Pour inaugurer cette série sur les cinéastes catholiques d'Hollywood, Nicolas Bonnal propose cette semaine un portrait de Walsh, le maître du cinéma qui pouvait tout faire .

QUI EST RAOUL WALSH ? Ce n'est pas un joueur de foot remplaçant, dira-t-on pour commencer. C'est un cinéaste américain de l'âge d'or américain et hollywoodien, et c'est le plus grand. On a dit de Michael Jordan qu'il était Dieu avec un ballon de basket, je dirais que Walsh, c'était Dieu avec une caméra, plus encore que Hitchcock, plus que les autres deux grands maîtres du cinéma d'aventures Hawks et John Ford, sur lesquels je reviendrai. Un autre grand maître oublié, catholique et irlandais aussi, Leo McCarey méritera une mention dans notre panthéon ; McCarey qui a réalisé les plus grands films chrétiens du cinéma en même temps que les plus drôles.

Il est difficile de parler de Walsh en d'autres termes que dithyrambiques. Un critique américain l'a comparé à Victor Hugo : en 60 ans de carrière, il a réalisé près de 200 films. Ceux qui m'intéressent appartiennent à l'âge d'or hollywoodien : il y a Gentleman Jim, avec Errol Flynn, l'homme idéal, célébration de l'aristocratie du combat entre quatre cordes, qui porte la boxe à un niveau métaphysique et médiéval. Nous sommes au XIXe siècle et un jeune banquier bien élevé se découvre un talent pour le noble art. Le reste est une succession de bonheur, d'invention, d'euphorie combative, amoureuse et courtoise : on se croirait au paradis. Flynn n'a jamais été aussi beau, sauf peut-être dans Robin des Bois. Il est le Lancelot du ring, le Galaad de l'esquive.

Walsh pouvait tout faire : il a découvert John Wayne, jeune et placide géant dans un magasin d'accessoires ; et il a tourné avec lui une magnifique épopée, The Big Trail. Mais ce n'est pas avec Wayne que Walsh a réalisé ses chefs-d'œuvre : c'est avec toutes les stars de l'époque, comme s'il avait pu compter sur une légion d'anges.

Dans The White Heat, Walsh dépeint un gangster fou, incroyablement incarné par James Cagney, qui pour monter un coup se souvient d'une légende racontée par sa mère : celle du cheval de Troie. Cagney est un fauve fascinant, presque charismatique ; et la scène du réfectoire où il devient fou après avoir appris par le bouche-à-oreille la mort de sa mère, un sommet de la colère filmée. On n'a jamais vu cela, on ne le reverra pas. Avec un dixième des moyens d'aujourd'hui, Walsh obtient mille fois plus d'effets. Un peu comme Racine, qui avec un lexique de deux mille mots crée plus de magie que tous les romans de la rentrée littéraire. Il faudra un jour se poser la seule vraie question qui vaille : pourquoi notre époque n'a aucun génie, mais vraiment aucun, et ce depuis une quarantaine d'années maintenant...

Walsh a tiré parti de tous ses acteurs, du grand Gary Cooper comme du lamentable Gregory Peck (il fallait le faire). Mais j'ai un faible pour deux de ses films qui sont des remakes, tournés avec deux grandes stars très différentes : Humphrey Bogart et le plus oublié, Joël McRea. Ici encore on parlera de tragédie, d'épique, de paysages grandioses. Un ancien bandit est condamné à refaire un dernier coup avant de se retirer, et il sera abattu. Une femme plus jeune et esseulée est condamnée à l'aimer : elle va le faire jusqu'au bout.

À chaque fois, le héros est condamné par le décor grandiose. Les moyens techniques et humains employés contre lui par la société concentrationnaire américaine sont déjà démentiels, même dans le western, tourné avec McRea. Je vois encore la folle course-poursuite avec Bogart, où le montage walshien alterne sirènes, voitures et autoroutes, prophétisant le réseau de l'universel enfermement où nous sommes ferrés maintenant. Dans High sierra, Bogart est abattu d'un promontoire alors que, terré dans sa caverne, il veut récupérer son petit chien. Et dans Colorado Territory, film bouleversant qui inspira même les plus mauvais critiques de cinéma, Virginia Mayo meurt criblée de balles aux côtés de l'homme qu'elle a choisi pour vivre et pour mourir. Peu de temps auparavant, ils se sont mariés et ont donné à une petite chapelle leur trésor pour faciliter sa renaissance.

Avec Walsh, si nous sommes plus proches de l'Enfer, nous sommes aussi plus proches du Ciel. C'est le vertige de cet artiste simple et sans pareil.

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