Députée de la Vendée, Véronique Besse s’oppose à la légalisation du travail le dimanche. Pour elle, cette "libéralisation" constituerait à la fois une erreur économique, sociale et culturelle. "Il s'agit là encore d'un choix de civilisation. Ce progrès illusoire masquerait mal un recul culturel, social et spirituel."
LIBERTE POLITIQUE — Pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le Parti socialiste s’était opposé à la légalisation du travail le dimanche, au motif que la « civilisation du supermarché » ne devait pas l’emporter. Désormais au pouvoir, il ne cache pas ses contradictions, comme s’il ne pouvait plus s’opposer au prétendu sens de l’histoire. Une telle réforme serait-elle une nouvelle avancée vers la civilisation du supermarché, que dénonçait le PS dans l’opposition ?
Véronique Besse — La banalisation du travail le dimanche est un sujet récurrent depuis quelques années. Déjà, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le débat avait été intense.
À mes yeux, étendre la législation permettant le travail dominical est une triple erreur.
Une erreur économique, puisque l’ouverture des magasins n’engendrera pas plus d’achats mais un report d’achat dans les grandes enseignes. Cela détruira surtout de nombreux emplois dans les commerces de proximité de nos petites communes, et dans les centres-villes.
Une erreur sociale, puisque le dimanche rythme l’ensemble de la société sur un même tempo. Alors que l’individualisme se développe et devient une menace pour notre pays, maintenir le repos dominical est une nécessité vitale.
Une erreur culturelle enfin, car bien que le travail doit être une priorité, les Français ont plus que jamais besoin d’un jour en commun à consacrer à leurs familles, à leurs amis, à leurs associations mais aussi à toutes les activités non marchandes qui contribuent quotidiennement à l’équilibre et au bonheur de tous.
Plus qu’une question économique, il s’agit en effet d’un choix éthique et tout simplement d'un choix de civilisation. La généralisation du travail dominical bouleverserait notre société. Ce progrès illusoire masquerait mal un recul culturel, social et spirituel.
« Face au poids croissant de toutes les contraintes de la vie professionnelle moderne, le dimanche résiste seul comme une planche de salut. »
La source du repos dominical est religieuse, chrétienne. À notre époque postmoderne, athée, matérialiste mais passionnée de liberté individuelle, comment faire comprendre, comme l'ont fait les Allemands, les bienfaits spirituels et la liberté qu’apporte un jour de repos commun ?
Nous vivons effectivement en pleine société de consommation. C’est un état de fait. Il n’est pas pour autant question de la subir comme une fin en soi.
Le travail est un élément essentiel dans la vie de l’homme. Il lui permet d’acquérir des compétences, de se dépasser, d’apporter sa pierre à l’édifice de la société et d’y trouver une juste récompense. Pour autant, l’homme n’est pas que matière. On ne peut simplement le réduire à un être producteur/consommateur. Il est avant tout un animal politique, et, à ce titre, il a besoin d’être connecté avec ses semblables. Le fait de ne pas être sur le même tempo, de ne pas être sur le même rythme que ses proches le renferme sur lui-même.
L’homme produit et consomme, mais il est destiné à toute autre chose : ce n’est pas sa finalité. Le travail est un moyen parmi d’autres. Et tout au long de son activité de travail, l’homme a besoin d’une respiration qui lui est nécessaire afin de se retrouver, de passer du temps auprès de son entourage. La vie de l’homme n’est pas réductible à sa simple expression matérielle.
Le véritable « moteur » de l’homme, c’est le sentiment d’appartenance. Appartenance à une entreprise, certes. Mais aussi appartenance à une famille, à une commune, à une culture, à un pays, à un mode de vie. Rien de grand ne se construit dans un pays motivé par le seul appât du gain et le confort personnel. L’homme a, au contraire, besoin de contribuer à quelque chose qui le dépasse, et qui lui permette d’atteindre sa liberté.
Pour être heureux, et ils le savent, les hommes ont besoin de consacrer du temps à leurs familles, à leurs amis, aux associations ainsi qu’à toutes les activités non marchandes qui contribuent quotidiennement à leur bonheur. Et face au poids croissant de toutes les contraintes de la vie professionnelle moderne, le dimanche résiste seul comme une planche de salut. En le supprimant, un verrou sautera...
Jean-François Copé propose d’ « assouplir la loi de 2009 », mais il n’est pas le seul. Est-il encore possible d'éviter la généralisation du travail le dimanche quand on sait qu’une dérogation accordée en entraîne toujours une autre ?
L'ouverture dominicale, dont on nous chante les vertus économiques, ne continuera finalement qu'à déséquilibrer le tissu économique régional et local. Sans compter que, par un phénomène de contamination facile à comprendre, cette ouverture limitée spatialement s'étendra nécessairement.
Comment en effet interdire l'ouverture d'un magasin se situant à quelques mètres d'un autre, sous le seul prétexte qu'une rue les sépare ?
Il est dangereux de mettre le doigt dans l’engrenage. Je ne pense donc pas qu’il soit judicieux d’accorder des dérogations à untel ou untel. Comment, in fine, justifier que tel commerce ou tel supermarché puisse ouvrir ses portes au public le dimanche et pas d’autres ? Cela posera forcément des problèmes et aboutira à une généralisation de fait de l’ouverture des commerces, puis du travail le dimanche.
Le gouvernement doit dire non fermement à la généralisation du travail le dimanche.
« C’est anticiper la mort du petit commerce de centre-ville que de généraliser le travail dominical. »
La disponibilité des commerces est déjà aujourd’hui très étendue : de nombreuses enseignes sont ouvertes plus de 72 heures par semaine, de 8h à 20h, voire davantage pour certaines. On peut par ailleurs faire ses courses par d'autres moyens modernes et notamment par l’Internet : les groupes qui vendent sur la toile sont nombreux. Le site web de Leroy-Merlin est déjà ouvert de fait 24h/24h et sept jours sur sept. Idem pour Sephora, Castorama et même Bricorama... Ont-ils réellement besoin d'avantages concurrentiels sur d'autres commerces de centre-ville qui s'effondrent en même temps que les populations se paupérisent ?
Votre remarque est juste, en plus d’ouvrir plus de 72 heures par semaine, de nombreuses grandes enseignes ont également profité des possibilités de l’internet et proposent désormais leurs services en ligne. Il est donc possible de faire ses courses depuis son domicile, et ce, à n’importe quel moment du jour et de la nuit.
Mais tout le monde n’a pas accès à internet, soit par manque d’infrastructures, soit par manque de formation pour l’utiliser.
S’il y a urgence on peut faire appel à de petits commerçants de proximité. Les ouvertures sont aujourd’hui importantes et semblent suffisantes. Les petits commerces ouvrent volontairement le dimanche.
Si l’ouverture des commerces le dimanche était généralisée, cela reviendrait à terme à renforcer la polarisation de l’activité marchande vers les grandes villes. Les conséquences seraient certainement désastreuses pour les petits commerces, et notamment de centre-ville, qui n’ont pas besoin de voir se renforcer une concurrence face à laquelle ils se défendent tant bien que mal. Les petites villes et les zones rurales en feraient également les frais.
C’est anticiper la mort du petit commerce de centre-ville que de généraliser le travail dominical. Il faut savoir sauvegarder nos petites épiceries et autres commerces qui font partie du paysage traditionnel de notre pays, et qui répondent à un réel besoin de la population : un service de proximité, un contact humain.
« Les prix augmenteront inévitablement pour que l’ouverture le dimanche soit rentable. »
Les défenseurs du travail le dimanche attendent d’une légalisation, ou d’une libéralisation, une augmentation du pouvoir d’achat des salariés et une compétitivité accrue. D’un point de vue strictement économique, la réforme serait-elle efficace?
L’ouverture des magasins le dimanche ne créera aucune richesse supplémentaire. La dépense s’étalera simplement sur un jour de plus au bénéfice des grandes surfaces, fortement importatrices, et au détriment des commerçants indépendants.
Elle n’aura pas non plus de conséquence positive sur le chiffre d’affaires des magasins. En effet, ouvrir un jour de plus ne garantit en aucun cas une consommation plus importante. On s'aperçoit très vite que le « miracle dominical » est un miroir aux alouettes.
Le pouvoir d’achat des Français qui travaillent en semaine et qui sont la « cible » de l’ouverture dominicale demeurera inchangé. En effet, croyez-vous vraiment qu'il existe un bas de laine caché que nos compatriotes iraient dépenser dans les commerces s'ils ouvraient le dimanche ? En réalité, l’ouverture des magasins le dimanche engendrera un simple report d’achat. Les courses seront faites le dimanche au lieu d’un autre jour de la semaine.
Si le chiffre d’affaire des magasins qui ouvrent le dimanche augmente, ce serait même particulièrement inquiétant. Cela voudrait dire que l’ouverture du dimanche de certains magasins aura provoqué la fermeture définitive d’autres magasins qui n’en ont pas le droit.
Que pensez-vous du phénomène de la « balade commerciale » ?
On vient, en effet, faire une balade dans les rayons des centres commerciaux déjà ouverts le dimanche comme on allait, autrefois, faire une balade en forêt. Tout est d'ailleurs fait pour que ces centres commerciaux fonctionnent comme des lieux de villégiature imbriquant commerces et lieux de loisirs dans un décor ludique. Mais que se passe-t-il dans la tête de ces « promeneurs » devant ce spectacle de débauche de produits qui se présentent à leurs yeux et qu'ils ne peuvent acheter parce qu'ils n'en ont pas les moyens et qu'ils ont eu le courage de ne pas céder aux sirènes du crédit ? Il faudrait surtout pouvoir évaluer la frustration de ceux qui ne peuvent pas ou plus acheter. Résisteront-ils encore longtemps ? Pour ces ménages, le risque du surendettement est particulièrement inquiétant.
Il existe ensuite un vrai risque d’augmentation des prix. L’ouverture dominicale aura un coût. Tous les professionnels le disent. Tout d’abord parce que les employés qui travailleront le dimanche bénéficieront ce jour-là, au début tout du moins, d’un salaire supérieur. Ensuite parce que cela entraînera des charges supplémentaires. À n’en pas douter la répercussion de ces charges se fera sur les consommateurs. Les prix augmenteront inévitablement pour que l’ouverture le dimanche soit rentable.
« C’est sur les épaules des femmes que reposent les espoirs de volontariat le dimanche. »
On évoque le volontariat, mais les travailleurs préférant rester chez eux le dimanche ne seraient-ils pas mis sous pression, et finalement contraints à travailler ?
Sans doute, mais le volontariat, c’est de la poudre aux yeux. Il est bien sûr tentant, lorsqu’on vous le propose, d’aller travailler le dimanche pour bénéficier d’un salaire plus important. Mais si l’on généralise le travail le dimanche, est-on certain que le salaire restera surélevé à terme ?
Le problème n’est pas de savoir si les gens sont volontaires ou pas. C’est plutôt de savoir pourquoi ils sont prêts à sacrifier leur dimanche ? Ils sont prêts à le sacrifier car leurs revenus sont en recul, car leur pouvoir d’achat baisse et leur niveau de vie avec.
La vraie question est plutôt : comment faire en sorte qu’en travaillant, sans avoir à travailler le dimanche, chacun puisse bénéficier d’un salaire correct et ainsi vivre dignement ? Voilà le fond du problème. Les tenants du travail dominical mettent uniquement en avant l’intérêt économique du salarié. Mais cet intérêt économique du salarié doit pouvoir être atteint avant qu’il soit question de travail dominical.
« La généralisation du travail le dimanche pénalise avant tout la vie de famille. »
Les femmes ne seraient-elles pas les premières victimes d’une légalisation du travail dominical ?
Oui, les femmes en seront victimes et notamment parce que les professions de caissières ou de vendeuses, par exemple, sont majoritairement féminines. C’est donc sur leurs épaules que reposent les espoirs de volontariat le dimanche. Mais cela ne permet pas de concilier vie professionnelle et vie familiale. Au contraire, cela déstabiliserait ces femmes mais aussi leurs familles et les enfants.
Cela pose également problème pour les femmes qui élèvent seules leurs enfants. Si elles travaillent le dimanche, il leur faut trouver une solution pour que l’on s’occupe de leurs enfants. Dans ce cas-là, quel est l’intérêt pour elles de travailler le dimanche pour gagner plus d’argent, si elles doivent ensuite le dépenser pour faire garder leurs enfants ?
Le travail dominical n’est pas une solution : ni pour les hommes, ni pour les femmes. La généralisation du travail le dimanche pénalise avant tout la vie de famille.
Faut-il, comme le fait Frédéric Lefebvre (UMP), fervent défenseur du travail le dimanche, s'insurger contre "l’archaïsme des syndicats" ? Ne sont-ils pas dans leur rôle quand ils défendent le repos dominical ?
Il faut sortir de cette impasse dialectique qui oppose modernité et archaïsme et se poser la vraie question : le repos dominical est-t-il une nécessité pour notre société ? En effet, le rôle des élus et des syndicats n’est pas de défendre les intérêts catégoriels mais bien plutôt de défendre le bien commun.
Cet équilibre nécessaire entre activité professionnelle et activité de loisir "gratuite" passe par un jour de la semaine qui soit différent des autres. Le dimanche est un jour férié important pour le bien-être de tous, pour le repos de chacun, mais aussi pour la cohésion sociale.
Propos recueillis par Laurent Ottavi,
avec la participation d'Hélène Bodenez.
Pour en savoir plus :
Notre dossier "Oui au repos dominical"