Pascal, le phénomène humain et la proposition chrétienne

Source [Philitt] : Dans son nouveau livre Pascal et la proposition chrétienne, Pierre Manent engage l’Europe à ressaisir la « question de Dieu », aujourd’hui réduite à celle des « opinions » religieuses, et en particulier, à l’aide de Pascal, à poser cette question selon la formulation judéo-chrétienne qu’elle a toujours eue. Envisagée à la fois dans son originalité et son universalité, la révélation chrétienne se présente chez l’auteur des Provinciales comme une proposition à l’initiative de Dieu, récapitulée dans le Christ, et à laquelle l’homme, déjà embarqué, ne peut se soustraire.

 

Il est de notoriété publique que, depuis peu, « les Européens ne savent que penser ni que faire du christianisme ». Plus encore, insiste Pierre Manent, « l’Europe n’est pas chrétienne, elle ne veut pas l’être ». Or son histoire, celle de la rencontre entre la nature humaine et la proposition chrétienne, tantôt « ardente adhésion » tantôt « rejet passionné », ne cesse de lui répéter le contraire. Dire que l’Europe est chrétienne revient à souligner une originalité historique, propre à l’Occident : la rencontre, inattendue à plus d’un titre, entre « la plus impressionnante construction politique du monde païen », l’Empire romain, et la proposition religieuse la plus difficile à recevoir et à accepter, le christianisme. La question soulevée par Pascal et la proposition chrétienne[1] est donc motivée par une exigence d’ordre politique : pour renouer avec ce qu’elle est, l’Europe doit envisager à nouveau la proposition chrétienne, quelle que soit l’issue de cette réflexion.

Pourquoi parler de « proposition chrétienne » ? Pour dissiper, avant tout, le nuage d’indifférence religieuse qui plane sur la démocratie et sur le bras armé et la main invisible de son athéisme, la laïcité. Loin d’être un récit sur les dieux, comme le sont les grandes mythologies, ou une spéculation sur un principe premier muet et solitaire, comme l’est le « Dieu des philosophes et des savants » païens, le mystère chrétien offre la possibilité d’un dialogue entre l’homme et son créateur. Dieu propose à l’homme une alliance, qu’il est libre d’accepter ou de refuser. La proposition judéo-chrétienne, à cet égard, constitue la traduction en philosophie politique du concept théologique de révélation. Dire que le christianisme est une proposition, c’est aussi sous-entendre qu’il en existe d’autres qui, en régime démocratique, doivent tant bien que mal « vivre ensemble ». Dès lors, à l’impératif chrétien de « conversion » (Mt 4, 17) répond la nécessité de faire du christianisme la proposition religieuse la plus convaincante et digne de foi : telle est la gageure bien connue de l’apologétique chrétienne, tradition dans laquelle Pascal s’est sciemment inscrit.

Ces considérations de philosophie politique sur la foi peuvent sembler bien arides. Elles le sont, en vérité, tant que l’on ne se décide pas à lire entre les lignes et deviner l’arrière-fond théologique d’un enjeu en apparence intramondain. Par proposition chrétienne, Manent entend plus précisément « l’ensemble lié des dogmes ou mystères chrétiens, en tant qu’ils sont offerts à la considération de notre entendement et au consentement de notre volonté, et qu’ils entraînent une forme de vie spécifique ». En d’autres termes, il s’agit d’envisager le mouvement propre à la révélation chrétienne, avant son contenu ; la relation qu’elle introduit entre Celui qui révèle et celui à qui la vérité est révélée. L’expression, en ce sens, insiste d’une part sur l’initiative divine qui rend possible la révélation, de l’autre sur la liberté laissée à l’homme de croire ou de ne pas croire. Dans le mystère judéo-chrétien de l’alliance, Dieu devance toujours l’homme et lui fait une proposition à laquelle il doit impérativement répondre. Donnons une formulation parmi d’autres de cette offre à l’initiative de Dieu : « Vois, je te propose aujourd’hui vie et bonheur, mort et malheur » (Dt 30, 15). Devant un tel choix, il faut prendre position sous peine de rester dans une non-position, nulle part, c’est-à-dire dans une u-topie. En termes pascaliens, rien ne sert de fuir la proposition, comme tend à le faire l’homme dans le « divertissement », puisque d’ores et déjà nous sommes « embarqué ».

Pascal ou l’art de la proposition

On peut légitimement se demander où l’auteur a trouvé, chez Pascal, la notion de « proposition », comme certains se demandaient où Corneille avait trouvé son « qu’il mourût ! ». La réponse est sous nos yeux : Pascal, soucieux en cela d’épouser le rythme de la révélation chrétienne, formule sa pensée à l’aide de propositions. Ce genre, propre aux moralistes du Grand siècle, a bel et bien disparu aujourd’hui. Comment pourrait-il en être autrement ? Phrase à l’indicatif qui vise « à cerner les traits objectifs qui caractérisent l’être humain, ou qui donne son caractère à la vie humaine, à la condition humaine », la proposition dont Pascal a fait un art se trouve aujourd’hui hantée, selon Manent, par une « double indétermination ». Théorique, puisqu’il existe un nombre indéfini d’approches du « phénomène humain » ; pratique, puisqu’il existe aussi un nombre indéfini de « transformations susceptibles d’affecter la fabrique de la vie humaine ». Dès lors qu’on nie que « l’ordre humain repose sur des déterminants stables », autrement dit que « la vie humaine a une forme naturelle qui est naturellement irréformable », toute proposition de type « le moi est haïssable » est irrecevable, voire impossible à formuler.

Or de telles propositions méritent d’être formulées, et ce parce qu’elles ne sont pas, dans l’esprit de Pascal, des vérités construites par l’homme mais révélées, donc données. La science procède à partir de données : pourquoi la morale n’en ferait-elle pas autant ? Vérité donnée par Dieu, dans le livre de la création pour le scientifique et dans celui des Écritures pour le croyant. La proposition contenue dans les Écritures saintes est d’ailleurs celle qui rend possible toutes les autres, car elle est « incomparablement plus concrète et déterminée qu’aucune proposition humaine ». Encore faut-il le prouver, ce que fait Pascal en quelques mots : la religion chrétienne est vénérable « parce qu’elle a bien connu l’homme » (Laf. 12, Sel. 46). Les deux grands faits qui motivent l’expérience chrétienne, à savoir que l’homme est malade, c’est-à-dire « naît en péché » (Laf. 421, Sel. 680), et que Dieu seul peut le guérir, font du christianisme la proposition la plus « sensible au cœur » (Laf. 424, Sel. 680). La révélation chrétienne, pour Pascal, se signale d’abord par le fait qu’elle révèle l’homme à lui-même, plus précisément, « qu’elle lui découvre, en même temps qu’un esclavage jusque-là ignoré, un Libérateur jusque-là inconcevable ». Quand Pascal formule une proposition sur l’homme, c’est donc de Dieu qu’il la tient, du Dieu qui révèle à l’homme son être en lui révélant le Sien, dans les Écritures saintes et dans l’incarnation de son Verbe, Jésus-Christ, qui les accomplit. De même que nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes sans ce « mystère incompréhensible » (Laf. 131, Sel. 164), de même nous nous méconnaissons en méconnaissant cette proposition, nous ignorons ce qui fait notre être : le moi, sa misère et sa grandeur. 

Comment connaître cette proposition, et d’abord comment la méconnaître ? Primo, en se trompant sur son contenu. Telle est la grande erreur dont l’auteur des Provinciales accuse les Jésuites : avoir accommodé la proposition chrétienne afin de « ne rebuter qui que ce soit » et pour « ne pas désespérer le monde ». « Nous avons donc des maximes pour toutes sortes de personnes », fait dire Pascal à la Société de Jésus dans sa Sixième lettre. Multiplier les propositions, c’est instaurer, avant la lettre et au sein même de l’Église chrétienne, un pluralisme religieux tel qu’il domine aujourd’hui. Or la proposition du « Dieu-ami-des-hommes » ne ressemble à aucune autre et ne peut être réduite à tel aspect ni « évaluée selon un critère ou des critères partageables avec les autres expériences ou œuvres humaines ». Tout un non-dit de l’apologétique chrétienne s’effondre avec cette critique pascalienne. Chez Pascal, en effet, le christianisme n’est pas une religion parmi d’autres, « car il répond seul à une difficulté que les autres religions ignorent et que la philosophie, loin de la résoudre, porte à son comble ». Le christianisme se place « sur le plan d’universalité qui est celui des philosophes comme aussi des géomètres » et que méconnaît celui qui envisage la proposition chrétienne comme une offre, taillée sur mesure, et rivalisant avec d’autres.

Ne peut répondre convenablement à la proposition chrétienne non plus celui qui se dispose mal, voire pas du tout, à recevoir une vérité révélée librement et par amour. Tel est bien le résultat de l’alternative dressée par Pascal entre Épictète et Montaigne, qui mènent tous deux à la même attitude d’ironie et d’indifférence devant la révélation, c’est-à-dire entre une philosophie qui, « connaissant le devoir de l’homme et ignorant son impuissance, se perd dans la présomption », et une autre qui, « connaissant l’impuissance et non le devoir, s’abat dans la lâcheté », écrit Pascal dans son Entretien avec M. de Sacy. L’une comme l’autre dispose mal au christianisme puisqu’elles méconnaissent l’homme et demeurent éloignées de cette « disposition propre au christianisme » qu’est le repentir. Puisque le « fond du monde humain », chez Pascal, réside dans « l’ordre de la chair » et « le règne de la concupiscence », celui qui prend au sérieux la question de la sagesse doit « prendre position » ou plutôt se « former une disposition » à l’égard de cet ordre. Il en va de même de la doctrine de Rousseau sur l’état originel de l’homme, que Manent confronte à celle de Pascal, et qui « nous a rendus de plus en plus inaccessibles à la proposition chrétienne ».

On n’accède pas à la proposition chrétienne : c’est elle qui accède à nous. Le dernier écueil de l’homme confronté à la révélation consiste à « prétendre commencer » là où il s’agit de répondre. Ici, Pierre Manent entre dans une discussion serrée avec saint Anselme, saint Thomas d’Aquin et Descartes autour de la notion de « preuve » de Dieu et de son existence, question qui se trouve au cœur du pari pascalien. L’enjeu est d’étudier la position de l’insensé qui « dit dans son cœur : il n’y a point de Dieu » (Ps 14, 1) et de montrer qu’il s’agit plutôt d’une fausse-position, puisqu’elle repose sur « une parole intérieure, un dire qui ne s’adresse à personne et qui ne vise pas d’objet ». En bref, l’insensé, lorsqu’il nie l’existence de Dieu selon la définition anselmienne de l’ens quo majus cogitari nequit, « ne peut s’empêcher, si du moins il comprend ce qu’il dit, de le penser comme existant nécessairement », c’est-à-dire de penser ce qu’il nie comme existant. L’argument ne prouve rien, selon Manent, mais permet à celui qui pense de prendre conscience de son incapacité à penser, « éprouvant en même temps la grandeur de l’objet de son désir et sa propre petitesse ». En cela, l’argument de saint Anselme cherche à placer l’âme dans une certaine disposition à l’égard de l’objet de son désir, « le cogitans dans une certaine disposition à l’égard du cogitandum », attitude qui est exactement celle du pari de Pascal, c’est-à-dire une « affaire » où la « raison, reconnue aveugle et déclarée incompétente, a donné commission à la volonté ».

La conséquence d’une telle démarche est sans appel. Dieu n’étant jamais un « hôte quelconque de [l’]entendement [humain] », l’on peut tout au plus prendre conscience de la grandeur et de l’exigence de la proposition chrétienne, mais jamais la prouver au sens fort. L’essentiel est d’adhérer davantage à sa réalité, « de choisir toujours plus effectivement Celui qui est cru » et non de la justifier au moyen de preuves qui sont trop « éloignées du raisonnement des hommes ». La démarche thomiste est presque jugée « inutile et incertaine » par Manent, selon la formule lapidaire de Pascal à propos de Descartes (Laf. 887, Sel. 445). Du moins « la preuve par le mouvement, la cause efficiente, le possible et le nécessaire, bref par les choses moralement indifférentes, ne saurait nous conduire à l’objet ultime du choix humain ». On peut regretter que Manent joue ainsi saint Anselme et Pascal contre saint Thomas et Descartes, la démarche et le plan philosophiques des seconds étant volontairement différents de ceux des premiers. On doit en revanche reconnaître avec Pascal que le chrétien est d’abord celui qui reçoit une révélation et y adhère : « Qui désire entrer dans la compréhension de la proposition chrétienne doit commencer par accepter la condition dans laquelle celle-ci place les hommes auxquels elle s’adresse – la condition de celui qui écoute ». Dieu commence toujours. « Or qui prétend prouver, prétend commencer. […] Il s’agit de répondre à une proposition ». Le proverbe que méditait le pèlerin russe dans les Récits, « l’homme propose, Dieu dispose », ne dit la vérité qu’à moitié : Dieu, alpha et oméga, est à la fois celui qui propose et celui qui dispose l’homme à entendre sa proposition.

La nuit de Gethsémani et le phénomène humain

La singularité de la révélation chrétienne tient donc en ceci que l’homme n’est pas abandonné à lui-même au moment de prendre position devant le fait chrétien. Au contraire, devancé par la question posée par son créateur – celle de Dt 30 entre la vie et la mort –, l’homme se sait aussi devancé dans sa réponse. Quelqu’un a déjà répondu, au nom de toute l’humanité pécheresse, à cette offre sans pareille d’une réconciliation avec Dieu. Aussi la proposition chrétienne passe-t-elle nécessairement par Jésus-Christ sans qui, leitmotiv pascalien, nous ne savons rien de Dieu. Si bien qu’il nous faut déterminer d’abord comment le Christ se présente à nous avant de prendre position par rapport à lui, « avant que ne se pose la question de notre disposition à son égard, de notre oui ou de notre non ».

Que Jésus-Christ se tienne au centre de la proposition chrétienne signifie qu’il a justement traversé cette proposition en son centre. Au cours de son agonie à Gethsémani, le Fils de l’homme a pris la mesure de la proposition du Père et l’a assumée et acceptée, non sans prier, jusqu’à verser sa propre sueur qui « devint comme des gouttes de sang » (Lc 22, 44). En cela, l’heure où le Fils de l’homme est livré aux hommes se montre plus décisive que celle de sa mort. Pascal part bien de cette différence essentielle entre la Passion et l’agonie du Christ : « Jésus souffre dans sa passion les tourments que lui font les hommes, mais dans agonie il souffre les tourments qu’il se donne à lui-même » (Laf. 919, Sel. 749). Comment comprendre cette proposition pascalienne qui, avec quelques autres du Mystère de Jésus qui inspireront à Péguy d’autres formules problématiques, nous semble « considérable » et parfois « sans appui textuel » ? En quoi Jésus-Christ « se fait-il violence » ?

À Gethsémani se joue un mystère intra-trinitaire : la proposition chrétienne, dont nous avons jusque-là étudié l’expression dans la trinité économique, se fonde en réalité dans la trinité immanente, lieu de la vie divine du Père et du Fils, dans l’Esprit. La bonté toute-puissante que le Fils reçoit du Père doit « abandonner sa nature humaine, et donc aussi en un sens sa Personne, aux mains des hommes qu’il a si souvent éludées, aux mains du Mauvais qu’il a toujours jusque-là dominé souverainement ». L’heure johannique du Fils de l’homme est à la fois « l’heure du prince de ce monde et l’heure où le prince de ce monde va être jeté dehors ». Lorsque Pascal écrit sévèrement que « Jésus était délaissé seul à la colère de Dieu », il interprète l’agonie à Gethsémani comme une épreuve soumise à la bonté divine : celle de la victoire imminente de Satan, aussi provisoire soit-elle. Ce « laissez-faire accordé à Satan », le temps d’une nuit ou d’une heure où les « ténèbres » (Lc 22, 53) ont le pouvoir (ἐξουσία τοῦ σκότους), « laissez-faire » préfiguré par le livre de Job, est l’autre nom de la colère divine dont Pascal fait mention. Uni aux pécheurs jusqu’à ne former qu’un seul corps, le « Christ total », dans lequel « il n’y a pas que Jésus » selon la formule du père Louis Bouyer, se voit bel et bien « délaissé » d’un Dieu qui n’a rien de commun avec le péché (2 Co 6,15).

Si la proposition du Père et la réponse du Fils, que symbolise la coupe que le premier tend au second dans les Synoptiques, suggère que les volontés divine et humaine de Jésus-Christ divergent, l’Évangile atteste bien, selon Manent, « que les volontés sont distinctes, non pas qu’elles sont divisées ». Aussi la trahison de Judas, qui a chez saint Jean le rôle pivot que joue l’agonie chez les Synoptiques, résume-t-elle l’enjeu de la proposition chrétienne : la coupe de bénédiction que le Christ tend à ses disciples au dernier repas est devenue « coupe de colère » pour Judas. Le Seigneur doit donc accepter, au lieu d’être celui qui pardonne les péchés, d’être « fait péché » pour être livré aux mains des pécheurs et ainsi devenir « rançon pour la multitude ». Or, « en se livrant aux mains des pécheurs, il donne licence à la liberté humaine de s’opposer à la rédemption – une rédemption qui mystérieusement « laisse faire » cette liberté ». On comprend mieux, à l’aune de cette lecture de la nuit à Gethsémani, la formule du Mystère de Jésus selon laquelle « Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde ». La coupe que le Fils de Dieu veut et ne veut pas que son Père écarte de lui, c’est la contradiction – l’antilogia (He 12, 3) – que lui opposent les pécheurs.

Dès lors, la proposition chrétienne peut recevoir son authentique formulation : « entre Adam et Jésus-Christ, entre la concupiscence et la grâce », elle traduit le mouvement incessant d’humiliation et d’élévation qui définit l’expérience chrétienne. Dès lors aussi, elle devient une proposition véritable, puisqu’elle peut être refusée. « Dans le dispositif chrétien, la grâce et la liberté n’ont de sens que si la liberté peut refuser la grâce, ou se refuser à la grâce ». Le chrétien est celui qui accueille dans la foi l’offre d’adoption qui forme le contenu du salut par le Christ. Telle est la condescendance infinie de Dieu à l’égard du « phénomène humain ». L’expression, rendue célèbre par le père Teilhard de Chardin dans un ouvrage éponyme (1955), incite à penser l’homme, renouvelé dans le Christ, d’après son mode d’apparaître propre. Pierre Manent fonde sa réflexion là où Teilhard l’achève, puisque ce dernier ne s’autorise à parler de « phénomène chrétien » qu’à la fin de son étude, soulignant que « le fait chrétien est devant nous. Il a sa place parmi les autres réalités du monde »[2]. Le Christ, présenté au temple de l’humanité dans le « non-apparaître » et « l’obscurité » qui le caractérisent selon Pascal, incarne la proposition chrétienne. Il représente, plus qu’il ne présente, la médiation et la libération que l’homme, conscient de sa condition misérable, a la liberté d’embrasser ou de rejeter. L’histoire du salut devient l’histoire d’une « plénitude inachevée », « d’un accomplissement en suspens » ; l’histoire d’un mystère, celui de Dieu, qui s’offre librement à un « monstre incompréhensible » (Laf. 130, Sel. 163), l’homme.

[1] Pierre Manent, Pascal et la proposition chrétienne, Grasset, octobre 2022, 432 p.

[2] Pierre Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain, Le Seuil, Coll. « Points Essai », 1995, p. 294.