Taxis : après les VTC, le covoiturage urbain

Chassez la concurrence par la porte, elle revient par la fenêtre. Nouvel épisode dans la bataille des taxis : après les VTC, contre lesquels les taxis ont fait appel au corps des “enrayeurs”, c’est-à-dire à l’État, en imposant un délai entre la commande et la prise en charge, voici qu’arrive un service de covoiturage urbain à but lucratif, avec UberPop. 

Les enrayeurs ont cette fois fait appel à la justice, à Bruxelles comme à Paris. Chacun comprend qu’il s’agit de combats d’arrière-garde, destinés à gagner du temps. La Commission européenne est furieuse contre ces décisions, qui n’oublient qu’une chose : l’intérêt du client. 

Une loi qui remonte au Front populaire !

L’histoire des taxis est ancienne. Pour conduire un taxi, il faut obtenir un certificat de capacité professionnelle, obtenu après un examen, mais surtout il faut en France, comme dans certains pays, mais pas tous, obtenir une autorisation administrative, qui est une autorisation de stationner, circuler et charger sur la voie publique. L’autorisation est donnée au propriétaire d’un véhicule (ce qui donne les artisans taxis) ou à un exploitant (dont les chauffeurs sont des salariés). Le nombre de taxis est ainsi strictement limité, ville par ville.

Il s’agit donc d’une profession fermée, dans laquelle la principale condition de la concurrence, à savoir la liberté d’installation, la liberté d’entrer ou de sortir du marché n’existe pas. A Paris, les choses sont d’autant plus strictes que c’est une loi remontant à 1937, donc au Front Populaire, qui a limité à environ 14 000 le nombre de taxis. Depuis, les assouplissements ont été très limités, même si un accord de 2008 prévoit une augmentation progressive, plafonnée à terme à 20 000.

Comme dans toutes les professions fermées, les licences peuvent se revendre fort cher, environ 240 000 euros pour Paris. Si la concurrence n’existe pas par la quantité et la pression des nouveaux arrivants, en raison de la fermeture de l’accès à la profession, elle n’existe pas plus par les prix, puisque les tarifs sont fixés par l’Etat via les préfectures. C’est donc un prix administré, l’équivalent d’un blocage des prix, avec tous les effets pervers que chacun peut constater, à commencer par la pénurie : le déséquilibre ne pouvant se manifester par le prix, se manifeste par la quantité, en l’occurrence la file d’attente.

Les VTC et la concurrence par la qualité du service

Les VTC, appelés autrefois véhicules de grande remise, sont dénommés, depuis la loi de 2009, véhicule de tourisme avec chauffeur, d’où le sigle VTC. La différence avec le taxi vient du fait qu’il faut passer commande, et en apporter si nécessaire la preuve, car les VTC n’ont pas le droit de prendre un client « à la volée » ; Il doit s’agir de véhicules haut de gamme, en circulation depuis moins de 6 ans, la longueur et la largeur minimales étant fixées, ainsi qu’un minimum pour la puissance du moteur, avec des aménagements de qualité.

On a longtemps pensé qu’il s’agissait de deux marchés différents, puisque dans la vision néo-classique de la concurrence, celle-ci n’existe que s’il y a homogénéité du produit ou du service. Or, non seulement cette hypothèse est absurde, mais la concurrence se manifeste justement par la différence du service rendu, et pas seulement par le prix. Pouvoir choisir sa station de radio au lieu de subir celle du chauffeur, pouvoir recharger son téléphone, boire un verre d’eau, avoir un chauffeur plus attentionné et à la tenue vestimentaire plus correcte, ce sont des détails auxquels un client peut être sensible : la concurrence passe par la qualité du service rendu.

Les enrayeurs en action

La concurrence taxi/VTC s’est véritablement développée grâce aux moyens modernes de télécommunication. Grâce aux applications mobiles, on peut commander n’importe quand et n’importe où un VTC. D’où la « démocratisation » du service rendu, avec des prix plus abordables, conséquence de la concurrence. Les taxis se sont sentis menacés, d’autant plus que de grandes firmes de VTC, déjà présentes à l’étranger, se sont installées en France, multipliant l’offre. Ils ont donc fait appel à l’Etat, en suggérant un délai d’attente obligatoire (une heure) entre la commande et la prise en charge par le VTC, tuant ainsi ce type de concurrence.

Le gouvernement a transigé sur quinze minutes d’attente, faussant la concurrence, mais le Conseil d’Etat a invalidé le décret, au nom de la liberté du commerce et de l’industrie. Le gouvernement Ayrault avait joué la montre en gelant en février les immatriculations de nouveaux VTC et en nommant un médiateur. Le changement de gouvernement a retardé la remise du rapport du député PS Thomas Thévenoud.

Depuis longtemps différents rapports dénoncent l’absence de concurrence dans ce secteur, dont les fameuses quinze minutes constituent le dernier avatar. C’était le cas du comité Rueff-Armand en 1959, du rapport Camdessus de 2003 ou de la Commission Attali en 2008, utilisant l’exemple de la suppression des licences en Nouvelle-Zélande par un gouvernement…travailliste. L’obstacle principal étant le débat sur l’éventuelle indemnisation des taxis déjà en place, qui avaient payé fort cher leur licence. Les décisions étatiques créent toujours des effets pervers qui finissent par revenir cher aux personnes concernées ou aux contribuables en cas d'indemnisation.

Et maintenant le covoiturage urbain

Le dernier épisode concerne le covoiturage à but lucratif. Là encore l’évolution technique a joué un rôle. La société américaine Uber propose un service UberPop de covoiturage urbain, qui existe déjà dans de nombreuses villes du monde entier, permettant de mettre en contact des consommateurs et des chauffeurs indépendants prêts à les transporter. Le système est souple, les tarifs variables suivant les heures de la journée, les règles d’exercice plus légères. Là encore la concurrence joue et en pratique les véhicules sont souvent  plus récents et plus propres que bien des taxis traditionnels.

Le gouvernement français a saisi la justice, suite à une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, jugeant illégal ce covoiturage urbain, la DGCCRF étant plus soucieuse des  « avantages acquis » des taxis que de l’intérêt du client. La France n’est pas seule dans ces combats d’arrière-garde, et le tribunal de commerce de Bruxelles vient de rendre un arrêt ordonnant à la société américaine de VTC Uber de cesser toute activité à Bruxelles, sous peine d’une lourde amende. C’est le gouvernement de la région de Bruxelles qui a jugé cette activité illégale, allant jusqu’à saisir des voitures, avant que la justice n’intervienne.

La polémique n’est pas terminée. Uber dénonce ces protections artificielles et met en avant la grande satisfaction des usagers. C’est aussi l’opinion de la Commissaire européenne chargée du numérique, qui a parlé de décision stupide destinée à protéger un cartel. A travers ces discussions, la question de fond est posée : la vie économique est-elle faite pour les producteurs, qu’il conviendrait de protéger, ou ceux-ci ne sont-ils qu’un moyen, la finalité de l’économie étant le service des clients ? Si le but de l’économie est de répondre aux besoins humains, la réponse passe par la concurrence qui, seule, permet le meilleur service du client et/ou le moindre coût pour lui.

 

 

Jean-Yves Naudet est professeur à l’Université d’Aix-Marseille, président de l’Association des économistes catholiques. 

 

 

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