Nos coups de coeur
Agent de Soljénitsyne : trois mots pour un duo. Le premier au service du dernier, comme un ministre, un serviteur. Dans quelle mesure, le patron des éditions Fayard s'est-il fait l'agent d'influence, le fidèle représentant non certes des seuls intérêts bassement [1] financiers de la statue de Commandeur de la démesure soviétique mais aussi de sa pensée, de ses intentions les plus intimes ? Comment l'a-t-il accompagné et, si possible, devancé dans son combat contre la patrie des soviets et dans sa défense et illustration de la Mère Patrie russe ?
Première réponse : Soljénitsyne étant en quelque sorte le mètre-étalon, le parangon de la pensée chrétienne en général, de l'orthodoxie russe, en particulier, on peut écrire sans rire que Claude Durand a en quelque sorte illustré le versant évangélique du grand auteur en laissant le département religieux de Fayard - Le Sarment [2] (vous vous souvenez, n'est-ce pas, de la parabole des ouvriers de la vigne...) -, publier de bonnes nouvelles sous forme de documents, de témoignages de premières mains émanant de docteurs, voyageurs, éducateurs et autres bons pères pour lesquels le mot souffrance n'était pas une abstraction tout en ayant le don, à nous lecteurs, de vous parler du cœur sans parler du nez. De l'authentique, donc, marqué au fer rouge, sans rien du graveleux, du putassier que ce genre de littérature contient souvent à présent. Voilà pour le côté Nouveau Testament du patriarche et prophète russe, lequel ne pouvait mener campagne en Occident sans qu'auparavant ne le précède cela seul qui peut conjurer ce dont nous menace son Ancien Testament revu et corrigé de toute son intransigeance slave : la Bonne Nouvelle. Assuré de cet l'Evangile dont sa maison à son insu était le saint agent, Claude Durand bénéficiait en quelque sorte d'un viatique pour favoriser la divulgation de cette autre mais tout aussi sonnante bonne parole que constitue l'œuvre entière du Prix Nobel de littérature. Tout l'art de l'éditeur tenait en somme à conserver l'âme à l'Est (pour cheminer en étroite symbiose avec lui) tout en ayant la tête à l'Ouest sans que cette opposition ne vous rende fou. Car ce qui ressort des pièces (échanges épistolaires, entretiens, préfaces etc.) rassemblées par Claude Durand, c'est peut-être pour l'essentiel ceci : nul n'est prophète en tous pays avant que, de toutes ses prophéties, les Hommes pâtissent. La Russie finit par comprendre, mais cette fin même prend du temps... Quant à l'Occident, Alexandre Soljénitsyne lui a mis le nez sur ses contradictions, tous ses crimes inconscients, et il l'a pris de travers. Tant qu'il n'aura pas bu la coupe jusqu'à la lie – l'hallali dirait ma concierge - , il continuera à ne respecter qu'un seul commandement : tu ne changeras point. Sans peut-être au passage, n'en déplaise à Claude Durand, en guise de pied de nez, baptiser de son nom, de préférence du côté du Kremlin-Bicêtre ou de Montrouge, une de ses impasses.
HdC
[1] Il avait beau avoir les pieds sur terre, Soljénitsyne, pourfendeur du matérialisme non seulement marxiste mais de celui propre au libéralisme de l'Occident, n'aurait certainement pas pris l'adverbe en mauvaise part.
[2] voir Piété filiale - Des certitudes à la Foi avec René Péchard, éd. du Jubilé, pp. 289, 307 et suivantes
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