Déjà rendu fiévreux par la crise économique et la perspective d’une rentrée très difficile, notre repos estival ne peut qu’être troublé par les évènements de Syrie. Particulièrement meurtrière et dévastatrice, la bataille d’Alep fait monter l’angoisse sur le sort de sa population et notamment des chrétiens pris au piège d’une atroce guerre civile et religieuse entre musulmans sunnites et la minorité alaouite (haïe et méprisée des sunnites), elle-même soutenue par ses alliés chiites armés par l’Iran.
Face à un dictateur sanglant mais qui se bat le dos au mur avec ses partisans, le scénario de la lutte d’une « opposition démocratique » qu’on nous a déjà servi dans les précédentes explosions du « printemps arabe », convient sans doute aux informations télévisées, mais ne résiste pas à un examen des forces en conflit. Assurément, le régime de Bachar al-Assad est rien moins que démocratique et ne recule devant aucune férocité pour survivre avec sa communauté alaouite et certains clans qui lui sont liés, mais prétendre que ses adversaires œuvrent à la « transition démocratique » est un conte destiné à l’opinion publique occidentale. Le fait est qu’il est en train de s’effondrer devant la publication de certaines vidéos par les insurgés eux-mêmes. Quand ces « combattants de la liberté » sunnites syriens et étrangers font des prisonniers d’autres confessions et qu’ils les forcent à crier « Allah Akbar ! » devant la caméra, on doute que ce soit pour instaurer ce que nous appelons la liberté. Plus encore, la communauté internationale a été secouée par une vidéo montrant l’exécution sauvage de prisonniers partisans d’Assad par l’Armée syrienne libre le 31 juillet. C’est d’ailleurs aux belligérants des deux camps qu’Amnesty International demande de cesser les « exécutions sommaires », en précisant que « les deux parties achèvent de façon délibérée et illégale » leurs prisonniers.
Les pays qui fournissent des armes aux insurgés, à commencer par l’Arabie Saoudite et le Qatar, ne fonctionnent certainement pas comme des démocraties. Et ils ne le font pas plus pour des raisons « humanitaires » que les pays qui soutiennent jusqu’à présent Assad sur la scène internationale, la Russie et la Chine, membres du Conseil de sécurité de l’ONU, ou sur le terrain, l’Iran.
Le soutien réitéré à l’ASL (Armée syrienne libre) de certains membres de la Ligue arabe, des Etats-Unis et de leurs alliés occidentaux, la France notamment, rend quelque peu hypocrites les lamentations sur le bain de sang à l’œuvre à Alep et ailleurs. A l’exception des Kurdes du nord quasi-autonomes (une pierre dans le jardin de la Turquie) qui tireront peut-être leur épingle du jeu, les minorités (alaouites, chrétiens, druzes, ismaéliens, chiites et kurdes d’ailleurs ) qui vivaient dans une relative sécurité sous le régime de Assad comme sous celui de Saddam Hussein en Irak (et par un jeu analogue d’équilibre de la minorité au pouvoir face à la majorité sunnite), n’ont rien de bon à attendre de la « libération » promise par la majorité sunnite, d’autant moins que l’Occident semble depuis déjà longtemps les avoir passées aux profits et pertes de l’Histoire. Quand celle-ci tirera le bilan de la guerre « civile » en Syrie, elle y reconnaîtra un épisode d’un conflit international, celui que se livrent de loin les grandes puissances, sur l’échiquier brûlant du Moyen-Orient où s’affrontent directement l’Iran chiite, les pays arabes sunnites, la Turquie et Israël. «On ne peut plus dire que c’est une affaire intérieure», a reconnu le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, interrogé par RTL à l’occasion de l’accès de la France, ce mois d’août, à la présidence du Conseil de sécurité de l’ONU.
« Ce n’est pas en fournissant des armes que la démocratie arrivera en Syrie » avait déclaré Mgr Jean-Clément Jeanbart, l’héroïque archevêque d’Alep des gréco-catholiques, à l’issue d’une réunion des évêques catholiques de Syrie, le 26 juillet, exhortant à l’ouverture de négociations. Le pape Benoît XVI leur a fait écho à l’angélus du 29 juillet : « Que l'on mette fin à ce bain de sang ! » s’est-il écrié en exhortant tous les acteurs à «n'épargner aucun effort, y compris au niveau international, pour trouver dans le dialogue et la réconciliation une solution politique conduisant à la paix ».
Hélas, la mission de paix de l’ONU et de la Ligue arabe est un fiasco total. En conséquence, Kofi Annan a donné sa démission de médiateur de l’ONU et de la Ligue arabe en Syrie, a annoncé Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, le 2 août. Et d’ajouter : « Tragiquement, la spirale de la violence continue en Syrie. Le gouvernement et les forces de l'opposition continuent de montrer leur détermination à accroître la violence ».
Tous les voisins de la Syrie sont naturellement déstabilisés par le conflit, ne serait-ce que par l’afflux de réfugiés en Turquie, en Irak, en Jordanie, au Liban (où ils sont déjà plus de 34 000 !). C’est surtout pour ce petit pays, dont l’équilibre unique mais précaire est sans cesse menacé par des tempêtes régionales, qu’on nourrit de nouvelles craintes. Comment ne pas voir un signe fort de sollicitude dans la visite annoncée et maintenue contre vents et marées du pape Benoît XVI au Pays du Cèdre le mois prochain ?
Philippe Oswald