Les nouvelles recommandations édictées par les spécialistes des fécondations in vitro font craindre une accélération des pratiques de sélection et congélation embryonnaires.
Un seul et même objectif mobilise actuellement la communauté des praticiens de l'assistance médicale à la procréation : améliorer le taux de naissance enregistré après fécondation in vitro tout en réduisant les grossesses multiples qui en sont issues, ces dernières comportant un risque non négligeable de complications maternelles et néonatales.
En France, le guide de bonnes pratiques élaboré par l'Agence de la biomédecine et paru par arrêté ministériel en 2008, recommande de limiter autant que possible le nombre d'embryons transférés à deux. En 2008 pourtant, bien que plus de 86% des transferts après FIV fussent réalisés avec un ou deux embryons, le taux de proportion d'accouchement de 2 enfants (voire 3) est demeuré élevé, atteignant 20% des naissances vivantes.
Pourrait-on implanter un seul embryon sans réduire les chances pour un couple d'obtenir un enfant ? Si oui, selon quels protocoles ? Telles sont les questions auxquelles souhaitent répondre les sociétés savantes de biologie de la reproduction. Pour cela, de nombreuses enquêtes internationales ont été menées ces derniers mois pour identifier les procédures techniques qui, sans perte d'efficacité, seraient susceptibles de limiter les grossesses gémellaires après assistance médicale à la procréation.
Tri sélectif des embryons
A partir d'une recension de très nombreux articles sélectionnés pour leur qualité scientifique , le professeur Pierre Jouannet qui fait autorité dans ce domaine en France propose un changement radical des pratiques en recommandant de ne transférer qu'un embryon unique après chaque cycle de FIV [1]. A priori, on pourrait penser que l'implantation d'un seul embryon permettrait non seulement d'éviter les grossesses gémellaires mais aussi de réduire le nombre d'embryons produits et par voie de conséquence le stock d'embryons cryoconservés, l'une des dérives les plus contestables de l'AMP. Il suffirait de ne féconder qu'un embryon à la fois, de le transférer immédiatement dans l'utérus de la mère et de renouveler l'opération en cas d'échec en fécondant un nouvel ovocyte. Ce raisonnement, aussi séduisant soit-il sur le papier pour limiter le nombre d'embryons fabriqués, est aux antipodes des recommandations émises par les spécialistes de la médecine procréative. Et pourrait finalement n'être qu'une vue de l'esprit de celles et ceux qui tentent de circonscrire les transgressions charriées par la médecine reproductive. Essayons d'expliquer pourquoi.
Si la technique de transfert de deux embryons s'accompagne de grossesses gémellaires dans 29% des cas, elle permet toutefois d'obtenir un taux de naissances de 42% alors que le transfert d'un seul embryon ne présente qu'un taux de naissances de 27%[2]. Pour pallier cette différence d'efficacité, le professeur Jouannet propose de recourir à ce que l'on appelle le transfert sélectif d'un embryon unique ou elective single embryo transfer (e-SET) suivi, en cas d'échec de cette première implantation, du transfert lui aussi sélectif d'un embryon supplémentaire préalablement congelé. Par définition, le risque de grossesse gémellaire est nul à chacune des étapes et les taux cumulatifs de naissances observés dans les dernières cohortes étudiées sont similaires à ceux obtenus quand deux embryons sont initialement transférés[3].
Ce nouveau protocole ouvre non seulement la porte à de nouveaux attentats contre la vie mais affaiblit encore plus la conscience du respect dû à l'embryon humain, déjà bien obscurcie. L'emploi des termes sélectif en français ou elective en anglais et le fait qu'il faille encore recourir à la congélation pour bénéficier d'embryons de réserve en cas d'échec ne laissent aucun doute sur les intentions des médecins et des biologistes de la reproduction. Car pour que l'e-SET puisse rivaliser avec les résultats obtenus après implantation de deux embryons, il faut chercher à tout prix à identifier l'embryon ayant les meilleurs chances de conduire à la naissance d'un enfant en bonne santé selon les propres termes de Pierre Jouannet. L'amélioration de l'évaluation de la qualité embryonnaire est ainsi le défi numéro un de cette nouvelle procédure, reconnaît-il.
Classiquement, l'évaluation de l'embryon en AMP est déjà effective et s'appuie sur des critères morphologiques facilement accessibles à l'observation microscopique, le tout standardisé et intégré dans des grilles de score. Cette façon de procéder encore rudimentaire sera bientôt derrière nous. Le professeur Jouannet évoque la mise au point de techniques de vidéo-microscopie en continu pour suivre le développement des embryons dans les enceintes de culture ainsi que de microtechniques permettant de caractériser les propriétés métaboliques, transcriptomiques, protéomiques et épigénétiques de l'embryon préimplantatoire, qui permettront d'identifier encore mieux les embryons les plus aptes à se développer normalement . Le message est on ne peut plus clair : il s'agit de disposer du maximum de marqueurs permettant de passer au crible chaque embryon afin d'éliminer par avance tous ceux qui seraient jugés déficients et ne garder que les plus aptes. Autant dire que le taux de surconsommation et de sacrifice embryonnaires n'est pas prêt de décroître.
Big Brother is watching you
Cette perspective de tri sophistiqué des embryons ne relève pas de la science fiction. L'agence d'information Genethique nous apprenait ainsi cette année que le centre d'assistance médicale à la procréation du CHU de Nantes est équipé depuis février 2011 d'un nouvel appareil d'incubation dont le rôle est de surveiller la croissance et le métabolisme des embryons issus de fécondation in vitro aux tout premiers instants de leur développement. Cet incubateur high tech mis au point par une société danoise est une espèce de grand œil alliant robotique, informatique et imagerie. Le dispositif surveille chaque embryon sous tous les angles et peut récolter jusqu'à 5000 photos consultables. Une large étude coordonnée actuellement par l'université d'Arrhus au Danemark et réunissant 45 centres d'AMP en Europe et aux Etats-Unis permet d'affiner le système en temps réel en améliorant les critères de sélection de l'embryon. Il s'agit d'élire celui qui réunira toutes les qualités nécessaires pour s'installer dans l'utérus selon les propres termes du Dr Thomas Fréour, biologiste de la reproduction à Nantes.
Mais pour que cette nouvelle procédure soit optimale, il faut lui associer un programme de congélation embryonnaire efficace selon Pierre Jouannet qui a toujours milité pour l'absence de contraintes en la matière. Or, là encore, les techniques ont largement évolué depuis la première cryoconservation d'un embryon surnuméraire en 1984. Les processus de congélation-décongélation classique sont en effet grevés d'un pourcentage non négligeable de pertes embryonnaires. Or, la nouvelle technique de vitrification ou congélation ultra-rapide des embryons, associée à un taux de survie des embryons largement supérieur à la congélation lente, permettrait d'éviter de perdre les embryons les plus vigoureux qui ont été sélectionnés. Si la technique de vitrification des ovocytes dont on a beaucoup parlé ces derniers mois vient d'être autorisée par la nouvelle loi de bioéthique du 7 juillet 2011, on oublie qu'elle pouvait déjà être appliquée pour les embryons depuis novembre 2010. L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris annonçait d'ailleurs le 8 août dernier la première naissance de jumelles nées par vitrification embryonnaire dans notre pays. Des dizaines de grossesses issues d'embryons vitrifiés y sont actuellement en cours.
Embryons humains certifiés conformes
Résumons-nous. Pour augmenter les taux de réussite des FIV tout en évitant le risque de grossesses multiples, il est probable que l'ensemble des centres d'AMP modifient radicalement leurs pratiques dans un avenir proche. Le protocole consistera à vitrifier plusieurs embryons obtenus après fécondation in vitro et à opérer le transfert sélectif d'un premier embryon de qualité optimale par e-SET. En cas d'échec, il suffira d'en sélectionner un second dans le stock restant. Seuls les embryons identifiés comme étant aptes à s'implanter seront conservés, ceux de mauvaise qualité seront d'office détruits ou donnés aux chercheurs après consentement des parents. Il est à prévoir que les stratégies de recherche déployées par les labos et industriels des procréations artificielles vont massivement investir le champ de l'amélioration des moyens de détection de la qualité embryonnaire .
Il s'agira aussi d'étiqueter au mieux les embryons sélectionnés. Une équipe espagnole composée de biologistes, d'informaticiens et d'électroniciens vient ainsi de mettre au point un code-barre miniaturisé pour identifier les embryons produits en laboratoire. Ce dispositif en silicium introduit dans chaque embryon permettrait de répertorier chacun d'entre eux et de les classer selon les critères retenus.
Parce qu'il aggrave le traitement purement instrumental des embryons et porte irrémédiablement atteinte à la dignité de la vie humaine, le nouveau protocole e-SET est totalement inacceptable. En classant les embryons pour extraire celui qui sera jugé meilleur que les autres, en disqualifiant les êtres humains qui ne satisfont pas les normes émises par les sociétés savantes, l'assistance médicale à la procréation est devenue une pratique intrinsèquement eugéniste. Cette évolution inquiétante n'était-elle pas en germe dans l'invention de la technique de fécondation in vitro ? Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la FIV a retiré l'être humain à peine conçu de son habitat naturel, permettant d'en disposer en dehors du corps de la femme. En créant ce rapport de domination entre sujets producteurs et objet produit, la procréation artificielle ne pouvait qu'exposer l'embryon ainsi fabriqué à un contrôle qualité toujours plus poussé. L'éthique, dépassée par les avancées techniques, semble aujourd'hui complètement impuissante à endiguer le pouvoir que l'homme s'arroge sur l'origine de la vie.
[1] Pierre Jouannet, Patricia Fauque, Catherine Patrat, Peut-on réduire le risque de grossesse multiple après fécondation in vitro ? , Bulletin épidémiologique hebdomadaire n. 23-24, 14 juin 2011, p. 278-281.
[2] McLernon DJ, Harrild K, Bergh C, Davies MJ, De Neubourg D, Dumoulin JC et al. Clinical effectiveness of elective single versus double embryo transfer: metaanalysis of individual patient data from randomised trials . BMJ. 2010; 341.
[3] Ibid.
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