Vincent Lambert : euthanasie reprogrammée ?

L’équipe médicale du centre hospitalo-universitaire de Reims a annoncé vouloir engager ce vendredi 27 septembre une nouvelle concertation sur le retrait de l’alimentation assistée de Vincent Lambert, un jeune homme en état de conscience minimale à la suite d’un accident de la route il y a 5 ans. Le médecin responsable estime qu’à l’issue de cette discussion il lui reviendra de prendre une décision finale de « protocole de fin de vie ».

LE 10 AVRIL DERNIER, l’équipe du service de médecine palliative du CHU de Reims faisait le choix en accord avec l’épouse de Vincent Lambert d’arrêter son alimentation et de limiter son hydratation assistée (en accompagnant ce retrait d’une prise en charge contre la douleur) jusqu’à ce que mort s’en suive.

Opposés à cette décision à propos de laquelle ils n’avaient pas été consultés, les parents du jeune homme saisissaient le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ; les juges leur donnaient raison en ordonnant le 11 mai la reprise d’une alimentation et d’une hydratation normales au motif principal du non respect de la « procédure collégiale » prévue par la loi Leonetti.

La loi du 22 avril 2005 dispose en effet que « le médecin ne peut décider de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés sans avoir préalablement mis en œuvre une procédure collégiale » et que « la décision prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées s’il en a rédigé, l’avis de la personne de confiance qu’il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses proches » (décret du 6 février 2006). Or, en l’espèce, en l’absence de documents exprimant directement l’avis du malade, la position des parents ayant été ignorée et la décision ne leur ayant pas été explicitée, le juge avait estimé qu’il y avait eu une « atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».  

Deux types d’arguments s’opposent selon nous à ce que les médecins fassent à nouveau le choix d’une suspension de l’alimentation artificielle qui reviendrait à programmer l’euthanasie de leur patient.

Alimentation assistée : une technique proportionnée

Le premier découle de la portée éthique que constitue un tel acte de retrait chez un malade dans le coma. Victime d’un accident de circulation le 29 septembre 2008, Vincent Lambert est depuis lors dans un état de coma dit « pauci-relationnel » (où persiste une certaine capacité de communication non verbale en réponse à des sollicitations des proches).

Comme tous les patients qui se trouvent dans cette situation ou dans un état végétatif qualifié de persistant, Vincent Lambert respire spontanément, digère naturellement les aliments, présente toutes les fonctions métaboliques nécessaires à la vie. Si bien que contrairement à ce que l’on croit, ces patients ne sont pas en fin de vie. En raison du mauvais fonctionnement du réflexe de déglutition, ils ont seulement besoin de bénéficier d’une assistance nutritionnelle au même titre qu’un nourrisson prématuré par exemple.

Dans ce cas, l’alimentation et l’hydratation médicalement assistées ne cherchent pas à traiter une pathologie organique sous-jacente mais sont utiles pour pallier un problème simplement mécanique en répondant à un besoin de base de l’organisme. Le recours à ce geste permet donc de contourner un défaut de déglutition grâce à une sonde qui délivre les nutriments directement dans l’estomac.

Il en résulte que le retrait de cette assistance ne peut qu’aboutir à la mort par inanition du patient, et ce à plus ou moins brève échéance. La suspension de l’alimentation ne peut donc être décidée que dans le but de faire mourir le patient. Y consentir revient à perpétrer une euthanasie caractérisée, celle-ci étant définie comme l’acte ou l’omission pratiquée par un tiers dans l’intention de précipiter le décès d’un malade.  

Un soin ou un traitement ?

On a beaucoup polémiqué pour savoir si l’alimentation artificielle était un soin (sous-entendu toujours dû à la personne) ou un traitement (autrement dit susceptible d’être stoppé).

Quand bien même certains considèreraient cette technique comme un traitement, la loi du 22 avril 2005 et à sa suite, les codes de santé publique et de déontologie médicale, rappellent que seuls les traitements « inutiles, disproportionnés et n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie », c’est-à-dire relevant de « l’obstination déraisonnable », peuvent être interrompus. 

La culture du rebut

Or, manifestement, on ne peut en aucun cas parler ici d’acharnement thérapeutique ou de traitement « disproportionné et inutile » puisque justement l’alimentation assistée peut être poursuivie longtemps sans effet secondaire majeur et avec une grande efficacité pour soutenir la vie du patient dans le coma.

La nutrition médicalement assistée présente donc un caractère éminemment proportionné dans le cas de personnes dans le coma puisque celle-ci est en effet parfaitement adéquate pour atteindre son but : empêcher le patient de mourir d’inanition et de déshydratation. Elle n’est, ni n’entend être, une thérapie résolutive, mais constitue un soin ordinaire et proportionné pour la conservation de la vie (parfois hautement salvateur quand la personne se « réveille » de son coma des années plus tard).

En définitive, le risque ici est de considérer la mort, qui est la conséquence directe, prévue et inévitable d’une suspension de l’administration des nutriments chez un patient qui ne peut s’alimenter seul, comme étant voulue pour elle-même afin de supprimer une personne dont on juge médiocre la « qualité de vie ». On parvient ainsi à une position morale qui se fonderait sur la reconnaissance que, dans ce cas, la mort est meilleure que la vie, position qui porte en soi une dynamique de discrimination.

Si la condition mentale et physique jugée de faible qualité est à l’origine de la prise de décision, n’est-ce pas de la discrimination ? C’est sous le nom de « culture du rebut » que le pape François a dénoncé le 20 septembre devant des médecins catholiques cette mentalité qui consiste à « éliminer les êtres humains physiquement et socialement plus faibles » :

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« Toute personne (le Pape a évoqué explicitement les personnes âgées, les malades et les enfants à naître), même si elle est infirme ou à la fin de ses jours, porte en elle le visage du Christ. On ne peut pas les rejeter comme nous le propose la culture du déchet ! On ne peut pas les rejeter. »

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Si une personne dans le coma est privée de nourriture parce que sa mort apparaît comme plus enviable que sa vie, c’est une forme directe d’euthanasie. Il s’agit en définitive d’un jugement de valeur porté sur la vie d’une personne. Or, comme le rappelle le Pape, si « les choses ont un prix, les personnes ont une dignité » ! Dans le cas de Vincent Lambert, seul l’accompagnement patient et compétent sur le plan médical est légitime.

En cas de doute s’abstenir

Le deuxième type d’argument à opposer à une décision de retrait de l’alimentation est plus proprement « procédural ».

Afin de tenir compte de l’ordonnance rendue par le juge des référés, le médecin responsable a souhaité convoquer le 27 septembre l’ensemble des parties concernées pour entendre les différents points de vue qui s’opposent. Cette démarche est d’autant plus louable que le chef de service de l’unité de soins palliatifs s’est engagé à ce que les parents puissent se rendre à cette rencontre accompagnés de l’« expert » de leur choix tandis que l’épouse de leur fils viendrait avec le sien.

Dans cette affaire, il apparaît important d’écouter enfin sérieusement les arguments de ceux qui refusent la suspension de l’alimentation de Vincent Lambert. Là où nous ne suivons plus le médecin chef, c’est lorsqu’il explique aux médias qu’il prendrait au final seul sa décision comme la loi l’y autorise et engagerait un « protocole de fin de vie ». Est-ce à dire que quel que soit le résultat de la discussion, la procédure euthanasique est déjà programmée ?

Une mauvaise interprétation de la loi

Il nous semble ici qu’il y a en outre dans les propos du médecin une mauvaise interprétation de la loi qui est par ailleurs totalement silencieuse à propos des cas de conflits familiaux qui persisteraient après la délibération collégiale. En l’absence d’avis du malade (par définition incapable de s’exprimer et par ailleurs n’ayant désigné aucune personne de confiance ni rédigé de directive anticipée), rien ne permet de dire que l’équipe médicale pourrait passer outre la position d’une partie de la famille.

Il est vrai qu’est reconnue une responsabilité qui revient in fine au médecin dans le choix de stopper un traitement, mais ce point ne s’applique que lorsque la thérapeutique est jugée par tous les experts comme étant disproportionnée ou inutile et surtout cet avis prévaut sur celui d’un tiers lorsqu’il s’agit de préserver la vie d’un malade.

Ainsi même si l’ensemble des membres d’une famille demandait de suspendre un traitement jugé « scientifiquement et éthiquement » proportionné à l’état du malade, le médecin serait en droit de ne pas tenir compte de leur avis. Et c’est bien parce que la loi ne dit rien en l’espèce qu’il nous faut essayer de chercher d’autres sources pour répondre à ce dilemme.

D’abord, ne pas nuire

Or, la teneur des débats parlementaires, des auditions menées et surtout du rapport d’évaluation de la loi sont particulièrement propices pour débloquer la situation. Que dit par exemple le rapport parlementaire issu de la mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 rédigé fin 2008 par Jean Leonetti lui-même ? Que la procédure collégiale ne peut en aucun cas aboutir à une décision qui serait prise selon un processus de type majoritaire et qu’« un constat de désaccord doit conduire à poursuivre les orientations thérapeutiques suivies antérieurement [1] ». Primum non nocere, in dubio abstine, d’abord ne pas nuire, dans le doute s’abstenir, comme l’énonce l’une des grandes règles déontologiques de la médecine.

Autrement dit, la collégialité ne doit pas devenir la « justification procédurière » d’une mauvaise décision et en cas de doute, il faut avoir la sagesse de s’abstenir. Ce que dit d’une autre manière le Dr Jean-Paul Perez, médecin réanimateur :

 

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« On se réunit autour d’une table, on recherche l’absence d’opposition, de doutes, d’une seule personne. En cas d’opposition, quelle que soit la personne l’émettant, du médecin à l’aide-soignant ou qui que ce soit, sa voix est alors prépondérante dans l’arrêt du processus décisionnel [2]. »

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 Puisse cette voix de la sagesse prévaloir vendredi au CHU de Reims.

 

P.-Ol. A.

 

Lire aussi :
La justice sauve un patient d'une euthanasie (15 mai 2013)

 

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[1] Jean Leonetti, Mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005, Rapport d’information Solidaires devant la fin de vie, n. 1287, tome 1, Assemblée nationale, décembre 2008, p. 22.
[2] Jean-Paul Perez, « Problématiques en réanimation » in Brice de Malherbe (dir.), Limiter ou arrêter les traitements en fin de vie, Parole et Silence, Paris, 2007, p. 66.