"Buzz" de plus ? ou narcissisme du Net admirant la croissance de ses flux [1] ? L'avenir le dira. En tout cas, France Info lance Parlons Net , le premier club de la presse Internet en partenariat avec les grands sites d'information en ligne .

Cela devrait avoir lieu chaque semaine pendant quelque quarante-cinq minutes. Premier invité, Alain Finkielkraut le 24 février dernier.

Étrange invitation quand on a en mémoire les condamnations virulentes que l'auteur de Nous autres, modernes lance systématiquement à propos de la toile et de ses outrances . Pour l'animateur de Répliques, l'Internet, même s'il n'est pas que cela , est citerne de la haine , lieu où tout le monde peut y dire n'importe quoi . Pour le philosophe, un homme, ça s'empêche . Certes, il veut bien admettre du bout des lèvres que l'Internet trouvera probablement ses propres régulations peu à peu , mais que ça restera le propre d'Internet que de pouvoir se lâcher , absolument , sans inhibitions .

En cela, il est rejoint par Stéphane Denis qui dénonce dans le régime d'opinion qu'est le Net, la calomnie, la méprise et le malentendu [ayant] officiellement accès à la parole ( Les Dangers de l'interactivité , Le Figaro, 28 février). On a changé tout cela, aboli les distances et réclamé de la proximité .

Débrancher l'école

L'un des lieux emblématiques de la proximité, et de l'esprit participatif ou wiki[1] à tout crin : l'école. À l'heure où les pédagogues de l'école ouverte, toujours en mal d'idées neuves, ont finalisé l'entrée de l'Internet et du multimédia à l'école, il est intéressant d'entendre Alain Finkielkraut refuser avec véhémence l'idée qu'il faille éduquer au net pour rendre les enfants capables de décrypter l'actualité. Selon lui, contrairement aux idées admises, pour comprendre l'information, il faut d'abord en sortir . Volontairement empêcheur de penser de travers, Alain Finkielkraut affirme sans complexes qu'il faut débrancher l'école de l'Internet. Il faut commencer par armer les enfants ; l'école doit soustraire les enfants à la prison du présent .

Appelé à donner son avis à propos de Note2be.com, Alain Finkielkraut qualifie ce site de notations des professeurs par les élèves de résurgence de mai 68 . Alain Finkielkraut veut préciser que les élèves de Polytechnique qui le notent, lui leur professeur de culture générale, sont majeurs. À l'inverse, Note2be.com est, pour ce combatif exigeant d'une école du savoir, une véritable abjection . S'insurger contre Note2be.com en solidarité avec les professeurs relève alors de la légitime défense .

Il voit confluer la thématique soixante-huitarde, de l'égalité parfaite, quel que soit l'âge, et la société du spectacle. Les soixante-huitards doivent vraiment s'interroger : sont-ils les adversaires de la société du spectacle ou est-ce qu'ils se confondent avec ses valeurs ? D'un côté, la société du spectacle entre par le biais de l'évaluation à l'école, et là nous sommes au cirque, de l'autre nous avons des spectateurs qui notent leurs professeurs avec les critères du divertissement, de celui des guignols de l'info... Rien de plus inepte. Le monde du savoir, c'est forcément ennuyeux, pire douloureux... Qui va noter favorablement le professeur qui le fait souffrir ? Alain Finkielkraut conclut sur la contradiction majeure de ce site typique de la société du spectacle avec l'essence de l'école .

Autorité ou domination

Seul contre tous lors de l'émission "Ripostes" le 2 mars dernier, raillé par Daniel Cohn-Bendit, s'opposant clairement à Alain Madelin, il monte infatigable à nouveau au créneau en refusant la jeunesse comme idéal en réaffirmant avec nuance l'importance de l'autorité mise à mal par Note2be.com. Dans ses propos jugés autoritaristes, non, il n'y a pas retour à la construction d'une verticalité par peur. Il voit surtout mieux que les autres une grossière confusion, la confusion du concept d'autorité et de celui de domination , notamment quand il s'agit de l'école : L'autorité du maître ne blesse pas la liberté, elle l'investit.

À partir de 68, pour Alain Finkielkraut, s'est amorcé le grand mouvement de désinstitutionalisation de l'école française. On est passé de l'Institution à la communauté éducative , de la transmission du savoir à l'idéologie de la construction des savoirs . Grande faute vraiment pour notre philosophe que de ne pas distinguer le maître qui enseigne et le maître qui opprime , grande faute d'oublier qu'être enseigné fait partie de l'ontologie de l'être humain , grande faute que la famille soit espace de négociation perpétuelle .

Alain Finkielkraut martèle encore et toujours que la vertu du professeur c'est un savoir, une compétence qui n'est pas en possession de l'élève . Ainsi, à propos du site de notation de professeurs par les élèves, sa conclusion est sans appel... C'est peut-être le sens de l'histoire, mais ce que je sais c'est que l'histoire va dans le mur , laisse-t-il tomber accablé ... À la fin de l'émission, en professeur, il salue ceux qui essaient de penser autrement , et essaient de revenir au sens commun .

Merci, M. le Professeur — n'en déplaise à Dany !

Pour en savoir plus :■ France Info, Parlons Net, 24 février

■ France 5, Ripostes, 2 mars (voir notamment de la 34e mn à la 42e)

■ Qui doit noter les professeurs ?, par Hélène Bodenez, Décryptage, 22 février

[1] Le buzz (bourdonnement en anglais) est une technique marketing consistant, comme son nom l'indique, à faire du bruit autour d'un nouveau produit ou d'une offre (source Wikipedia).

[2] Rapide, vite en hawaïen.

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