Non ce n'est pas une réédition du roman d'Alexandre Dumas, mais la piteuse issue d'une piteuse affaire au terme d'une procédure non moins piteuse.
Jacques Chirac n'assistera pas à son procès
Le rapport médical déposé par les avocats de Jacques Chirac devant le tribunal correctionnel de Paris est formel : la sévérité de l'atteinte neurologique dont il souffre le rend inapte à répondre aux questions sur son passé et lui fait commettre d'importantes erreurs de jugement .
Contrairement aux épisodes précédents qui, d'incident de procédure en manœuvre dilatoire, ont continuellement permis de repousser l'échéance, il n'y aura pas de contre-expertise et le procès devant le Tribunal correctionnel de Paris qui vient de s'ouvrir se poursuivra en son absence.
Prenons-en acte. Mais non sans constater qu'il a fallu près de vingt ans pour en arriver là !... Quelle qu'en soit l'issue, l'affaire laissera un puissant arrière-goût d'amertume.
De très vieilles affaires
Il y a onze ans, en septembre 2000, paraissaient les explosives confessions Méry , du nom de ce promoteur immobilier qui dévoilait alors ce qu'était le système du financement du RPR et qui accusait Jacques Chirac d'en être au cœur. À partir de là, près d'une dizaine d'affaires ont été instruites qui avaient pour point commun de remonter à la mairie de Paris (affaire des HLM de Paris, multiples affaires de marchés publics, affaire des faux électeurs, affaire des faux chargés de mission, affaire des emplois fictifs, etc.) ; les deux dernières nous intéressent encore puisque ce sont elles qui font l'objet de l'actuel procès.
On sait qu'elles ont déjà donné lieu à des condamnations en 2004, notamment celle d'Alain Juppé en sa qualité de secrétaire général du RPR et de maire-adjoint chargé des finances. Les jugements alors rendus au vu des pièces qui figuraient dans les dossiers et des témoignages recueillis ne laissaient aucun doute à quiconque sur l'implication du maire de Paris et président du RPR.
Une immunité opportune
Seulement voilà, entretemps il était devenu Président de la République. Pendant la durée de ses deux mandats, de 1995 à 2007, il a systématiquement refusé de se rendre aux convocations des juges d'instruction. Au terme d'une interminable guérilla judiciaire et de quelques acrobaties juridiques sur la suspension de la prescription, la Cour de Cassation a fini par lui concéder une immunité temporaire, confirmée ensuite par le Conseil Constitutionnel et entérinée par la révision constitutionnelle de février 2007. Le jugement des affaires qui l'impliquaient a donc été gelé jusqu'à la fin de son deuxième mandat.
On aurait pu penser que la réouverture des dossiers serait rapide puisque tout avait déjà été instruit en long et en large. Première erreur ! Les juges d'instruction ne se sont pas pressés : Jacques Chirac n'a été inculpé qu'en novembre 2007. Ensuite les avocats ont utilisé toutes les ficelles de la procédure pour gagner du temps, et personne ne les en a empêchés, de sorte que les renvois devant le tribunal correctionnel n'ont été prononcés qu'en octobre et décembre 2009, donc deux ans et demi après qu'il fût redevenu un justiciable ordinaire. Allait-on ouvrir le procès immédiatement ? Seconde erreur ! Il a encore fallu attendre l'audience pendant près de deux ans... Il est vrai que dans l'intervalle, certains des co-prévenus avaient posé une question prioritaire de constitutionnalité (la fameuse QPC) sur une disposition du code pénal ; en vain d'ailleurs.
Une issue forcément insatisfaisante
Quelle que soit l'issue de ce procès, personne n'en sortira grandi :
- ni l'intéressé qui, le temps passant et sa maladie gagnant, n'est plus en mesure de répondre ;
- ni la justice dont l'exaspérante lenteur mine l'autorité et dont le verdict, quel qu'il soit, n'aura plus aucune portée (la comparaison avec le caractère expéditif mais efficace du tribunal de New-York dans l'affaire DSK ne tourne pas à notre avantage) ;
- ni la vie politique française puisque, une fois de plus, prédominera dans l'opinion cette idée terriblement néfaste que ses personnalités les plus en vue bénéficient d'une immunité de fait qui leur permet de passer entre les goutes et de toujours surnager.
On a la justice qu'on mérite
La nôtre n'est pas brillante et ce n'est pas d'abord une question de moyens ; plutôt l'absence de volonté collective de trancher les litiges et de régler le sort des accusés dans des délais raisonnables, quels que soient leur statut et leur notoriété, de sorte que justice soit rendue de façon effective.
À force de multiplier les arcanes de procédure qui enlisent les procès et y introduisent le plus grand désordre (désastreuse QPC à cet égard, devenue l'aubaine des chicaneurs de tout poil !), à force d'ergoter sur les détails de forme au détriment de l'essentiel, c'est-à-dire du fond qui est la seule raison de recourir au juge, à force aussi – il faut bien le dire malgré les discours convenus – de médiocrité de nombre de ses agents et auxiliaires, plus prompts à se mettre en scène ou à bétonner leur corporatisme qu'à exercer leurs fonctions avec compétence, promptitude et sagesse, comment s'étonner que la majorité de nos concitoyens n'aient plus confiance en elle et qu'ils s'en moquent ? Et comment ne pas se dire que son état appelle des remises en cause très profondes ?
Que dirait-on d'une médecine qui soignerait les maladies des hommes comme la justice soigne les maux de la société ? Voilà une vraie question dont les candidats à l'élection présidentielle pourraient se saisir. Mais est-il encore temps ?
Photo : © Wikimédia Eric Pouhier sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 2.5 Generic
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