L’Allemagne est l’objet de toutes les admirations et de toutes les détestations européennes. C’est le 1er de classe, un rien crâneur, qui donne des leçons à tout le monde mais ne veut pas frayer avec les cancres qui l’entourent, surtout ceux du sud, au fond de la salle, près du radiateur, suspects par-dessus le marché de le racketter à la sortie !
Rien là de très nouveau puisqu’on enviait déjà le « miracle allemand » il y a cinquante ans. La recette teutonne n’a pas changé : travail, effort, rigueur (le mot à ne jamais prononcer en France !), concertation, vision à long terme…bref tout ce qui fait défaut aux cigales latines aujourd’hui bien dépourvues. La France, qui s’apprête à vivre une austérité d’autant plus impitoyable qu’elle s’annonce brouillonne et contradictoire, ressemble à l’élève paresseux qui tente in extremis de copier le voisin faute d’avoir pris la peine d’acquérir le vrai savoir au prix de réformes structurelles et d’une véritable ascèse.
Il est pourtant un domaine où la situation de l’Allemagne n’a rien d’enviable : la démographie. Sa natalité, déjà plombée depuis des décennies, s’est carrément effondrée l’an dernier, la mettant à son plus bas niveau depuis la chute du troisième Reich : 663 000 naissances l’an passé contre 678 000 en 2010, un chiffre déjà misérable, surtout si on le compare au pic de 1964 où le total cumulé de la RFA et de la RDA dépassait 1 350 000 nouveau-nés. Et cela, à l’époque, sans l’apport substantiel d’enfants d’immigrés qui constituent aujourd’hui le tiers des effectifs !
Voilà plus de quarante ans que l’Allemagne enregistre plus de décès que de naissances chaque année. Les démographes estiment que le pays, actuellement le plus peuplé d’Europe (82 millions d’habitants), pourrait tomber à moins de 70 millions au milieu du siècle…autant dire après-demain. La France passerait devant l’Allemagne dont le déclin économique suivrait, tôt ou tard, le déclin démographique : « Il n’est de richesses que d’hommes » (Jean Bodin).
Mais ce scénario appelle cependant des réserves et un bémol. Des réserves : la politique familiale vigoureuse mise en œuvre par la chancelière Angela Merkel (elle-même sans enfant) pourrait à la longue sinon renverser la tendance, du moins l’infléchir, surtout si la plus grande générosité des prestations familiales depuis qu’elle est chancelière s’accompagnait d’une vraie campagne médiatique pour revaloriser l’image de la mère de famille. « L’homme ne vit pas seulement de pain » : le regard porté sur la mère qui choisit de partager son temps entre sa famille et sa profession, mais en favorisant la première, a sans doute autant et plus d’importance que les considérations budgétaires pour décider une femme à enfanter.
La seconde réserve concerne l’impact de l’immigration de part et d’autre du Rhin : en Allemagne, l’afflux depuis la crise d’une immigration européenne (Polonais, Hongrois, Roumains, Bulgares, Espagnols, Grecs) et le retour de Turcs dans leur pays devenu plus attractif, non seulement contribue à la natalité mais fournit une main-d’œuvre mieux assimilable et plus qualifiée que ne le ferait une population non européenne (le tabou qui règne en France sur cette question ne doit pas masquer cette évidence).
D’où ce fort bémol : si la moins mauvaise santé de la natalité française est due, elle aussi, pour une bonne part, à l’immigration, celle-ci n’est pas la même que celle d’Outre-Rhin. A l’échec criant de l’intégration de populations principalement maghrébines et musulmanes dans l’Hexagone s’ajoute pour nous le lourd handicap de l’absence d’un apprentissage digne de ce nom, l’une des grandes forces de notre voisin. Si la population française dépassait effectivement celle de l’Allemagne en 2055 comme le prévoit l’Ined (étude publiée le 29 mars 2012), cette population serait-elle suffisamment homogène et formée pour pouvoir rivaliser avec celle d’Outre-Rhin ? On ne voit pas qu’on en prenne le chemin.
Philippe Oswald