Le jugement est tombé, sans appel. La 100e session de l'Organisation internationale du travail (OIT) a remis son lourd rapport de près de mille pages concernant les législations du travail dans le monde : particulièrement visée, la France, et la conformité de ses récentes mesures législatives à la Convention de l'OIT n° 106 de 1957, ratifiée en 1971. Avis plus que défavorable, c'est peu de le dire.
L'OIT, basée à Genève, est une organisation tripartite regroupant des représentants des employeurs, des syndicats et des gouvernements. L'avis rendu concerne l'article 7 de la nouvelle loi française dévolu aux dérogations permanentes du travail du dimanche, sévèrement critiqué. Échec et mat donc pour la commission Attali qui avait inspiré le gouvernement français en recommandant, croissance oblige, une généralisation du travail le dimanche.
À l'origine de la saisie des experts de l'OIT sur ce dossier, la Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) a fait valoir ses arguments contre le démantèlement d'un droit historique et social. De son côté, le gouvernement français a justifié sa politique de dérégulation. Le jugement de l'OIT est désormais rendu, au fond sans surprise pour qui voyait clair.
Avant de se prononcer, la commission d'experts de l'OIT pour l'application des conventions et des recommandations a voulu disposer d'informations précises sur trois grands points : 1/ les résultats d'enquêtes d'opinion conduites auprès des travailleurs concernés ; 2/ les mesures prises pour garantir le caractère volontaire du travail dominical et sur les contreparties offertes aux travailleurs concernés ; 3/ la délimitation des zones touristiques et des PUCE ainsi que l'évolution de ce problème souligné aux premières heures du débat.
Bataille de chiffres et mêmes arguments se sont à nouveau opposés. Comme nous l'avons écrit à ce sujet, les sondages publiés sur la question du travail dominical n'offrent pas de conclusions définitives sur l'opinion des salariés concernés (Décryptage, 13/11/09), le volontariat du travail le dimanche n'est guère protégé malgré les apparences. Une chose est sûre, révélatrice de notre époque : l'individualisme de ceux qui veulent bien consommer le dimanche mais ne pas être de ceux qui travaillent le dimanche.
La bataille des PUCE
Quand le rapport du gouvernement fait état de 570 collectivités territoriales inscrites comme communes d'intérêt touristique, dont 36 parmi elles comportant une ou plusieurs zones d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente, la ville de Paris en comptant sept , les syndicats font valoir de leur côté que les contours des zones touristiques sont assez difficiles à appréhender, ce qui est inacceptable parce que cela laisse la porte ouverte pour des demandes infondées de classement en zones touristiques. La CGT-FO continue de considérer que la délimitation des PUCE pose également problème, puisque les éléments caractéristiques d'un PUCE ne répondent en rien à une exigence de satisfaction à des besoins de première nécessité, mais plus à la satisfaction d'un but lucratif .
Pour le syndicat, les critères retenus par la loi, d'habitude de consommation dominicale et d'importance de la clientèle, semblent répondre à une volonté de légaliser des pratiques antérieurement illégales Qui pourrait lui donner tort ? Un an après l'entrée en vigueur de la loi, observe la CGT-FO, les PUCE fleurissent partout en France .
Pour sa part, le gouvernement veut encore faire croire qu'aucune accélération notable des demandes de classement en zones touristiques n'a été observée depuis la promulgation de la loi, les onze classements étant intervenus à travers une stricte application des dispositions du Code du travail . S'agissant des PUCE, le gouvernement indique également qu'à ce jour, 24 PUCE ont été délimités, alors que 13 autres demandes, qui n'entraient pas dans le cadre des dispositions légales, ont été refusées . Et il ajoute que le nombre de salariés potentiellement concernés par les dérogations au titre des PUCE est inférieur à 15 000 et que l'allégation de généralisation du travail du dimanche est donc infondée .
Infondée ? Il ne suffit pas de le dire. L'historien du droit Daniel Perron (Histoire du repos dominical, L'Harmattan) avait tôt mis en avant l'aspect cosmétique de la réaffirmation du principe du repos dominical. Le gouvernement a beau se piquer de mots, l'OIT ne s'est pas laisser embarquer dans un raisonnement pour le moins spécieux, avec un rappel et un constat.
Trois principes fondamentaux
Il était ainsi besoin de rappeler en effet trois principes fondamentaux autour desquels s'articule la convention et auxquels elle s'était référée dans sa précédente observation :
La continuité (un repos hebdomadaire d'au moins 24 heures consécutives), la régularité (le repos devant être accordé au cours de chaque période de sept jours) et l'uniformité (le repos hebdomadaire doit être, autant que possible, accordé en même temps à l'ensemble des personnes intéressées d'un même établissement et coïncider, autant que possible, avec le jour traditionnel de repos).
Il fallait parallèlement ne surtout pas oublier le point majeur de ce débat et que nous avons mentionné souvent :
L'article 7 de la convention ne permet l'application de régimes spéciaux de repos hebdomadaire que si la nature du travail, la nature des services fournis par l'établissement, l'importance de la population à desservir ou le nombre des personnes employées ne permettent pas l'application du régime normal de repos hebdomadaire.
En définitive, où est donc cet intérêt des salariés pour lequel le repos hebdomadaire est donné le dimanche quand le principe du repos dominical soi-disant réaffirmé n'aboutit qu'à un écran de fumée ? La commission de l'OIT ne s'y est pas trompée. Un amendement introduit dans la loi Chatel par la sénatrice Isabelle Debré, rapporteur du texte, est particulièrement montré du doigt.
Cet amendement félon, voté de nuit, est cité dans le rapport de l'OIT pour mettre en évidence les contradictions du gouvernement français qui a scandaleusement accepté d'élargir aux établissements de commerce de détail d'ameublement des dérogations autorisées par l'article L. 3132-12 du Code du travail. La commission n'est pas dupe et démontre que si l'ouverture des magasins d'ameublement peut correspondre à un souhait des consommateurs, elle ne paraît pas répondre à une nécessité telle que l'application du régime normal de repos hebdomadaire se révèle impossible .
Résultat, la commission ne peut que constater l'élargissement progressif des dérogations autorisées par la législation . La banalisation du dimanche est effectivement en marche. Depuis deux ans bientôt. Le 6 août 2009, Le Figaro titrait à la une : Travail le dimanche : Feu vert ! Aujourd'hui pourtant, c'est un carton rouge qui épingle la France.
L'heure est donc à l'évaluation, au suivi de la loi du 10 août. La commission de l'OIT demande au gouvernement français de poursuivre l'examen avec les partenaires sociaux de la nouvelle législation sur le travail dominical sur le plan pratique, en tenant compte des considérations tant sociales qu'économiques . L'agenda s'annonce chargé : copie à revoir, partenaires sociaux à consulter, rapport sur la mondialisation à prendre en compte pour le gouvernement, promesses à tenir au G20 pour le Président de la République.
Une opportunité de plus pour s'unir au sein d'une Alliance pour un dimanche chômé en Europe. Pour retrouver et faire aimer le sens du dimanche[1].
*Hélène Bodenez a publié A Dieu, le dimanche ! (Editions Grégoriennes, 2010). Dernier article paru : La bataille du dimanche en France et en Europe , in IIe Rapport sur la doctrine sociale de l'Église dans le monde, préface de Mgr Rino Fisichella, Liberté politique n° 51, hiver 2010.
[1] Le jour d'un événement puissamment bouleversant , Benoît XVI, Jésus de Nazareth, tome 2, p. 293.
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