Après avoir dressé un premier bilan du quinquennat sur la question de la fin de vie et le danger qu’il y aurait à légaliser l’euthanasie, dans ce second volet, Pierre Olivier Arduin, porte un jugement sur l’ensemble des questions bioéthiques abordées ces 5 dernières années, en particulier sur la nouvelle loi de bioéthique en vigueur depuis l’été dernier.
La rédaction de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique est en effet l’un des événements qui aura marqué le quinquennat avec sa cohorte de débats, auditions et rapports auxquels elle a donné lieu avant son adoption. La plupart des commentateurs s’accordent pour dire que le pire a été évité. Le président d’Alliance Vita, Xavier Mirabel, n’hésite pas à parler d’ « un texte sage, trop sage diront certains, trop transgressif diront d’autres, mais sans doute exemplaire si on le compare aux législations de nos voisins ».
Maintien du principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon
La nouvelle législation confirme en effet que « la recherche sur l’embryon humain, les cellules souches embryonnaires et les lignées de cellules souches est interdite ». De manière très intéressante, les parlementaires de la majorité n’ont pas souhaité opéré de distinction artificielle entre la recherche qui détruit un embryon et la recherche qui étudie le produit cellulaire issu de cette destruction.
La loi prévoit cependant une dérogation à cet interdit, sans limitation dans le temps, lorsque la recherche en question est « susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs », expression moins contraignante qui remplace celle antérieure de « progrès thérapeutiques majeurs » figurant dans l’ancienne loi de 2004. Mais pour encadrer ce régime dérogatoire le législateur a prévu dans le même temps plusieurs conditions qui se veulent rassurantes : il est ainsi dit que « les recherches alternatives à celles sur l’embryon humain et conformes à l’éthique doivent être favorisées » et qu’il doit être « expressément établi qu’il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches ». Si l’Agence de la biomédecine délivrait une autorisation violant ces conditions, la nouvelle loi donne dorénavant pouvoir aux ministres de la santé et de la recherche de suspendre le protocole. Enfin le législateur a institué une nouvelle clause de conscience qui affirme sans ambiguïté que personne n’est tenu de concourir à ces recherches : « Aucun chercheur, aucun ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche quel qu’il soit, aucun médecin ou auxiliaire médical n’est tenu de participer à quelque titre que ce soit aux recherches sur des embryons humains ou sur des cellules souches embryonnaires ». On mesure l’importance de ces dispositions si on se souvient que le Conseil d’Etat, le Comité consultatif national d’éthique, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, les Etats généraux de la bioéthique et ses jurys citoyens avaient massivement demandé au gouvernement de libéraliser la recherche sur l’embryon.
Du côté des cellules souches adultes, l’Agence de la biomédecine a désormais l’obligation de rendre un rapport ou comparatif annuel faisant état de l’avancement de la recherche sur les différentes catégories de cellules souches, iPS et adultes comprises. Le législateur s’est en outre engagé à combler le retard en matière de recueil et de stockage de cellules souches de sang de cordon dans des banques publiques et gratuites.
Si la gauche gagnait les prochaines élections, elle gommera sans aucun état d’âme l’interdit de principe et instaurera un régime d’autorisation permanent. Il est très probable qu’elle profite de ce toilettage législatif pour autoriser dans la foulée le clonage scientifique et la création d’embryons chimères ou cybrides, une revendication récurrente des parlementaires socialistes. De manière générale, l’opposition n’a eu de cesse ces 5 dernières années de s’insurger contre toute limitation éthique au progrès biotechnologique.
On peut donc dire que le bilan en matière de recherche sur l’embryon est moins mauvais que ce que l’on pouvait craindre au départ même si on ne peut s’en satisfaire totalement. En particulier, les personnalités catholiques qui ont participé aux discussions ont demandé sans succès aux parlementaires et au gouvernement de rétablir dans la loi l’interdiction de la destruction des embryons, seule option conforme à l’éthique et au respect de la dignité humaine qui s’applique dès le commencement de la vie.
L’AMP demeure réservée à un couple hétérosexuel
Concernant l’assistance médicale à la procréation (AMP), de nombreux interdits ont été maintenus, comme le transfert post mortem d’un embryon, la gestation pour autrui ou mères porteuses et l’accessibilité des procréations artificielles aux personnes célibataires ou homosexuelles.
Si l’AMP a été ouverte aux personnes pacsées (le délai de deux ans pour accéder aux techniques a été également supprimé pour les couples non mariés), elle est demeurée toutefois réservée aux couples composés d’un homme et d’une femme dont l’infertilité doit être dûment constatée sur le plan médical. Enfin, le législateur a souhaité que « la mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation privilégie les pratiques et procédés qui permettent de limiter le nombre des embryons conservés » afin d’apporter un début de réponse au scandale des dizaines de milliers d’embryons surnuméraires congelés (pas loin de 150 000 embryons au 31 décembre 2008).
François Hollande a quant à lui promis aux lobbies gays et lesbiens, non seulement d’autoriser avant la fin de l’année le mariage homosexuel et l’adoption homoparentale mais également de permettre à ces couples (et aux femmes célibataires) d’accéder à toute la gamme des techniques de procréation artificielle, exceptées les mères porteuses. Ce dernier point ne doit pas faire illusion. Une majorité de parlementaires socialistes, notamment au Sénat, ainsi que de nombreuses personnalités comme le professeur Israël Nisand militent pour une autorisation encadrée de la gestation pour autrui et on ne voit pas très bien comment le candidat socialiste à la présidentielle pourra s’y opposer une fois qu’il aura fait sauter les derniers verrous en la matière.
Dans le champ de la procréation, on peut donc conclure que la droite a su résister aux transgressions réclamées par l’opposition. Pour autant, il me semble qu’il faut nuancer ce constat pour ne pas tomber dans un satisfecit trop facile. D’abord, on ne peut qu’être déçu que le législateur n’ait pas condamné plus fermement la création d’embryons surnuméraires dans les fécondations in vitro en s’inspirant de ce qui est pratiqué en Italie par exemple. Par ailleurs a été fait le choix irresponsable de permettre le don de gamètes pour des hommes et des femmes n’ayant pas encore procréé, les gynécologues étant tenus en outre d’informer leurs patientes sur l’existence du don d’ovules. Or, la technique de vitrification ou congélation ultra-rapide des ovules ayant été autorisée dans le même temps, tout laisse penser qu’une jeune femme pourra désormais donner une partie de ses cellules sexuelles en faveur d’autrui et en garder une autre pour elle-même au cas où elle deviendrait infertile. Rendre disponibles les cellules reproductrices féminines ne pourra qu’élargir encore plus le fossé entre maternité biologique et sociale, avec les problèmes insolubles de levée ou non de l’anonymat des donneurs dont nous sommes témoins aujourd’hui. La vitrification des ovules est une formidable machine à dissocier la procréation de la filiation qui en définitive prépare le terrain aux mesures transgressives annoncées par la gauche. Enfin, la loi du 7 juillet 2011 a introduit le critère de « reproductibilité » pour « améliorer l’efficacité » des méthodes de fécondation in vitro, ce qui soulève selon nous le problème de la création détournée d’embryons pour la recherche médicale, pourtant clairement récusée par les pouvoirs publics.
L’eugénisme prénatal entre fuite en avant et tentative d’atténuation
En matière de diagnostic préimplantatoire et prénatal, la politique conduite ces cinq dernières années est peu lisible, pour ne pas dire schizophrénique.
Du côté du diagnostic préimplantatoire (DPI), la droite a heureusement refusé d’autoriser le diagnostic systématique de la trisomie 21 en plus de la maladie recherchée sur l’embryon in vitro malgré les préconisations contraires du Comité consultatif national d’éthique. Quant à la technique du bébé-médicament ou DPI-HLA, si son caractère expérimental a été supprimé, elle ne peut être admise que sous réserve d’avoir épuisé toutes les voies alternatives, en particulier la greffe de sang de cordon allogénique.
Concernant le diagnostic prénatal, la publication lors de la clôture des états généraux de la bioéthique de l’arrêté du 23 juin 2009 instituant le dépistage précoce de la trisomie 21 a été particulièrement déplorable. La loi du 7 juillet 2011 a dans une seconde étape entériné l’obligation – jusqu’ici seulement réglementaire – faite au médecin et à la sage-femme de délivrer à toute femme enceinte une information sur la possibilité de recourir aux examens de dépistage et diagnostic anténatals.
Les débats préparant le réexamen de la loi de bioéthique ont cependant permis de reconnaître l’existence d’un eugénisme prénatal du fait du lien quasi systématique établi entre le diagnostic d’une maladie affectant l’enfant à naître et le recours par les parents à l’interruption médicale de grossesse. Le Conseil d’Etat a ainsi admis pour la première fois que l’eugénisme pouvait être « le résultat collectif d’une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents [1]». La suppression de 96 % des enfants atteints de trisomie 21 – chiffre cité noir sur blanc dans le rapport – rend compte de l’existence d’« une pratique individuelle d’élimination presque systématique » a ainsi constaté officiellement le Conseil d’Etat.
Dès lors, plusieurs parlementaires ont essayé d’apporter des inflexions pour limiter cette sélection des enfants à naître. La nouvelle législation prévoit ainsi que « toute femme enceinte reçoit (…) une information loyale, claire et adaptée à sa situation sur la possibilité de recourir, à sa demande, à des examens de biologie médicale et d’imagerie permettant d’évaluer le risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de sa grossesse ». L’expression « à sa demande » témoigne indéniablement du souci du législateur de redonner une marge de manœuvre à la patiente qui a désormais une plus grande latitude pour refuser une méthode de diagnostic prénatal sans subir de pression de la part des professionnels de santé. Est également précisé que le médecin ou la sage-femme doit insister sur le « caractère non obligatoire de ces examens » et que l’opposition de la femme enceinte à y recourir doit être « mentionnée dans le dossier médical ». Il ressort donc clairement de ces dispositions que le professionnel de la grossesse doit s’incliner devant le choix de sa patiente et n’a strictement aucun droit à lui faire signer un formulaire de décharge comme ce fut trop longtemps le cas ces 15 dernières années, lequel document n’a d’ailleurs pas de valeur juridique comme l’a reconnu le Sénat en séance publique. La femme enceinte (et le père de l’enfant) peut donc refuser oralement la proposition du diagnostic prénatal qu’elle qu’en soit la technique, le praticien ayant seulement l’obligation de notifier l’opposition dans le dossier médical. Enfin, le médecin ou la sage-femme peut dorénavant proposer à la patiente « une liste des associations spécialisées et agréées dans l’accompagnement des patients atteints de l’affection suspectée ». Le praticien n’est plus appréhendé ici seulement comme un simple transmetteur d’informations médicales mais comme un acteur en mesure de délivrer à la femme et au couple des informations susceptibles de renforcer la décision de garder leur enfant. Il ne s’agit plus de décider dans l’ignorance sous le coup de l’angoisse et de la souffrance de l’annonce de handicap ou de maladie. Cette mesure redonne d’autant plus ses droits à la liberté de choix des parents que le législateur a également instauré un « délai de réflexion d’au moins une semaine avant de décider d’interrompre ou de poursuivre la grossesse », modifiant l’article L. 2213-1 du code de la santé publique relatif à l’interruption de grossesse pour motif médical. La précipitation étant rarement bonne conseillère, particulièrement dans ces situations de grande vulnérabilité émotionnelle, ces modifications législatives sont évidemment particulièrement bienvenues même s’il est probable que tout cela ne changera pas foncièrement la donne et que l’eugénisme a de beaux jours devant lui du fait du jugement collectif de notre société sur « la vie digne ».
Les enjeux des élections à venir
Que faut-il attendre des prochaines élections ? Si elles parviennent au pouvoir, les forces politiques de gauche ont affiché leur volonté de détruire les dernières barrières protectrices de la vie humaine. De fait, on peut s’attendre à une régression sans précédent portant un coup fatal au principe de respect de la dignité humaine. Pour ce qui est de l’actuelle majorité, nous ne sommes pas à l’abri d’une mauvaise surprise mais il y a tout lieu de penser que la droite ne reviendra pas sur la loi du 7 juillet 2011 dont la révision n’est prévue que dans sept années. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire médical Le Généraliste le 11 janvier dernier, Nicolas Sarkozy s’est ainsi engagé à ne pas toucher le cadre législatif en vigueur.
Retrouvez les autres articles de bioéthique dans le dossier :
[1] Conseil d’Etat, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, mai 2009, p. 40.
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