L'ennuyeux, avec des dictateurs aussi caricaturaux que Gbagbo ou Kadhafi, outre les désastres qu'ils provoquent, c'est qu'ils poussent ceux qui les combattent à verser eux aussi dans la caricature et le manichéisme.

Rien n'aura été  négligé pour que l'opinion publique française reconnaisse que la France, sous mandat des Nations-unies, défendait la bonne cause, celle de la démocratie, des droits de l'homme et de la justice contre ces personnages peu recommandables ― d'autant qu'il fallait faire oublier qu'à Paris, naguère, on avait tenté de se concilier leurs bonnes grâces. Mais le pourrissement de ces conflits, au long des jours et des semaines, enlève beaucoup de sa crédibilité à ce conte de fée.

Des révélations embarrassantes

Le camp des saints a pris un rude coup en Côte d'Ivoire avec la dénonciation par l'ONU d'assassinats massifs commis, selon toute vraisemblance, par les Forces républicaines de Côte d'Ivoire d'Alassane Ouattara. La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête sur ces  massacres commis de façon systématique ou généralisée  dans l'Ouest du pays, notamment à Duékoué. Du coup, il commence à s'écrire que  les anciens rebelles du nord, ex-Forces nouvelles rebaptisées Forces républicaines par Ouattara, avaient mis leur moitié du pays en coupe réglée. Ils contrôlaient les ressources naturelles, bois, minerais et diamants, rackettant commerçants et entreprises  (Pierre Prier, Le Figaro du 7 avril).

Tiens donc ! N'auraient-ils pas contrôlé aussi les élections, comme les en accuse Gbagbo ? Les mêmes troupes que la télévision nous a montrées en train d'investir Abidjan, n'auront pas laissé aux téléspectateurs une impression plus rassurante que celles qu'elles combattent.

On éprouve un malaise semblable devant certaines mimiques vengeresses des soldats improvisés de la rébellion libyenne. Leur nullité militaire et le caractère hétéroclite de leurs chefs jettent le trouble sur l'opportunité d'ouvrir à ces insurgés la route de Tripoli par de nouvelles frappes aériennes. Eux les réclament à cor et à cris, accusant l'état-major de l'Otan de mollesse, alors que nombre de leurs combattants sont à présent encerclés et pilonnés dans la ville de Misrata, dont on ne peut plus s'échapper que par la mer.

Deux grands coriaces

D'emblée en Libye et en dernier recours en Côte d'Ivoire, la France a frappé fort les troupes fidèles aux dictateurs. Puis il a fallu réactiver les négociations, car la résolution 1975 des Nations-unies autorisant  toutes les mesures nécessaires  pour faire taire les  armes lourdes  menaçant les civils n'autorise pas à éliminer Gbagbo, pas plus que la résolution 1973 du Conseil national de sécurité demandant  un cessez-le-feu et la fin totale des violences et de toutes les attaques et abus contre les civils  ne permet de se débarrasser de Kadhafi.

Manque de chance, l'un et l'autre sont des coriaces, des illuminés, des jusqu'auboutistes. Si les heures de Gbagbo paraissent comptées, Kadhafi n'est pas assez affaibli pour lâcher le morceau, tant du moins que son entourage, à commencer par ses fils, lui restera fidèle.

Trois questions applicables à trois fronts

La seule certitude, c'est que la situation humanitaire est devenue dramatique en Côte d'Ivoire et en Libye. Les interventions militaires décidées par l'Onu, aiguillonnées par la France, auront-elles en définitive atteint leur but ? Ou bien nous sommes-nous engagés dans des  aventures sans retour  qui aggraveront les maux qu'on prétendait soigner ?

Les évêques américains le craignent : ils n'ont pas hésité à interpeller les chefs de gouvernement engagés dans le conflit en Libye en leur posant trois questions :  En quoi l'usage de la force est-il en train de protéger la population civile ?  ;  Les conséquences sont-elles plus graves que le mal que l'on espérait extirper ?  ;  Quelles sont les implications de cet usage de la force pour le bien être futur du peuple libyen et pour la stabilité de la région ? . Ces mêmes questions méritent d'être posées à propos de la Côte d'Ivoire mais aussi de l'Afghanistan dont le président Karzaï, auquel nous sommes alliés, n'est guère plus fréquentable que Kadhafi ou Gbagbo. Dans ces trois cas, voulant agir au nom de la démocratie et de la justice, nous nous sommes engouffrés dans des guerres tribales  doublées de conflits maffieux. Il serait vraiment prodigieux qu'elles s'achèvent dans une paix couronnée par la justice. Quant à la démocratie... mieux vaut ne pas en parler.

Enfin, engager nos soldats sur trois fronts à la fois, M. Sarkozy, n'est-ce pas beaucoup, humainement et financièrement, pour un pays qui n'est pas au mieux de sa forme ? En tout cas, historiquement, comme l'a fait remarquer Eric Zemmour sur RTL (7 avril), c'est sans précédent. Même Napoléon n'avait pas osé.

 

[Sources : Zénit, Libération fr, Le Figaro, RFI, Radio Vatican, RTL]

 

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