Une étude américaine vient de montrer l'augmentation anormale au sein des cellules souches d'origine embryonnaire d'aberrations génétiques associées au risque de cancer. En pleine tourmente de l'affaire du Mediator, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) prendra-t-elle le risque d'autoriser le premier essai clinique chez l'homme utilisant ces cellules ?

 On n'est pas sûr que ça va marcher, on l'espère , a déclaré devant le ministre de la Recherche le professeur Philippe Menasché, l'une des figures de proue de la recherche sur l'embryon en France (AFP, 25 novembre 2010). La prudence du propos, relevée par plusieurs journalistes, mérite une explication [1].

Faire pression sur les parlementaires

C'était le 25 novembre dernier. Valérie Pécresse était alors en visite au sein de l'unité de thérapie cellulaire cardio-vasculaire que Philippe Menasché dirige à l'hôpital européen Georges-Pompidou pour redire  le soutien de l'État  à la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh). Le déplacement du ministre n'avait rien de fortuit :

Philippe Menasché annonçait aux journalistes présents que le premier essai clinique français utilisant ces cellules controversées devrait prochainement voir le jour dans son service. Difficile de ne pas déceler dans cette déclaration et la proximité de la révision des lois de bioéthique un effet d'annonce n'ayant d'autre but que de mettre la pression sur les parlementaires pour qu'ils assouplissent les conditions dérogatoires de la recherche sur l'embryon.

À ce jour, seuls deux tests cliniques ont été autorisés dans le monde, tous deux aux États-Unis. Le premier a obtenu le feu vert de la FDA (Federal Drug Administration) en octobre dernier, après un an et demi d'atermoiements de la part des autorités sanitaires américaines en raison d'anomalies constatées dans les expériences chez l'animal. L'entreprise Geron a finalement obtenu gain de cause pour un seul essai portant sur quelques patients ayant une section accidentelle de la moelle épinière. Le second test a été autorisé dans la foulée au mois de novembre au bénéfice de l'industriel Advanced cell technology pour une étude portant sur dix malades atteints d'une pathologie oculaire rare, la dystrophie maculaire de Stargardt. Les deux firmes privées, habituées des coups médiatiques pour faire grimper en flèche leur cotation en course, n'ont pour l'instant communiqué aucun résultat.

Il convient avant tout de ne pas se méprendre quant à l'objectif exact de ces deux tests extrêmement modestes au regard du nombre de patients impliqués. Il s'agit en effet d'expérimentations destinées uniquement à faire la preuve de l'innocuité de l'administration de cellules embryonnaires chez un être humain. De même, l'essai du professeur Menasché, s'il venait à être autorisé, ne serait lui aussi qu'une étude de faisabilité incluant seulement six malades. Pourquoi tant de précautions ?

Risque de cancer

C'est que la principale crainte soulevée par ce type d'expérience sur l'être humain est la possible induction de cancers retrouvés dans plusieurs études menées chez l'animal.  Les recherches sur les animaux ont montré que lorsque l'intégralité des cellules souches injectées n'avaient pas été transformées en cellules spécialisées au préalable, des tumeurs se formaient [2] , prévient George Uzan, spécialistes de ces questions à l'Inserm. Le triomphalisme n'est donc pas de mise.

Et ce d'autant moins qu'une étude récente parue au début de l'année dans la revue Cell Stem Cell vient de fournir à la communauté scientifique une explication de ce potentiel tumorigène des cellules embryonnaires. Jusqu'à présent, plusieurs équipes avaient démontré l'existence d'anomalies chromosomiques dans les cellules souches d'origine embryonnaire. En utilisant des techniques de détection beaucoup plus précises, des chercheurs ont découvert l'existence d'anomalies génétiques ponctuelles dans les deux catégories de cellules souches pluripotentes connues, aussi bien embryonnaires qu'issues de la reprogrammation de cellules adultes (iPS).

On peut d'ailleurs en déduire au passage que les conclusions de cette investigation démontrent une nouvelle fois que les cellules iPS ont les mêmes propriétés en termes de pluripotence – et donc les mêmes défauts – que leurs consœurs embryonnaires. Sur le plan de la recherche fondamentale et cognitive (criblage moléculaire à haut débit, modélisation de pathologies, études génétiques, compréhension des mécanismes de prolifération et de différenciation,...) les iPS constituent donc bien une  alternative d'efficacité comparable  aux CSEh sans les dilemmes éthiques posés par la destruction d'embryons humains vivants.

Mgr Jacques Suaudeau, directeur scientifique de l'Académie pontificale pour la Vie, avait particulièrement insisté sur ce point lors du IIe congrès international sur les cellules souches qui s'était tenu fin 2009 dans la principauté de Monaco : les cellules iPS apportent une solution éthique au besoin de cellules souches de type embryonnaire mais elles ne peuvent être utilisées à ce jour qu'in vitro et non encore chez des patients, en raison justement de leurs caractéristiques similaires à celles des CSEh.

L'impact du Mediator

Sur 186 lignées de cellules pluripotentes étudiées (130 de cellules souches embryonnaires et 56 de cellules iPS) comparées à 119 échantillons de cellules non pluripotentes, les chercheurs ont ainsi mis en évidence un grand nombre d'anomalies génétiques, avec notamment des duplications d'oncogènes (induisant des cancers) ou des délétions de gènes suppresseurs de tumeurs. Le biologiste Albert Barrois rapporte sur son blog les propos de deux chercheurs rédacteurs de l'article.

Pour Louise Laurent de l'Université de San Diego (Californie), les aberrations génétiques étant fortement associées au risque de cancer,  il est important que les préparations cellulaires destinées à une utilisation clinique ne présentent pas d'altérations génomiques . Mise en garde identique du côté de Jeanne Loring (Scripps Research Institute) qui a supervisé l'étude :  Nous ne savons pas encore quels effets – s'il y en a – auront ces anomalies génétiques sur l'avenir des recherches et des applications cliniques de ce type de cellules, mais nous devons trouver. 

En annonçant comme imminent un essai clinique avec des cellules dérivées de CSEh, le professeur Philippe Menasché n'est-il pas en train de brûler les étapes ? Il lui manque en tout cas le précieux sésame des autorités françaises qui n'ont toujours pas validé son protocole. Or sans l'étape indispensable d'une autorisation en bonne et due forme délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), aucun essai clinique ne pourra démarrer.

Mais en pleine tourmente de l'affaire du Mediator, qui prendra le risque de signer l'autorisation ? Xavier Bertrand, le ministre de la Santé, l'a dit, notre police de la santé a failli gravement à sa mission de prévention et de veille sanitaire dans le cas du Mediator. Les nouveaux dirigeants de l'Afssaps se résoudront-ils à autoriser un essai sur l'homme avec des CSEh au risque de déclencher un nouveau scandale sanitaire ?

Les études internationales montrent qu'on est très loin d'avoir sécurisé les lignées de CSEh et que les conséquences sur la santé humaine sont loin d'être connues. La plus élémentaire déontologie médicale et scientifique exige de surseoir pour l'instant à toute application chez l'homme.

 

*Pierre-Olivier Arduin est directeur de la Commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.

 

[1] Sylvestre Huet,  Cellules souches : l'État manie avec précaution , Libération, 27 novembre 2010.
[2] Tristan Vey,  Cellules souches d'embryons : premiers essais cliniques , Le Figaro, 26 novembre 2010.

 

***