“Laudato si” : ne nous trompons pas d’encyclique !

Rarement une encyclique aura été autant attendue et même commentée avant sa parution, y compris à partir de versions provisoires ! Chacun y cherche ce qui conforte ses analyses. Certes, c’est le signe de l’importance accordée au pape François, mais le risque est de donner à l’opinion publique une vision biaisée du texte.

Un peu comme pour le concile Vatican II, il y avait la réalité, très riche, des textes conciliaires, et il y a eu la version superficielle et médiatisée, sans grand rapport avec les textes. On ne peut donc que conseiller la lecture intégrale de la nouvelle encyclique de François et cela d’autant plus que son style familier et percutant est accessible à tous.

Ensuite, une encyclique sociale n’est pas une analyse scientifique ou un programme politique, mais une réflexion de la foi et de la raison, faite par le magistère, sur une question sociale ; elle repose sur une conception, naturelle et chrétienne, de l’homme et de la société.

Cette réflexion sur les questions sociales remonte au moins à Léon XIII (Rerum novarum, 1891) et à ses successeurs et constitue un corpus complet, la doctrine sociale de l’Église ; en ce sens, l’encyclique de François ne peut se lire sans référence aux textes de ses prédécesseurs, d’ailleurs abondement cités par lui, ainsi que les conférences épiscopales ; et donc elle n’annule pas les principes doctrinaux posés par eux : « Elle s’ajoute au magistère » dit François.

Une encyclique pour tous… comme les autres

Ainsi, certains s’émerveillent que l’encyclique soit adressée à tous, ce qui est logique puisqu’à côté d’éléments de foi, elle donne sa place à la raison et que l’environnement nous concerne tous. Mais c’est la règle pour toutes les encycliques sociales depuis Jean XXIII.

C’est aussi ce qui explique l’étonnement non justifié de certains, par exemple quand François affirme que la propriété privée a des limites et qu’elle est subordonnée à la destination universelle des biens, Dieu ayant donné la terre à tous les hommes. C’est la doctrine la plus traditionnelle de l’Église, déjà explicite chez Thomas d’Aquin et présente dans toutes les encycliques sociales. Mais ni le pape actuel, ni ses prédécesseurs n’opposent les deux notions et Jean-Paul II a montré comment la propriété privée peut contribuer à la destination universelle des biens et remplir sa fonction sociale quand elle est valorisée pour le bien de tous. Quoi qu’en pensent certains, François n’est pas un pape de rupture et encore moins un « pape communiste ».

Assumer ses responsabilités

Mais alors pourquoi écrire une encyclique sociale nouvelle ? Est-il le premier pape à s’intéresser à l’écologie ? François répond lui-même en citant les textes sur l’environnement de ses prédécesseurs et notamment de Jean-Paul II et Benoît XVI. Mais la question a pris tellement d’importance aujourd’hui (un peu comme la question sociale au XIXe siècle), que François a jugé, avec raison, qu’il était temps de publier une encyclique portant sur ce seul sujet.

Il en a abordé l’ensemble des aspects, mais il est clair qu’on ne l’attendait pas d’abord sur les questions scientifiques et il dit lui-même qu’il y a débat sur certains points (on pense au réchauffement climatique et à ses causes) et si François donne son analyse, très clairement, y compris sur les responsabilités humaines, il ajoute que l’Église ne prétend pas définir ce qui est scientifique et qu’il n’y a pas une cause unique aux phénomènes actuels. Mais chacun, dit-il, doit assumer la responsabilité de ses actes. C’est là l’essentiel.

Écologie intégrale

En revanche, là où on l’attendait vraiment, c’est sur la conception de l’homme et de la Création. Il suit la voie tracée par Jean-Paul II en parlant d’écologie humaine et « d’écologie intégrale » (comme d’autres papes ont parlé du développement intégral). L’écologie comprend la protection de tout l’environnement, de toute la Création, dont l’homme fait partie et en est comme le couronnement. Vouloir protéger la nature au détriment de l’homme est un non-sens et l’homme n’est pas le gêneur à éliminer sur la terre ; inversement, considérer la nature comme un trésor dans lequel on peut puiser de manière désordonnée et illimitée est un autre non-sens.

Protéger l’homme, sa vie, sa dignité, ses conditions de vie devrait être le premier objectif de l’écologie, et protéger la nature est indispensable à la survie de l’homme.

Changer de comportement

Le comment est une autre question et, même si François ouvre des pistes, fait des propositions, on est là dans le domaine prudentiel dans lequel certains défendent plutôt des éléments de régulation ou de fiscalisation, alors que d’autres croient plus dans l’efficacité de règles marchandes et d’une meilleure définition des droits de propriété. En toute hypothèse, le pape accorde une grande place dans son texte à une éducation au bon usage de la nature, ce qui passe par la modification de nos comportements quotidiens.

Qu’il attende aussi beaucoup des décideurs politiques est normal, car ils devraient être les responsables ultimes du bien commun, et François leur demande de prendre des décisions radicales, mais il ajoute qu’il n’y a pas une seule solution et que nous avons tous nos parts de responsabilité dans ce domaine : nous devons changer « de style de vie, de production et de consommation » et en particulier notre « consommation compulsive » et « notre culture du déchet ». Tout cela commence par « un changement du cœur ».

« Tout se tient »

Ce texte est d’une grande profondeur, mais aussi d’une grande beauté, par ses méditations sur l’homme et la nature et sur le soin « de la maison commune », la terre, la maison des hommes. C’est parce que l’homme est important aux yeux de Dieu, et que Dieu lui a confié la terre pour qu’il l’a gère avec sagesse, de manière responsable et pour le bien de tous, que l’écologie est importante.

Cet homme a fait et fait des erreurs en matière environnementale ; le pape réveille les consciences, en montrant l’importance de l’enjeu, sauvegarder la nature pour sauvegarder l’homme lui-même. Opposer les deux serait absurde. Et ceux qui tirent argument de l’encyclique pour minimiser le rôle de l’homme sur la terre n’ont pas compris que, comme le dit Vatican II, « l’homme est la seule créature que Dieu ait voulu pour elle-même ».

La nature est importante parce qu’elle est faite pour l’homme. C’est cela l’écologie intégrale, qui, comme le développement intégral, concerne l’homme dans toutes ses dimensions, y compris le respect de la vie comme celui de son environnement naturel. Tout se tient, dit François, voilà pourquoi il insiste tant sur « la justice envers les pauvres », dans la ligne de François d’Assise, car ce sont eux les plus menacés par les évolutions actuelles. La crise est donc d’abord « éthique, culturelle et spirituelle ». François a raison, tout est lié, tout se tient.

 

Jean-Yves Naudet est professeur à l’Université d’Aix-Marseille, président de l’Association des Economistes catholiques (AEC), membre de l’Académie catholique de France, auteur de La Doctrine sociale de l’Église (PUAM, 2011).

 

 

Aller plus loin :
Laudato si, le texte intégral (pdf)

 

 

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