans tous les pays : j'ai vu personnellement des plages d'obèses à Olinda ou Recife au Brésil. La politique de l'enfant unique en Chine a fait exploser le nombre d'adolescents obèses : un quart des garçons de quinze ans pèsent plus d'un quintal maintenant à Beijing ; et ce en dépit de la diète chinoise. On a deux fois moins d'enfants, donc ils doivent peser deux fois plus : c'est une preuve d'amour. Et puis comment résister à toutes les drogues chimiques que nos habiles ingénieurs glissent dans les paquets de chips ou de sucreries qui donneront tant de travail aux dentistes et aux diététiciens ?
Autre diète tant vantée, la diète latine. Mais 28% des enfants andalous sont obèses, la moitié étant en surpoids. Les meriendas, (goûters) durent deux à trois heures : j'avais assisté à ce spectacle incroyable à Malaga, où des amis ne cessaient d'ouvrir pour leurs enfants déjà bien tassés des sachets de plastique pleins de gusanos (littéralement des vers), et qui incluent toutes sortes de "subprimes" alimentaires. Et ici au Pérou, tout le monde entre dans la salle de cinéma avec un combo gigantesque de pop-corn : je parle de combos de la taille d'un seau. C'est ainsi que j'ai pu assister simultanément en cinq ans à la fonte des glaciers et à la montée du poids de toute une jeunesse américanisée comme on disait jadis.
Quant au choc des civilisations, on sait qu'il n'aura plus lieu : 40% d'obèses en Arabie saoudite, où Ben Laden et le pétrole ont servi à acheter des frites et du pop-corn. On est loin des chameliers de Lawrence d'Arabie...
Bourrage alimentaire
Comme je l'ai dit, il y a une métaphysique de l'obésité. L'esprit humain est aussi bourré d'images et d'informations toujours plus nulles, pardon plus pauvres . On sait tout sur rien, on ne sait presque rien sur ce qui importe réellement. Et on s'en moque. La graisse et la cellulite intellectuelle font fi de tout ce qui se passe dans le monde, au grand profit de ceux qui nous dirigent.
Durant des années, pouvait-on lire dans le Courrier international du 2 octobre dernier, les Américains mettaient le paquet pour tenter de perdre du poids. Et de dépenser des fortunes en livres, en régimes sophistiqués ou en opérations tordues de chirurgie esthétique (quand je pense à la chirurgie esthétique, me revient toujours en mémoire cette phrase d'Athos à Milady : le diable a même réussi à changer votre face ). Cet heureux temps n'est plus : pour Dawn Jackson Blatner, porte-parole de l'Association des diététiciens américains, un grand nombre de personnes en surpoids ne se considèrent plus comme telles. Pourtant, 66% des adultes sont pourtant en surpoids ou obèses : Et quand deux personnes sur trois sont en surpoids, les gens ont du mal à déterminer s'ils sont en surpoids.
Ce laisser-aller très libéral suppose un abandon total de la volonté. Ce bourrage alimentaire évoque le bourrage financier auquel nous assistons depuis une génération, et qui s'est mondialisé au cours des années 2000 ; et la nullité intellectuelle contemporaine, qui est au courant (sic) de tout concernant le people et la Formule 1, mais ne sait rien sur rien, littérature, religion, sciences dures.
Le Christ, on le sait, ne cesse de manger et de boire, ou de nourrir les foules qui le suivent. L'alimentation est au cœur de notre religion. Mais je voudrais citer saint Paul pour illustrer mon propos :

Vous, en effet, vous en êtes venus à avoir besoin de lait et non d'une nourriture solide. Or, quiconque en est au lait n'a pas l'expérience de la parole de justice ; car il est un enfant. Mais la nourriture solide est pour les hommes faits, pour ceux dont le jugement est exercé par l'usage à discerner ce qui est bien et ce qui est mal.

C'est un extrait de l'épitre aux Hébreux. Mais saint Paul nous dit aussi dans l' épître aux Corinthiens que le corps est le temple de l'esprit .
Le diable qui ne perd jamais l'occasion de souligner son oeuvre faire dire à l'un de ses monstres dans l'inoubliable film Hellboy 2 : Ton corps est un parc d'attractions. Comme l'esprit de notre bonne époque. Du temple au parc de loisirs, on aura tout loisir de méditer l'ampleur du problème...