Troisième volet de notre étude sur le quinquennat écoulé en matière de respect du droit à la vie : l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Contrairement aux questions de bioéthique et d’accompagnement des malades en fin de vie, on peut estimer que le bilan de la majorité est nettement négatif.
Un état des lieux alarmant
Avec 222 800 IVG pratiquées en 2008 et 222 1000 en 2009 selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS), on peut dire que l’avortement s’est installé durablement dans le paysage français et que le nombre d’actes pratiqués annuellement plafonne à des niveaux élevés si on le compare à d’autres Etats européens[1]. Le taux d’IVG concerne chez nous 15 femmes âgées de 15 à 49 ans pour mille, très largement au-dessus de l’Allemagne proche de 6 pour mille. En plus de notre voisin outre-Rhin qui a la plus faible fréquence de recours à l’avortement en Europe avec l’Italie, la France surclasse également la Grèce, les Pays-Bas, le Portugal, la Belgique, la Finlande, la Lituanie, l’Espagne, la Slovénie, la République tchèque, le Danemark, la Slovaquie et même le Royaume-Uni. Seuls la Lettonie, la Hongrie, la Bulgarie, la Suède, la Roumanie et l’Estonie font pire. Sans surprise, les taux les plus élevés se retrouvent dans les départements d’outre-mer, d’Ile-de-France et du Sud-Est de la France.
La DRESS fait état de statistiques très élevées chez les 20-29 ans avec respectivement des taux de 22 IVG pour mille dans la tranche des 20-24 ans et 27 pour mille dans celle des 25-29 ans, alors même que selon le dernier baromètre santé 2010 c’est justement cette population qui emploie le plus une méthode contraceptive (plus de 91 %). On a enregistré environ 12 000 IVG annuelles en 2008 et 2009 chez les 15-17 ans, les jeunes filles ayant une propension importante à recourir à l’avortement en cas de « grossesse non désirée » selon le jargon officiel. En comparaison, les jeunes Britanniques du même âge gardent deux fois plus leurs enfants alors même que les aides sociales sont moins développées que chez nous. La DRESS confirme ainsi l’estimation de l’Institut national d’études démographiques (INED) selon laquelle ce ne sont pas moins de 4 Françaises sur 10 qui auront recours à une IVG au moins une fois dans leur vie féconde.
L’autre information nouvelle révélée par la DRESS l’année dernière est l’explosion en France des IVG médicamenteuses, surtout en médecine libérale. Ainsi en 2009 l’IVG médicamenteuse a supplanté pour la première fois la méthode chirurgicale, la DRESS faisant état cette année-là en métropole de 108 247 IVG médicamenteuses contre 101 021 IVG « classiques ». Depuis que cette méthode a été autorisée en cabinet de ville par la loi Aubry du 4 juillet 2001, on note même qu’une IVG médicamenteuse sur 5 y est réalisée, soit 10% du nombre total d’avortements (22 702 sur 222 100).
Une fuite en avant idéologique
Face à des statistiques alarmantes qui cachent une multitude de drames humains, la droite a perdu une précieuse occasion de mener une réflexion novatrice pour permettre aux femmes d’éviter l’IVG. Au contraire, les responsables politiques de l’actuelle majorité n’ont eu de cesse de réquisitionner de nouveaux personnels pour répondre à une demande qui s’emballe.
Deux mesures sont emblématiques de cette fuite en avant idéologique. Le gouvernement a d’abord revalorisé à plusieurs reprises le forfait IVG afin de rendre financièrement attractive cette pratique pour les établissements publics et privés qui ont tendance à la délaisser. Quel économiste de la santé nous dira le coût faramineux de ce choix pour les comptes de l’assurance maladie ? Par ailleurs, avec le manque chronique de médecins effectuant des IVG en raison du départ des générations militantes et de la multiplication des professionnels objecteurs, les députés UMP ont tenté à deux reprises d’autoriser les sages-femmes à pratiquer les IVG médicamenteuses. Heureusement, le Conseil constitutionnel a à chaque fois annulé le dispositif pour vice de forme. Toutefois, on sait bien qu’il ne s’agit que d’une question de temps pour que cette mesure soit de nouveau à l’ordre du jour au Parlement, soit à l’initiative de la droite si elle était en capacité de gouverner en juin prochain, soit à l’initiative de la gauche qui milite également fortement en sa faveur.
D’une manière générale, la droite aura plus que malmené la profession des sages-femmes ces dernières années. La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) les a habilitées à prescrire l’ensemble des contraceptifs hormonaux, à poser les implants et insérer les stérilets. La nouvelle loi de bioéthique en a fait les nouveaux prescripteurs des examens de diagnostic prénatal en les obligeant à informer systématiquement leurs patientes de l’existence de ces tests. En voulant les autoriser à pratiquer des IVG, c’est toute une profession qu’on souhaite faire basculer dans le plus grand silence. Depuis l’aube des temps, la vocation des sages-femmes est en effet d’accompagner la grossesse et d’accueillir la vie. C’est d’ailleurs l’avis d’une majorité de Français qui considèrent à 56% (contre 41%) que « ce n’est pas le rôle des sages-femmes de pratiquer l’interruption volontaire de grossesse » (sondage IFOP pour l’ADV, septembre 2008).
Harcèlement contraceptif ?
S’il fallait citer un seul point positif de ce quinquennat, on pourrait avancer que le discours des responsables politiques de droite a sembler évoluer sur la question de l’IVG, dorénavant présentée et reconnue comme un échec, une épreuve voire un drame pour les femmes. La tonalité de ces propos a eu le don d’irriter le Planning familial qui a rappelé en plusieurs occasions que l’IVG n’était pas une tragédie mais un droit des femmes acquis de haute lutte. Moyennant quoi, l’avortement ne devait pas être appréhendé comme une pratique qu’il faudrait réduire comme si c’était un mal mais vu comme une donnée structurelle normale de la vie sexuelle et reproductive des Françaises. Les femmes apprécieront l’humanité et la compassion qui se dégagent de ce genre de proclamation. Toujours est-il que la droite a reconnu pour la première fois, certes timidement, que l’avortement n’était pas un acte aussi anodin qu’on le dit et que ses conséquences sur la vie des femmes ne devaient pas être sous-évaluées.
Pour autant, la réponse à ce constat a une fois de plus complètement manqué le fond du problème. Elle a en effet consisté à promouvoir toujours plus de contraception – alors que la France est l’un des pays du monde où elle est le plus diffusée – et à diversifier au maximum les moyens proposés, certains étant en outre clairement abortifs. Emblématique de cette logique du tout contraceptif a été la bénédiction du ministre de l’Education Luc Chatel à la mise en place du Pass contraception par le Conseil régional d’Ile de France présidé par le socialiste Jean-Paul Huchon. Destiné aux lycéens, ce dispositif leur permet d’avoir accès gratuitement et à l’insu de leurs parents à des consultations médicales pour obtenir pilule, stérilet, implants et autres patchs pour une durée de 6 mois. Autre exemple qui illustre ce choix unidirectionnel en faveur de la contraception sensée enrayer la progression de l’IVG, la publication en 2010 par le ministère de la santé de plusieurs arrêtés ouvrant la possibilité aux infirmiers de renouveler des prescriptions de pilule datant de moins d’un an et l’autorisation accordée aux pharmaciens de dispenser des contraceptifs oraux lorsque la durée de validité d’une ordonnance médicale a expiré. Il n’est guère étonnant dans ce contexte du « tout pilule » que la députée UMP Bérengère Poletti vice-présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes ait proposé la délivrance gratuite et anonyme des contraceptifs oraux par les professionnels de santé et les pharmaciens, court-circuitant le rôle des parents et banalisant les relations sexuelles précoces.
Autant de mesures consternantes quand on sait que l’utilisation exponentielle des techniques contraceptives débouche sur un recours accru à l’IVG en cas d’échec – l’avortement apparaissant en définitive comme le meilleur moyen de finaliser son « projet contraceptif » – et qu’en outre 72% des Françaises qui subissent une IVG sont sous contraception (IGAS, Rapport 2010).
Une grande cause nationale ?
Dans ces conditions, il semble difficile à première vue d’envisager des perspectives d’amélioration, notamment en cas de victoire de la gauche aux prochaines présidentielle et législative. Pour autant, nous pensons que le respect du droit à la vie de l’enfant à naître doit devenir une grande cause nationale susceptible de rassembler des personnalités diverses comme on l’observe en Italie ou en Espagne.
Pour faire bouger les lignes, ne faudrait-il pas envisager la mise en œuvre d’Etats généraux de l’IVG sur le modèle de ce qui s’est passé en bioéthique et susciter dans le même temps la création d’une mission d’information parlementaire qui serait chargée d’auditionner des experts, juristes, philosophes, médecins, responsables d’associations ayant des points de vue différents sur la situation. Les religions devraient également être entendues pour apporter leur pierre à un débat qui ne peut plus longtemps rester au point mort. L’Eglise de France est particulièrement attendue par ses fidèles sur cette problématique. Revenir sur la loi Veil ne doit plus être un tabou. A ce titre, tout faire pour que les femmes enceintes évitent l’IVG doit devenir une urgence nationale. Le succès grandissant de la Marche annuelle pour la Vie témoigne d’un possible début de remise en cause du conformisme étouffant qui sévit sur ce sujet. Ce n’est pas le moment de baisser les bras.
[1] Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS), « Les interruptions volontaires de grossesse en 2008 et 2009 », n. 765, juin 2011.
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Tout a fait d'accord avec Catherine. J'avais aussi vu qu'en Iran depuis deja plusieurs années le gouvernement faisait un effort important pour contrôler les naissances. Par exemple, les jeunes mariés doivent obligatoirement consulter un spécialiste du contrôle de naissances. Resultat : ce pays qui devait depasser la Turquie en population a pu maîtriser sa croissance. Les journalistes et politiciens de pays musulmans devraient s'inspirer du modèle iranien. La forte croissance demographique au Moyen-Orien et en Afrique sera le probleme majeur de l'Europe et de la r&égion dans les pochaines années. Si rien n'est fait, on courre vers la catastrophe sociale et humanitaire. J'espère qu'un plan d'action sera mis en place tres rapidement par les Nations-Unies et les ONG dans ces pays. L'investissement de l'Europe serait aussi bienvenu.
Merci. C'est inquiétant car le mur du silence semble tellement haut, et pour le faire éclater, il faudra, un peu à l'image du Mur de Berlin, une mobilisation générale avec les barres à mines et les marteaux. La première fracture devra passer par les médias, toujours et plus que jamais mono-messages et complètement à l'ouest sur le sujet.
Voir le commentaire en entierC'est la Vie qui est bafouée 222 000 fois en 2010, sans que personne s'en inquiète, et les femmes flouées à qui l'on donne, au nom de la liberté, des objets de mort dans les mains sans même les mentions qui figurent sur de simples paquets de cigarettes ! Que fait l'Eglise ? Que font les autres religions ? Il faut se battre ! J'ai 35 ans, chrétien et j'incite tous les jeunes à sortir du murmure ! Ne nous laissons pas imposer une législation de mort que nous n'avons pas choisie ni voulue.
A noter que pour beaucoup, autour de moi, les critères éthiques seront les principaux critères pour choisir notre candidat pour l'élection présidentielle. A suivre...
Merci à Pierre-Olivier Arduin pour ce bilan de quinquennat.
Voir le commentaire en entierQuatre observations :
- M. Sarkozy aura peut-être évité une dégradation encore plus prononcée de l’éthique de la vie en France mais n’aura nullement marqué la « rupture » annoncée et le point de retournement dont le pays a impérativement besoin ; on peut se demander s’il aurait le courage de faire après 2012 ce qu’il n’a jamais entrepris après 2007 alors que sa majorité est percluse de libertarisme ;
- il doit être souligné que les instances traditionnellement vouées à la protection de l’éthique de la vie (hautes juridiction, comité d’éthique…) ne jouent plus leur rôle. Sur certains sujets, elles se sont même montrées mieux disposées encore que le législateur à de nouvelles transgressions. A noter toutefois un récent et positif arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne favorable à la protection de l’embryon, qui semble malheureusement être l’exception confirmant la règle ;
- M. Arduin a raison d’appeler de ses vœux un grand débat national sur l’IVG. La législation IVG se confirme comme étant le verrou le plus important à tout retournement de la culture de la vie en France. La loi IVG telle qu’elle est appliquée et non telle qu’elle a été prévue (le législateur n’a jamais entendu instaurer un « droit d’IVG ») pourrit à la base tout le débat bioéthique en France ; pourquoi se préoccuper du sort d’un embryon de quelques jours si l’on peut supprimer « sans problème » un fœtus d’une dizaine de semaines ? On ne voit actuellement personne en France qui ait l'autorité politique et morale pour imposer ce débat ou au moins le demander. Même l'Eglise catholique en France est en-deça de la main par rapport aux catholiques les plus engagés faute d'accord entre les évêques et au sein du clergé.
- il faut le dire clairement : tout électeur - et notamment tout électeur chrétien - qui donnera son vote à M. Hollande et au PS doit être conscient qu’il participera à la démolition en règle des derniers piliers de la bioéthique qui ont mieux résisté dans notre pays que dans les pays européens voisins. Le candidat socialiste a au moins le mérite d’annoncer la couleur : dérégulation toute ! Reste à savoir quel sera le moyen le plus efficace d’empêcher ce qui se profile comme une véritable régression de civilisation./.Osons le mot...