[Débat] — Chassez le débat sur la dette publique par la porte, il revient par la fenêtre. Il obsède les experts comme les politiques, Bruxelles comme la Cour des comptes. C’est un débat plein d’embûches. Il y a ceux qui pensent que moins de dette publique, c’est plus de récession, et ceux qui pensent que c’est indispensable.
Parmi ces derniers, il y a ceux qui croient qu’on réduit dette et déficit en augmentant les impôts et ceux qui considèrent que la seule solution, c’est de baisser les dépenses publiques et la pression fiscale. Ici, le comment est aussi important que le pourquoi, car il y a une bonne et une mauvaise rigueur.
Keynes trahi par les keynésiens
Comme nous l’avions annoncé en début d’année, le débat sur la dette publique bat son plein. La Cour des comptes s’inquiète de la dérive des dépenses publiques et la Commission de Bruxelles met la France, et d’autres pays en Europe, en demeure de réduire leurs dépenses. C’est suicidaire, affirment d’autres experts d’inspiration keynésienne : réduire les déficits et les dépenses, c’est aggraver la crise actuelle et la récession et provoquer même une déflation.
Ce débat a pourtant été tranché depuis longtemps. L’idée suivant laquelle la santé de l’économie dépendrait avant tout de la demande globale et d’abord de la demande publique remonte aux années 30 et aux idées de John Maynard Keynes. Mais la crise de 1929 est la plus grande dépression de l’histoire. Keynes lui-même serait sans doute surpris qu’on applique ce remède de cheval aux simples récessions, surtout quand les prix ne diminuent pas. Il serait encore plus surpris d’apprendre qu’un pays comme la France est en déficit depuis 40 ans, faisant exploser la dette publique, alors qu’il imaginait une alternance de déficits et d’excédents, non un déficit durable !
Les vertus de la facilité ou de l’effort ?
Non seulement Keynes désavouerait les politiques keynésiennes actuelles, mais en soi elles sont contestables. Elles ont l’inconvénient d’être globales, macroéconomiques, considérant qu’on pilote l’économie comme une voiture, en tirant sur quelques manettes. Or la réalité est d’abord faite de millions d’entreprises qui produisent et de ménages qui consomment. Ce ne sont pas des agrégats, mais des entreprises ou des personnes réelles et c’est sur leur incitation à produire qu’il faut jouer et non par des mécanismes globaux.
Une autre erreur consiste à considérer que c’est la demande (globale) qui conditionne le reste de l’économie : dépensez et ne vous souciez pas du reste. Pour les keynésiens, la vertu est dans la dépense, l’offre suivant automatiquement. Oubliées, les rigidités qui empêchent l’offre de répondre à la demande ; oubliées, les complexités du monde réel. Même le président de la République, faisant sienne la formule de Jean-Baptiste Say, a reconnu que c’était l’offre qui créait la demande, en rémunérant les facteurs de production, salariés, épargnants, entrepreneurs, qui ont créé cette offre dans les entreprises.
Croire que la dette et les dépenses publiques puissent être source de richesse, c’est prendre l’apparence pour la réalité, c’est croire aux vertus de la facilité et non à celles de l’effort, c’est tomber dans l’illusion, alors que la vraie richesse n’est que la conséquence de la création, de l’innovation, dans le but de répondre aux besoins humains. C’est en rendant des services que les entreprises créent des richesses, grâce à l’effort de tous. L’argent issu du laxisme, des déficits, de la création monétaire artificielle ne saurait être une vraie richesse, ni une source de vraie richesse.
Oui, il faut réduire la dette publique
Il est donc faux de dire que réduire la dette publique va tarir la source des richesses. En revanche, maintenir les déficits et les dettes actuelles, c’est plomber l’avenir, transférer nos charges sur les générations futures, et faire payer nos petits-enfants, en leur léguant des dettes, tout en plombant le présent par le poids des intérêts. C’est aussi risquer de provoquer des crises de confiance vis-à-vis de la qualité de la signature de l’État, faisant exploser un jour les taux d’intérêt et donc la charge de la dette. C’est enfin, pour un pays, se mettre en situation de dépendance, car la dette est largement financée par l’étranger.
Réduire la dette publique n’est donc pas du masochisme dangereux, c’est une nécessité absolue pour cesser de vivre dans l’illusion. À l’heure où tout le monde parle du développement durable, il est paradoxal de prôner l’endettement durable ! Étrange façon de se soucier des générations futures.
C’est donc à juste titre que Bruxelles, la Cour des comptes et même le gouvernement mettent l’accent sur la nécessité de réduire des déficits. Reste le comment. C’est là, notamment dans le cas français, qu’il faut regarder la réalité en face : le gouvernement annonce que sa politique devrait ramener le déficit public à 3,6% du PIB en 2014 et à 2,8% en 2015, en dessous des fameux 3% européens.
Même si c’était le cas, d’une part nous avons déjà deux ans de retard sur l’échéancier prévu au départ, d’autre part, nous avons accepté la règle d’or consistant à ramener à 0,5% du PIB le déficit public. Nous sommes loin du compte. Or Bruxelles ne croit pas à nos prévisions et annonce 4% de déficit cette année et encore 3,9% l’an prochain : le déficit ne se réduit pas et la dette poursuivra sa course folle.
Mauvaise rigueur et bonne rigueur
Pourtant le gouvernement ne cesse d’annoncer des efforts demandés aux Français. C’est qu’il y a quelque chose qui ne marche pas dans la méthode : une apparence de rigueur, que chacun ressent dans la hausse des charges et des impôts. Certes on parle de réduire les dépenses publiques, mais, surtout si on tient compte des dépenses de protection sociale et de celles des collectivités locales, elles continuent à augmenter.
Les promesses de baisse de charges, même si elles atteignaient les 30 milliards annoncés par le président de la République, ne représentent que 1,5% du PIB et seront largement compensées par d’autres recettes publiques. Vouloir réduire les déficits en maintenant pour l’essentiel les dépenses et en essayant d’augmenter les recettes fiscales, c’est accentuer la récession et aggraver le déficit, faute d’activité économique.
N’y a-t-il donc rien à faire en France ? Il faut choisir une vraie rigueur, celle de la réduction massive des dépenses publiques. Certains parlent avec terreur d’ultralibéralisme. Avec plus de 56% de dépenses publiques l’État occupe plus de la moitié du terrain : drôle d’ultra-libéralisme. Nos voisins ont en moyenne 10 points de PIB de dépenses publiques en moins (l’équivalent de 200 milliards). Ne sont-ils plus protégés, soignés, pensionnés, éduqués ? Comment font-ils ? Conformément au principe de subsidiarité, ils considèrent que tout ne doit pas passer par l’État.
Il faut dire les choses : ce n’est pas en payant moins les fonctionnaires ou en remboursant moins l’assuré social qu’on réduira les dépenses publiques, mais en privatisant ce qui n’a pas de raison d’être fait par l’État. Cela permettra de réduire les déficits et la dette, mais aussi de réduire les impôts et les charges, favorisant la croissance et la création de vraies richesses et de vrais emplois. Ce retour à la prospérité bénéficiera à tous, même au secteur public. Les autres pays le font. La France en est donc capable.
Jean-Yves Naudet est économiste, professeur à l’Université d’Aix-Marseille président de l’Association des Economistes catholiques.
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Sans entrer dans un débat sur le fond qui mériterait des développements que le lecteur trouvera par ailleurs sur d'excellents sites pour démonter l'argument de l'origine de la crise dans la dette publique, je trouve gênant que mon honorable collègue Naudet cumule les fonctions de président des Economistes catholiques et de militant d'une organisation de libéraux ultra.
Voir le commentaire en entierJe suis attaché au débat académique et à sa liberté, d'où naît la recherche de la vérité et le progrès de la science, mais est tout à fait abusif d'exciper d'un lien entre la doctrine sociale de l'Eglise et les théories extrémistes propagées par l'ALEPS, de même que de donner une vision caricaturale de Keynes (il n'a jamais défendu l'idée de la création de monnaie sans contrepartie industrielle) .
La thèse bruxelloise de l'excès de dépense publique est une thèse qui est contredite par les faits et le développement de disciplines comme l'histoire économique (discipline hélas oubliée) qui montrent amplement qu'il n'y a jamais eu de croissance sans dette.
C'est parfaitement le droit de J.-Y. Naudet de soutenir de telles thèses, mais il serait au moins décent de préciser qu'elles n'ont aucun rapport avec le christianisme et avec la doctrine sociale de l'Eglise.
L'Atelier Paul Fabra suit avec grande attention et bon profit intellectuel ainsi que moral ce que Liberté Politique publie sur et autour de l'économie, Doctrine sociale de l'Eglise catholique bien entendu comprise. Si ce n'est pas déjà fait, nous aimerions que bonne note en soit prise non seulement par Liberté Politique mais aussi par Jean-Yves Naudet que nous félicitons chaleureusement pour le fond et la forme de son plaidoyer en faveur du désendettement public. DM