La rédaction de l'article 9 du projet de loi bioéthique relatif au diagnostic prénatal est l'un des enjeux cruciaux de la révision de la loi de bioéthique. Pour la première fois est en effet posée la question d'une officialisation ou non par l'Etat de la sélection eugéniste des enfants à naître, et ce dans une indifférence quasi générale de l'opinion publique et du monde médiatique. Explications après les débats en seconde lecture qui viennent de s'achever au Sénat.
Pour éclairer les enjeux soulevés par la rédaction de l'article 9 du projet de la loi de bioéthique concernant le diagnostic prénatal, il est utile de commencer par faire un petit rappel historique.
La loi de bioéthique de 2004 toujours en vigueur à ce jour, reprenant les dispositions de celle de 1994, précise que le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le fœtus une affection d'une particulière gravité (...) précédé d'une consultation médicale adaptée à l'affection recherchée (article L. 2131-1 du code de la santé publique). Premier enseignement facile à tirer de ce libellé, à aucun moment n'est fait mention dans notre législation d'une obligation pesant sur le médecin de proposer de manière systématique à toute femme enceinte un examen de dépistage prénatal. Au contraire, le législateur avait à l'époque procédé à la modification solennelle du Code civil qui condamne depuis toute pratique eugénique tendant à l'organisation de la sélection des personnes (article 16-4 du Code civil).
Ce n'est qu'insidieusement que s'est instaurée dans la pratique médicale une généralisation et une systématisation des tests de DPN. Peu à peu s'est mise en place une stratégie de chasse au handicap dont les principales victimes sont les enfants à naître porteurs de trisomie 21. C'est pour dénoncer cette dérive de la médecine fœtale que le professeur Didier Sicard, encore à l'époque président du Comité consultatif national d'éthique, avait en février 2007 créé la stupeur en déclarant dans un grand quotidien : Osons le dire : la France construit pas à pas une politique de santé qui flirte de plus en plus avec l'eugénisme (...). La vérité centrale est que l'essentiel de l'activité de dépistage prénatal vise à la suppression et non pas au traitement. Ainsi ce dépistage renvoie à une perspective terrifiante : celle de l'éradication [1].
Nous le savons à présent, ce discours inouï à l'origine d'une onde de choc qui a traversé tout ce que la France compte d'autorités médicales, morales ou politiques, a influencé l'année suivante le Premier ministre dans sa lettre de saisine du Conseil d'Etat sur le réexamen des lois de bioéthique. François Fillon y marquait sa préoccupation, et ce au plus haut niveau de l'Etat, quant à un possible glissement eugéniste de la médecine prénatale : Les dispositions encadrant les activités (...) de diagnostic prénatal garantissent-elles une application effective du principe prohibant ‘‘ toute pratique eugénique tendant à l'organisation et à la sélection des personnes'' ? [2].
La réponse du Conseil d'Etat en mai 2009 a chassé tout doute à ce sujet. Reconnaissant pour la première fois que l'eugénisme pouvait être tout à la fois le fruit d'une politique délibérément menée par un Etat et le résultat collectif d'une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents [3], les sages faisaient état de la suppression de 96 % des enfants atteints de trisomie 21 – chiffre cité noir sur blanc dans leur rapport – rendant compte selon eux de l'existence d' une pratique individuelle d'élimination presque systématique . La conclusion de la Haute juridiction était on ne peut plus claire : Il convient de rester vigilant afin que la politique de santé publique ne contribue pas, par effet de système, à favoriser un tel comportement collectif mais permette au contraire la meilleure prise en charge du handicap .
Le constat était indiscutable, le sujet n'était plus tabou, et tout laissait penser que les débats allaient enfin conduire à une délibération collective visant à desserrer l'étau du DPN pesant sur les professionnels de la naissance et leurs patientes. Le rapport final des Etats généraux de la bioéthique qui paraissait dans la foulée de l'étude du Conseil d'Etat n'affirmait-il pas de son côté que la solution au handicap passe exclusivement par la recherche sur les maladies et non par l'élimination [4] ?
Malheureusement, ce début de prise de conscience tant de nos plus hautes autorités morales que des jurys citoyens n'a pas trouvé de traduction concrète au niveau du ministère de la santé, concerné au premier chef. Au contraire, le jour même de la clôture des Etats généraux de la bioéthique à Paris, une étape insupportable était franchie avec la promulgation des arrêtés Bachelot du 23 juin 2009 obligeant les médecins à proposer systématiquement à toute femme enceinte la possibilité de recourir au nouveau dépistage prénatal combiné de la trisomie 21 par prise de sang et échographie au premier trimestre de la grossesse. L'article 9 du projet de loi présenté par le gouvernement en novembre 2010 s'inscrivait lui aussi dans cette logique, laissant présager le pire.
Où en est-on aujourd'hui ?
Il faut reconnaître que plusieurs parlementaires courageux de l'UMP ont su faire évoluer le texte initial en apportant des inflexions positives. Des députés sont ainsi parvenus en première lecture à faire adopter plusieurs mesures qui concourent à rééquilibrer l'information délivrée aux parents.
En premier lieu, en cas de risque avéré, la femme enceinte et, si elle le souhaite, l'autre membre du couple (...) reçoivent, sauf opposition de leur part, des informations sur les caractéristiques de l'affection suspectée, les moyens de la détecter et les possibilités de prévention, de soin ou de prise en charge adaptée du fœtus ou de l'enfant né. Une liste des associations spécialisées et agréées dans l'accompagnement des patients atteints de l'affection suspectée et de leur famille leur est proposée . L'information ne saurait en effet être froidement scientifique mais requiert, pour donner une chance à la vie, d'inclure des regards issus de réseaux associatifs directement concernés. Une réelle avancée quand on sait que la précipitation et la solitude ne sont jamais bonnes conseillères dans ces circonstances de grande vulnérabilité pour les couples. Toujours en première lecture, les députés ont également pris soin de mentionner que le médecin aurait dorénavant le devoir de rappeler à sa patiente le caractère non obligatoire de ces examens , laquelle a en outre le droit de s'opposer à l'information relative au DPN (le médecin doit alors inscrire ce refus dans le dossier médical de la patiente).
Lors de la seconde lecture, les députés, tout en confirmant les précédentes mesures, ont adopté un amendement du rapporteur Jean Leonetti disposant que toute femme enceinte reçoit (...) une information loyale, claire et appropriée sur la possibilité de recourir, à sa demande, à des examens de biologie médicale et d'imagerie permettant d'évaluer le risque que l'embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de sa grossesse , marquant leur souci de redonner une liberté de décision à la patiente. Toujours pour préserver l'équilibre entre la femme enceinte et le médecin dans le dialogue médical, la sénatrice Anne-Marie Payet a fait adopter mercredi 7 juin en seconde lecture, avec sa collègue Marie-Thérèse Hermange, un amendement qui substitue au terme appropriée celui d' adaptée à sa situation pour qualifier l'information apportée par le médecin à la femme enceinte. L'objectif louable étant là encore de ré-humaniser la relation médicale dont on sait qu'elle a été mise à mal ces dernières années. Car la tentation actuelle que l'on observe chez certains professionnels de la grossesse est l'insistance déplacée qu'ils déploient à l'encontre des femmes pour leur faire subir des examens contre leur volonté comme le montre l'histoire de ce couple informé par un simple courrier que leurs futurs jumeaux étaient à risque : Ma femme était effondrée, se souvient Charles. Le gynécologue nous a poussés très fortement à faire une amniocentèse. Or, nous ne voulions pas faire cet examen. Malgré notre refus, le médecin s'est montré particulièrement intimidant et manipulateur [5].
D'une manière générale, ces mesures appellent une véritable révolution en matière d'annonce du handicap qui doit se traduire par une formation de qualité de tous les professionnels de la grossesse. Pour que ces bonnes intentions ne restent pas lettre morte, il est donc primordial que les sociétés savantes édictent des recommandations de bonnes pratiques conformes à la volonté du législateur.
Pour importantes que soient ces avancées, elles risquent pourtant de ne pas suffire si l'on veut véritablement amorcer une désescalade salutaire. Car cette course à la traque du handicap a déjà produit par effet de système une dynamique d'incitation dans le choix des femmes et des couples, conduisant à des décisions allant quasiment exclusivement dans le sens d'une interruption médicale de grossesse en cas de risque avéré de trisomie 21. Le fait que les sages-femmes soient réquisitionnées dans le nouveau projet de loi comme nouveaux prescripteurs des tests de dépistage nous semble incohérent. Le législateur voudrait-il dépister les 4% d'enfants trisomiques qui passent chaque année à travers les mailles du filet qu'il ne procéderait pas autrement.
Pour opérer un réel virage, le dispositif de dépistage ne doit plus être coercitif à l'égard des professionnels de santé. C'est ce qu'avaient parfaitement compris les députés en première lecture lorsqu'ils avaient recommandé que les examens de biologie et d'imagerie ne soient proposés que lorsque les conditions médicales le nécessitent .
Il s'agissait de répondre à l'une des propositions phares du Comité pour sauver la médecine prénatale qui, par la voix de son président le docteur Patric Leblanc, gynécologue-obstétricien au CHR de Béziers, demandait qu'on rende à sa profession la liberté de prescription des tests de dépistage au lieu de les contraindre à les proposer systématiquement sans aucun critère objectif de ciblage : Il s'agit de refonder le système sur la confiance accordée aux praticiens qui doivent être responsables de proposer les tests, en conscience, s'ils les jugent utiles, en fonction de la situation de santé de la femme (...) Tous les pays qui proposent un dépistage retiennent un critère objectif, que ce soit l'âge ou les antécédents : les femmes enceintes ne se trouvent pas en situation d'égalité face au risque de trisomie 21 . Il est infondé et dévalorisant de nous contraindre à le proposer systématiquement... . Pourquoi en effet inquiéter une jeune maman de moins de 25 ans dont le risque d'atteinte de l'enfant qu'elle porte est très faible en comparaison de celui d'une mère de 40 ans ?
Une mesure en outre complètement conforme aux bonnes pratiques médicales comme l'a remarquablement démontré le docteur Leblanc en commentant le Code de déontologie médicale[6]. En effet, le texte précise que le médecin est libre de ses prescriptions qu'il estime les plus appropriées en la circonstance (art. R. 4127-8). Plus loin est précisé que le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information appropriée à son état (art. R. 4127-35). Un aspect de la noblesse du métier de médecin est d'ajuster sa prescription à l'examen objectif de l'état du patient. A ce titre, un test de dépistage ne peut être recommandé qu'à partir d'un certain seuil de risque et non de manière aveugle. Patrick Leblanc rappelle avec justesse que la distinction qu'un médecin doit établir entre ses patients n'est ni un défaut d'équité, ni un manquement au principe de justice mais bien une adaptation personnelle du médecin à chaque cas qui est au fondement de l'art médical .
Une vraie information doit en effet s'adapter à la situation réelle de chaque femme enceinte. L'amendement de la sénatrice Payet déjà cité doit-il être lu comme une façon de rétablir la marge de manœuvre du médecin ? Ou sera-t-il tenu pour rien ?
Notre crainte réside bien dans l'obligation d'information qui pèse sur les médecins et les sages-femmes qui doivent proposer les tests de DPN à toute femme enceinte . Le projet de loi en l'état risque donc de donner force de loi à l'arrêté ministériel du 23 juin 2009, faisant fi de l'indignation de nombreuses personnalités morales, professionnelles et associatives qui se sont exprimées depuis deux ans. Ce serait offrir pour la première fois une assise légale aux pratiques eugéniques prénatales, et ce en rupture totale avec la législation de 2004. L'eugénisme de fait deviendrait un eugénisme de droit, institutionnalisé par l'Etat et en contradiction flagrante avec l'article 16-4 du Code civil.
Que faire ?
Afin de demeurer en cohérence avec la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, avec le code de déontologie médicale, lui-même intégré au code de la santé publique, avec le Code civil lui-même qui proscrit toute sélection des individus, avec les différentes mesures positives apportées par les parlementaires de la majorité depuis plusieurs mois, nous proposerions volontiers à la prochaine commission mixte paritaire qui sera chargée à partir du 15 juin de valider définitivement la rédaction de l'article 9 de réfléchir à la formulation suivante :
Une information relative à des examens de biologie médicale et/ou d'imagerie, loyale, claire et adaptée à sa situation, peut être proposée, dans le respect des articles R. 4127-8 et R. 4127-35 du code de la santé publique, à la femme enceinte au cours d'une consultation médicale dans le but de rechercher si l'embryon ou le fœtus présente une affection d'une particulière gravité.
Nous attendons de nos élus un signal fort qui traduise le changement de regard de la société sur les enfants à naître porteurs de handicaps.
[1] Jean-Yves Nau, La France au risque de l'eugénisme ? , Grand entretien du Pr Sicard, Le Monde, 5 février 2007.
[2] François Fillon, Lettre de mission du Conseil d'Etat sur la réalisation d'une étude préalable au réexamen de la loi relative à la bioéthique, n. 206/08/SG, 11 février 2008.
[3] Conseil d'Etat, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, mai 2009, p. 40.
[4] Rapport final, Etats généraux de la bioéthique, 1er juillet 2009, pp. 40-41.
[5] Sylvie Dellus, Le dépistage de la trisomie 21. On en fait trop ? , La question du mois, Santé magazine, septembre 2010.
[6] Dr Patrick Leblanc, Un amendement qui renforce le droit d'information du patient et la liberté du médecin , Le Quotidien du Médecin, 15 mars 2011.
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